Assis à genoux devant la table basse du salon, je suis obligé de plisser les yeux devant les bougies qui sont allumées sur le gâteau. Ce ne sont pas de simples bougies qui se contentent d'une petite flamme, mais bien celles qui crépitent comme des feux d'artifices et montent bien au dessus de ma tête. Tout ce à quoi j'arrive à penser, c'est qu'on risque de mettre le feu à cet appartement. Shelly me demande de tenir la pause, retenant mon souffle, pour qu'elle puisse me prendre en photo, mais ça ne sert à rien, puisque ce n'est pas en soufflant qu'on éteint ce type de bougie, mais plutôt en les plongeant sous un robinet d'eau.
Bien sûr, Anton ne tient pas en place d'avoir un truc aussi dangereux dans son appartement. Il est en train de me presser de faire une pause sympa pour cette satanée photo afin qu'il puisse prendre une des bougies et gambader dans l'appartement pour jouer avec. Jonas se tient juste à côté de moi, une main sur mon épaule, tandis que Lys est assise dans le canapé juste derrière. Je peux voir l'ombre de Danny, de Henrik et de toutes les autres personnes invitées pour mon anniversaire attendre pour pouvoir manger enfin une part de gâteau.
Quand Shelly est enfin satisfaite de la photo, Anton s'empare de deux bougies, et, en faisant des bruits de sabre laser, commence à les agiter dans l'air. Je passe une main sur mon visage, las, vidé de toute émotion, et pour m'occuper l'esprit, j'attrape le couteau juste à côté pour commencer à couper le gâteau moi-même. Shelly s'accroupit à côté de moi, entoure mon visage de ses mains et embrasse ma joue. Dans mon champ de vision, je vois Jonas se lever, me jetant un regard bourré de sous entendus, puis il part chercher les assiettes restées dans la cuisine.
Je souffle, excédé.
Je me sens plus léger, plus en paix avec moi-même, maintenant que j'ai pu faire la paix avec mon meilleur ami, mais je ne me sens pas moins anxieux à l'idée de survivre à cette soirée.
Dès que chaque personne est servi, Anton et Shelly disparaissent vers les chambres et la lumière des bougies fusées les suivent. Un léger blanc s'installe dans la pièce le temps que la chanson d'après se lance, et je me laisse aller en arrière contre le canapé.
Lorsqu'ils reviennent des chambres, ils sont précédés par Eden, un grand sourire bancale lui barre le visage pendant qu'Anton lui court après tout en portant un énorme carton dans les bras, aidé par Shelly. Emballé impeccablement dans un papier cadeau vert à pailettes, ils le posent juste sous mes yeux, me laissant tout juste le temps de pousser le reste de gâteau. Je ne sais pas pourquoi, mais avoir à ouvrir ce cadeau devant tout le monde me rend terriblement nerveux, et j'ai presque envie de leur dire que je l'ouvrirai au calme tranquillement chez moi.
Eden s'affale dans le canapé derrière, et j'entends rapidement Lys lui grogner dessus, parce qu'il a failli renverser sa bière.
- Bon, tu l'ouvres ton cadeau ? clame-t-il haut et fort.
Une sueur froide coule le long de ma colonne vertébrale. Je déteste quand il est comme ça. Il n'est plus le timide Eden que j'aime tenir dans mes bras mais celui qui s'exhibe, qui se pavane, qui cherche à être au centre de l'attention. En clair, il est défoncé.
Je coule un regard vers ma droite pour voir que Danny a rejoint la cuisine et se sert un verre, le visage complètement fermé. Un coup dans mon dos me fait grimacer, et lorsque je me retourne, je remarque que c'est Eden qui m'a donné un coup de genou. Il me fait signe du menton d'ouvrir mon cadeau, comme si j'ennuyais tout le monde à prendre autant de temps. Le cœur lourd, je me lève et contourne la tête table, passant fébrilement le bout de mes doigts sur le papier cadeau. Shelly glisse ses bras autour de mon coude et s'accroche à moi, sous le regard brûlant d'Eden.
- C'est de notre part à tous, souffle-t-elle à mon oreille.
Eden, toujours avachi dans le canapé, une partie de son buste contre Lys, finit son verre cul sec avant de se mettre à ricaner. Lys tourne la tête vers lui et passe doucement son bras autour de son épaule, comme si elle cherchait à le réconforter, mais Eden la repousse avec force et mécontentement, une émotion rare sur son visage. Son regard s'adoucit quand il se tourne vers Lys, comme pour s'excuser, mais il se remet ensuite à rire.
Je prends une grande inspiration et entreprends d'ouvrir le paquet. La perfection avec laquelle il a été emballé me force à faire attention, mais tandis que j'essaye de m'y prendre du mieux que je peux, Eden commence à scander « plus vite, plus vite » et tous les invités l'imitent, à l'exception de Lys, qui me dévisage, attristée. Sur les nerfs, j'arrache ce qui reste du papier cadeau sous la clameur de la foule, et je découvre ce qu'ils m'ont tous offert.
Un four à micro-ondes. Énorme.
Eden est littéralement plié en deux sur le canapé.
Shelly, toujours accrochée à mon bras, sautille presque sur place.
- Il fait four, et micro-ondes, m'explique-t-elle. Tu peux quasiment cuisiner tout ce que tu veux dedans. Ça va être super dans ton appart, fini les salades et les repas froids.
Shelly lance un regard perplexe à Eden, qui vient de tomber du canapé tellement il rigole, et devant sa mine blessée, je ne peux que lui prendre la main et la remercier, en lui disant que ça me fait très plaisir. Anton sort de sous son manteau un carnet de notes tout tâché, et je me concentre sur lui pour oublier le rire moquer d'Eden qui résonne dans l'appartement comme un gong.
- Tiens, je t'ai fait un carnet avec toutes mes recettes secrètes, marmonne Anton.
Il a l'air presque mal à l'aise en me le fourrant dans les mains, et j'ouvre le carnet en plein milieu pour voir que les recettes ont été écrites à la main, et qu'il a pris des photos du résultat avec sa tête en arrière plan, tout en faisant toujours des grimaces de dégoût. Shelly, qui regarde par dessus mon épaule, lance un regard noir à Anton.
- On avait dit qu'on faisait qu'un cadeau commun...
Anton, surpris, hausse une épaule.
- J'avais envie de lui offrir un truc en plus, puis ça va avec, y'a pas mort d'homme.
Je fais défiler quelques pages. Les recettes sont parfois farfelues – gratin de saumon à la banane sauce au beurre – parfois très simples – pâtes au ketchup façon Anton – et à chaque fois, des petites indications, des photos, des dessins et des blagues, comme s'il savait à l'avance sur quels ingrédients j'allais bloquer ou quels passages de la recette j'allais manquer.
Shelly et Anton font encore une bataille de regard lorsque je relève les yeux du carnet.
- Anton, merci, vraiment, merci.
Je tends un bras vers lui et le passe autour de ses épaules pour le serrer brièvement contre moi. Lorsque je recule, il est aussi rouge que sa recette de pâtes au ketchup, et bégaye quelque chose avant de me faire un salut militaire et de s'en aller. Je souris, tout seul, son carnet contre mon buste. Savoir qu'il a pris du temps pour préparer ce carnet me fait tellement plaisir que j'en oublie presque l'énorme carton contenant le four à micro-ondes, qui doit bien prendre un quart de mon appartement à lui tout seul, et le rire d'Eden.
D'ailleurs, lorsque je me tourne vers le canapé, Eden a disparu. Voilà peut-être aussi pourquoi j'ai finalement réussi à l'ignorer, il n'est plus là. Mais avant que je ne puisse réellement chercher où il est parti, Jonas apparaît devant nous, un grand sourire de façade sur les lèvres. Et le plus perturbant, c'est qu'il reste tourné vers Shelly, et ne me lance pas un seul regard.
- Ma petite Shelly, dit-il avec gentillesse. Il faut que je te parle d'un truc...
Shelly, suspicieuse, le dévisage, mais l'air sympa que Jonas arbore – que je sais être un leurre – semble fonctionner sur ma petite-amie, qui se radoucit sous les yeux emplis de cœurs de Jonas.
- Me parler de quoi ?
Je vois Jonas tiquer. Il n'avait pas prévu qu'elle résiste.
- De l'autre surprise... ? tente-t-il.
- L'autre surprise ?
Jonas lance un regard inquisiteur vers moi, et il attrape Shelly par le coude pour la forcer à le suivre.
- Oui, tu sais, l'autre surprise, t'es pas au courant ?
- Non.
- Alors il faut que tu le sois ! chantonne-t-il avant de l'emmener sur le balcon.
Je n'ai pas le temps de me demander ce qui est en train de se passer que Lys et Joly me tombent dessus et m'empoignent les bras pour m'emmener dans le couloir de l'appartement. Elles me traînent jusqu'à la chambre de Joly, que je découvre pour la première fois. Elle est beaucoup plus sobre que ce à quoi je m'imaginais. Les murs, d'un vert pâle, sont ornés de cadres où reposent des dessins faits au fusain, mais qui ne semblent pas représenter quelque chose de précis. Une seule photo punaisée sous la lumière du bureau, des livres partout, par terre, sur les commodes, sous le lit, tout semble à sa place, bien rangé – contrairement à la chambre d'Eden. Mes yeux s'attardent sur la photo au dessus du bureau, elle n'est pas très grande et je n'arrive pas très bien à discerner les visages, mais je reconnais les traits et la silhouette d'Eden, qui entoure Joly d'un côté et une femme de l'autre. Sûrement leur mère.
Lorsque mon attention revient sur les filles, elles cachent toutes les deux quelque chose dans leurs dos.
- Oui, on sait, normalement, c'était juste le cadeau commun... commence Joly.
- C'est pour ça qu'on avait besoin de Jonas pour occuper Shelly, le temps qu'on t'offre... Ça !
Les deux filles sortent alors ce qu'elles tenaient derrière elles. Une boîte blanche avec un joli ruban jaune pour Joly, et une boite bleue marine longiligne pour Lys.
- Joyeux anniversaire ! chantent-elles en cœur.
Je les remercie milles fois avant même d'avoir leurs cadeaux dans les mains. J'ouvre la boîte de Joly après avoir tiré sur le ruban et qu'elle insiste pour l'attacher à mon poignet. Son visage enfantin reflète une légère appréhension et je la vois même être tentée de se ronger les jongles. Le simple fait qu'elle ait pensé à moi me fait terriblement plaisir, alors peu importe ce qu'elle m'offre, je sais déjà que j'y ferai très attention pendant de longues années.
Je retire une autre boîte de la boîte en carton, et pendant un bref instant, je reste bloqué.
- Le seul film que tu as réussi à regarder sans cacher tes yeux derrière tes mains... explique Joly.
Une figurine de Chucky, la poupée tueuse du film éponyme. Le dernier que j'ai regardé chez eux, où j'ai, comme elle le dit, réussi à ne pas me cacher. On a tous beaucoup rigolé, Eden allant jusqu'à dire que je suis immunisé contre les films d'horreur – ce que je ne pense pas.
- Je sais que ça peut paraître un peu flippant comme ça, mais dis toi que c'est une preuve de ton courage, et que ce Chucky veillera sur toi.
Je ne peux m'empêcher de rigoler et je me penche vers elle pour lui embrasser doucement la joue. Avant que je ne puisse m'éloigner, elle referme ses bras autour de mon cou et me serre assez fort pour me couper le souffle. Lorsqu'elle se recule enfin, un sourire espiègle sur les lèvres, elle me fait un clin d'œil.
Je m'attaque au cadeau de Lys, dont il me suffit juste d'ouvrir le couvercle pour ouvrir le boîtier. Une magnifique montre brille à la lueur des lumières, avec un bracelet du même bleu foncé de la mer, la monture en argent, et derrière la lunette et le cadran, une ancre marine d'un bleu identique au bracelet.
- Je sais que tu adores ta chemise à motif avec les ancres... souligneLys.
Et elle a raison, c'est une de mes préférées.
- Elle est... Elle est magnifique.
- C'est pas non plus un produit de luxe, hein, c'est plaqué argent, rien de plus...
- Je m'en fiche de ça...
J'attire Lys contre moi et la sers dans mes bras. Elle pose sa tête sur mon épaule pendant que Joly, à côté de nous, trépigne pour que j'essaye la montre. Dès que notre étreinte se termine, cette dernière m'arrache presque le boîtier des mains pour ensuite fixer la montre à mon poignet gauche. Je le bouge sous tous les angles, pour m'habituer à son poids, mais aussi à sa vue.
- La classe, souffle Joly.
- Merci, répété-je.
- Tu ferais peut-être mieux de l'enlever, pour ne pas... Tu vois, éveiller les soupçons.
- Peu importe, certifié-je en remontant proprement les manches de ma chemise.
Nous sortons de la chambre de Joly, et je garde un petit moment de plus les yeux sur mon poignet orné d'une nouvelle montre et du ruban jaune que m'a attaché Joly. La boîte de la figurine sous le bras, une lumière attire mon regard dans le couloir plongé dans l'obscurité. La lumière de la salle de bain est allumée. Des tonnes de souvenir de moments passés dans ce lieu remontent à la surface et je ralentis le pas, laissant les filles retourner dans le salon sans moi.
Je n'ai pas vraiment adressé la parole à Eden depuis le début de la soirée, et je ne vais pas mentir, il me manque. J'ai cette terrible impression que nous sommes en froid, alors que nous nous sommes à peine parlé depuis qu'il est venu chez moi.
Je prends une profonde inspiration et pose la main sur la poignée. Je ne me laisse pas le temps de réfléchir, et j'ouvre, je trouverai bien quelque chose à dire, j'improviserai, je ferai n'importe quoi pour juste entendre sa voix.
- Putain !
Le mot m'a échappé, alors que sous mes yeux, deux corps sont enlacés contre le lavabo. Les cheveux roux d'Henrik descendent sur l'épaule de la fille contre lui, ses fesses à l'air libre, et la poitrine dénudée de sa compagne à peine cachée par son corps. Leurs deux têtes se tournent vers moi, mais avant de réaliser réellement ce qui est en train de se passer, et priant pour que cette image ne s'imprime pas à vie sur ma rétine, je referme la porte derrière moi d'un grand coup brusque.
Ce n'était décidément pas Eden. Heureusement, et en même temps, c'est le moment le plus humiliant de ma vie. Je suis rouge de honte, de partout. Mes oreilles surchauffent, et mon cœur reprend difficilement sa course. J'ai envie de vomir. Et de hurler à Henrik et sa partenaire de jeu qu'une porte, ça se ferme à clé, surtout quand on prévoit ce genre d'activité.
Le temps que je reprenne mon souffle, l'image de ces deux corps en pleine partie de jambe en l'air ne veut décidément pas me laisser tranquille, et un rire nerveux gagne ma gorge. Me rendant compte que les bruits de leur ébat commencent à traverser la porte contre laquelle je me suis accoudé, je décide de prendre mes jambes à mon cou et de retourner dans le salon.
Discrètement, ne voyant pas la robe rouge et les cheveux blonds de Shelly dans la pièce, je vais jusqu'à mon sac et y cache la funko pop Chucky. Je me redresse mine de rien, mais personne ne fait réellement attention à moi. Lys est en train de sermonner le mec qui s'occupe de la sono, apparemment pas du tout d'accord de ses choix musicaux, Joly rôde autour d'Anton avec un petit air coquin, et ce dernier, bien qu'il semble résister à l'envie de la dévorer des yeux, ne cesse de lui jeter des regards attendris. La plupart des autres personnes de la soirée sont affalées dans le canapé, d'autres jouent à Just Dance et d'autres encore restent dans le coin cuisine à préparer des cocktails. Danny y est toujours, d'ailleurs.
Nos regards s'accrochent de nouveau, et cette fois, il lève son verre vers moi, en signe de salutation. Je lui fais un petit geste de la main, tentant au passage de sourire, mais il se détourne aussi vite qu'il ne m'a salué, et semble être déjà passé à autre chose. Dans un sens, je suis rassuré, il ne s'est pas jeté sur moi. Au contraire, il s'est montré sympa. Et ça, ça me fait un peu mal. On en est arrivé au point où on se tolère, et je ne sais pas si c'est bon signe.
En parcourant de nouveau la pièce des yeux, un mouvement rouge attire mon regard, et mon corps entier se pétrifie. Shelly et Jonas sont toujours sur le balcon, là où mon meilleur ami a attiré ma copine pour lui parler d'une autre surprise secrète sûrement imaginaire, mais ils ne sont plus seuls. Eden est avec eux. Il a une main passée autour des épaules de Shelly, pour la réchauffer, et son sourire forcé, de travers, celui de ses mauvais jours, celui des substances qui ont envahi son sang, lui barre le visage.
Mon sang figé dans mes veines, mon corps bouge de lui-même et se dirige vers le balcon.
- Salut la compagnie, lancé-je, désireux de prévenir mon arrivée.
Mais ça ne change pas grand chose, puisqu'Eden garde son bras passé autour des épaules de Shelly et c'est à peine si ces deux là se tournent vers moi. Jonas, pourtant, droit comme un piquet, juste à côté d'eux, m'accueille d'un sourire crispé et m'interroge du regard. Les dents serrées, je me poste juste derrière Shelly et Eden, mais ils continuent comme si de rien n'était :
- Mais du coup, vous échangez ?
Eden hoche la tête, un sourire malin sur le visage.
- Bien sûr, y'a pas de raison qu'on le fasse pas, chacun son tour comme dit.
Shelly fait une petite moue, le nez pincé.
- Tu m'as donné envie d'essayer, minaude-t-elle.
Eden éclate de rire.
- Fais-le, rejoins le côté obscur !
Je me racle la gorge et pendant un instant, la main en l'air, j'hésite sur quelle épaule la poser. A la place, je la tends entre eux, enrobant la rambarde de mes doigts et m'immisçant entre leurs corps comme un serpent. Les voir aussi proches me glace le sang, et tout ce à quoi j'arrive à penser, c'est de les éloigner l'un de l'autre.
- Voilà l'homme de la situation, claironne Eden en levant les mains vers le ciel.
Les sourcils froncés, je lance un regard vers Shelly, et à la façon dont son corps tangue, maintenant qu'Eden ne la retient plus, je comprends qu'elle a bu et que ça commence à lui monter à la tête. Ses yeux papillonnent et elle pose son menton sur mon épaule. Eden nous couve du regard, mais je vois la faille dans ses yeux, qui se répand comme une traînée de poudre jusqu'à mon cœur.
Shelly tend la main, passant sous mon bras tendu entre eux, et elle attrape Eden par le poignet.
- On a discuté de plein de trucs avec Eden, et il m'a convaincu de...
N'écoutant clairement pas ce qu'elle est en train de me dire, j'attrape son bras juste derrière son coude, de ma main libre, et je le ramène vers elle, la faisant lâcher Eden par la même occasion, ce dernier poussant un petit soupir de désapprobation.
- Arrête, lui dis-je simplement.
Eden hausse plusieurs fois des sourcils vers Shelly et lui envoie un baiser invisible. Shelly tend de nouveau la main, mais je l'empêche d'aller plus loin.
- Quoi, t'es jaloux ? roucoule-t-elle.
Je lance un regard d'appel à l'aide à Jonas, mais il a l'air aussi dépassé que moi.
- T'as rien à craindre, Eden est 100% gay.
- C'est bien vrai, renchérit l'intéressé d'un rire rauque.
- Je ne suis pas jaloux, dis-je calmement.
Je ne veux juste pas que tu le touches, pensé-je très fort. Trop fort peut-être, parce qu'elle ramène sa main vers elle en grimaçant, la marque de mes doigts autour de sa peau nue.
- Ok, Shelly chérie, et si on allait se chercher un nouveau verre ?
La voix de Jonas casse le silence pesant qui régnait sur le balcon, et je recommence à respirer. Je le remercie d'un regard, et il attrape Shelly avant de lui lancer le temps de répliquer, l'emmenant en dehors du balcon. En mon fort intérieur, j'aimerais qu'il l'éloigne plus loin encore, j'aimerais moi-aussi partir, m'enfuir, disparaître, me cacher, ignorer tout ce qui se passe autour de moi.
A la place je fais volte face et j'affronte le regard provocateur d'Eden, accoudé à la rambarde, les coudes posés dessus, le corps légèrement penché en arrière, comme s'il souhaitait narguer le vide dans son dos. Un sourcil haussé, son regard descend sur toute ma silhouette, comme s'il me mettait au défis de dire ce qui submerge mon cœur, à savoir que je ne l'aime pas quand il est comme ça, que je ne veux pas qu'il parle à Shelly. Je m'avance vers lui, et je lis dans ses yeux un éclair de surprise. Il pensait sûrement que j'allais partir, le laisser derrière, le laisser gagner.
- Il faut qu'on parle, glissé-je à son oreille.
Il hausse les épaules, un nouveau masque impénétrable sur le visage.
- Si tu veux.
Je retourne à l'intérieur, je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir qu'Eden me suit. Je prie intérieurement pour que Jonas occupe assez Shelly pour qu'elle ne remarque pas que nous nous dirigeons tous les deux vers le couloir. Je garde les yeux droit devant moi, faisant abstraction de toutes ces personnes dans le salon, et lorsque nous arrivons enfin au couloir, Eden me dépasse pour aller ouvrir la porte de la salle de bain. Je le rattrape de justesse par la manche de son t-shirt et lui fais non de la tête.
Je me dirige vers sa chambre et, une fois entrés, referme derrière moi. Eden allume la lumière de sa lampe de chevet et pendant quelques secondes, il ne semble pas savoir quoi faire de son corps. Pour cette soirée, Eden a choisi de s'habiller en bleu, avec un jean clair style année 80, des ourlets le faisant remonter jusqu'à la moitié de ses tibias et un t-shirt simple d'un bleu plus foncé, rentré à sa ceinture.
- Tu n'as pas froid ? demandé-je simplement.
Le t-shirt est trop grand pour lui, ou c'est Eden qui est trop fin pour le vêtement, et les manches descendent jusqu'à ses coudes. Il referme ses bras contre lui avant de se laisser tomber sur son matelas.
- Alors, de quoi tu voulais parler ?
Je m'accoude à la porte derrière moi, les deux mains dans mon dos.
- Qu'est-ce que tu as dit à Shelly ?
Eden me jette un regard au travers de ses cils alors qu'il avait baissé la tête.
- Tu te moques de moi ? Tu veux savoir si je lui balancé ce qu'on fait dans son dos ?
Je ferme brièvement les yeux et me mords l'intérieur de la joue.
- Non. C'est juste que ça m'a surpris que tu ailles lui parler.
- J'ai pas le droit ?
J'appuie ma tête contre le bois de la porte et je fixe mon regard sur la silhouette d'Eden. Lui-aussi me regarde avec insistance, comme s'il ne pouvait pas détourner les yeux de moi.
- Je ne savais pas comment réagir...
Eden passe sa langue sur sa lèvre et fait la moue.
- C'est pas à moi de lui balancer ce genre de choses, alors sois rassuré. Et si c'est tout ce que tu avais à me dire, eh bah... commence-t-il en se levant.
Je ne bouge pas tandis qu'il hésite, à quelques mètres de moi, et se rapproche finalement de la porte. Il m'interroge du regard tout en avançant, un pas à l'après l'autre. Mais je n'esquisse pas le moindre mouvement.
- Tu sais très bien ce que j'ai voulu dire... soufflé-je.
Eden lève les yeux au ciel, et s'arrête à quelques centimètres de moi, trop loin pour que nous nous touchions, trop prêt pour que je ne sente pas l'odeur de l'herbe et de tabac émaner de lui, ainsi que son parfum plus épicé.
- Tu m'évites, ajouté-je.
- Vraiment ? suggère Eden avec un rictus moqueur. Et même, que tu ais raison ou non, tu crois que j'ai envie de venir te parler alors que ta copine se colle à toi comme une sangsue ?
Je coince ma langue entre mes dents et je hoche la tête, ce qui fait cogner mon crâne plusieurs fois au bois dans mon dos.
- On est deux, dans ce cas.
Eden croise les bras sur sa poitrine, et son air de défis quitte son visage.
- C'est à dire ?
- Je te rappelle que ton mec est aussi là ce soir.
Cette fois, Eden recule et un rire faux vient enflammer sa gorge. Ses yeux, d'un bleu terne, vide, sale, se détournent finalement de moi et se fixent sur sa commode où sont rangés tous ses films. Il tape plusieurs fois nerveusement du pied sur le sol et ses doigts serrent la peau de ses bras.
- Moi aussi je dois te supporter avec ton mec qui vient te lécher les bottes, te glisser des mots doux à l'oreille et...
- Danny et moi, c'est fini.
Mon souffle se bloque dans ma poitrine et l'air manquant dans mes poumons forme un trou noir dans ma cage thoracique, juste sous mon cœur.
- Qu... quoi ? Mais... mais pourquoi est-ce qu'il est là ?
Eden fait un pas en avant, son corps de nouveau tourné dans ma direction.
- Il est là parce que ta copine l'a invité, parce que c'est aussi un ami d'Anton... commence Eden avec rage, les dents serrées. Si tu avais fait un peu plus attention, tu t'en serais rendu compte. Tu te serais rendu compte que tout ce que j'ai fait ce soir, c'est attendre désespérément que tu me regardes, que tu viennes me parler, ce que tu n'as pas fait une seule fois.
Les pièces d'un puzzle dont je n'avais même pas conscience se forment peu à peu dans mon esprit et se recoupent pour sculpter une seule et même vérité. Cela fait plusieurs semaines qu'Eden ne me parle plus de Danny, et maintenant que j'y pense, je ne les ai plus vus ensemble à la FAC depuis un moment déjà.
- Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?
Il souffle, longuement, las, et baisse les yeux. J'ai l'impression qu'il hésite, qu'il ne sait pas comment me dire ce qui lui tient à cœur. Je sens sa colère, mais aussi sa peine. Quelque chose change en lui, son regard devient plus sombre encore et il doit serrer ses doigts plus fort pour les empêcher de trembler.
- Qu'est-ce que tu aurais fait, si je te l'avais dit, Solly ?
Mon corps se détache légèrement de la porte, mais je garde mes mains dans mon dos, appuyées à la porte.
- Je...
- Je vais te le dire, moi. Tu aurais été là, bien sûr, à la minute où je te l'aurais dit, mais pas par joie, pas par plaisir, mais pour me consoler, avec douceur, avec gentillesse, avec tout ton cœur. Tu n'aurais pas profité de la situation, tu aurais juste été là, parce que j'en aurais besoin. Puis, tu aurais rompu avec elle. Pour qu'on soit plus que tous les deux, parce que je sais que c'est ce que tu veux. Mais tu ne comprends pas ? Tu ne vois pas où ça ne fonctionne pas ?
Si, je vois très bien, et même si c'est la dernière chose que j'ai envie d'entendre, Eden le dit quand même :
- Parce que je l'ai fait, tu l'aurais fait aussi. Seulement parce que moi, avant toi, j'ai pris la décision de le faire. Tu comprends pourquoi je ne te l'ai pas dit, hein ? Je ne voulais pas que tu romps avec elle juste parce que je t'ai montré la voie, je voulais que ça vienne de toi.
Mon cœur est si serré dans ma poitrine qu'il m'empêche de respirer normalement, et je sais qu'Eden perçoit le léger sifflement qui s'extirpe difficilement d'entre mes lèvres.
- Tu m'as fait comprendre qu'il y a des choses en nous qui ne changent jamais, qui font pleinement parties de nos ADN. Toi, moi, tout le monde, personne n'y réchappe vraiment. Ta lâcheté ne te définit pas, mais elle est toujours là, que le temps passe ou non, que ce soit deux ans plus tôt ou deux ans plus tard.
Il n'y a aucune méchanceté dans ses paroles, seulement une pure vérité. Il ne fait pas ce constat seulement pour moi, pour m'accabler, je sais qu'il parle aussi de lui, de ce qui le ronge, et de tout le monde à la fois.
Cette fois, je me tiens littéralement à la porte derrière moi, mon corps y trouve son soutien pour ne pas s'écrouler. Il a raison, il a entièrement raison. Si j'avais su qu'il n'était plus avec Danny, j'aurais sûrement agi de mon côté, j'aurais sûrement rompu avec Shelly. Cela m'aurait sans aucun doute anéanti, deux ans de relation que je devrais laisser derrière moi, tout notre amour, son soutien. Mais je l'aurais tout de même fait, parce que sa relation avec Danny, derrière laquelle je me cachais jusqu'ici, ne nous retenait plus. Je ne l'ai pas fait parce que ça me permettait de repousser ce moment fatidique où je n'aurais plus eu que mon courage auquel m'accrocher, ce moment où je n'aurais plus cette certitude d'une relation stable, d'un soutien constant, ce moment où j'aurais dû faire souffrir quelqu'un à qui je tiens, ce moment où j'aurais dû m'assumer, pour ce que je suis, qui je suis et qui je veux être.
J'ai encore été lâche. Je n'ai pas eu le courage de prendre mes propres décisions, de prendre des risques, je suis resté caché derrière de faux sentiments, de fausses déclarations.
Une main se pose sur ma joue et je tressaille de la tête aux pieds, les yeux remplis de larmes qui ne veulent pas couler. Cette main n'a plus aucune chaleur, et elle tremble contre ma peau.
- Je ne t'en veux pas, Solly, chuchote Eden contre moi. Il faut parfois juste s'accepter, et peut-être que c'est mieux ainsi, peut-être que c'est ce qu'il te faut, si tu n'as pas été capable de t'en séparer.
- C'est toi que je veux, murmuré-je en penchant ma tête vers lui.
Mais il recule, les lèvres pincées.
- Je t'ai attendu, déjà, toute une nuit, il y a deux ans. Je t'ai laissé la chance de revenir sur tes pas, de me rejoindre, sur cette balançoire, et de reprendre ce qui avais commencé. Mais tu ne l'as pas fait. Et je t'ai encore attendu, ça fait des jours, des semaines, que je t'attends. Et je suis fatigué.
- Je suis là, maintenant.
Il secoue la tête.
- Non, c'est trop tard, dit-il, la voix enrouée. Je voulais que ça vienne de toi, je voulais te laisser autant de temps que possible, mais c'est impossible, je n'ai pas toute une vie à attendre de cette façon. Les choses auraient continué encore combien de temps comme ça si je te l'avais pas dit ?
Il prends une grande inspiration, sa main frôlant ma joue comme le froissement d'une plume, presque invisible.
- Depuis combien de temps avons-nous commencé à nous embrasser comme si on faisait partie l'un de l'autre ? Depuis combien de temps, quand nous nous touchons, c'est comme si on touchait le cœur de l'autre ? Depuis combien de temps il n'y a plus que dans nos bras que nous nous sentons en sécurité ?
Ces questions restent sans réponse pendant de longue secondes, pendant que mon visage cherche sa peau, que mes yeux sont ravagés par des larmes noyées. Sa voix est neutre, sans sentiment, détachée, je ne la reconnais pas et ça bloque l'air dans ma gorge.
- Trop longtemps. Ça fait trop longtemps qu'on s'aime assez pour qu'il n'y ait plus que nous, et pourtant, tu n'as jamais laissé ce nous s'aimer, tu n'as jamais réussi à vivre que de ce nous. Tout ce que je voulais, c'est que tu crois en nous, juste toi, et moi, mais tu avais encore besoin d'elle. Tu n'as pas su la laisser derrière toi, non pas parce que ça te permettait de m'avoir moi, mais parce que ce n'est pas toi, ce n'est pas ce que tu veux, ce que tu as besoin. Je sais que tu le sais, que tu en as conscience, et je sais que c'est dur de l'accepter, mais c'est trop facile d'attendre que quelqu'un prenne la décision à ta place.
Ses doigts quittent ma peau, un à un, et, les yeux fermés, je sens si peu sa présence que j'ai l'impression d'être entièrement seul dans cette pièce.
- Je voulais que tu me prouves que j'en valais la peine, que tu me prouves qu'on peut changer, qu'on est pas obligé d'être esclave de ce qui pourrit à l'intérieur de nous.
Cette fois, les larmes coulent enfin, elles ripent la surface fragile de ma peau, descendent mes joues, cognent contre mes lèvres et tombent de mon menton. Un flot continu, empli de tout ce que je déteste en moi et de tout ce que j'ai perdu à cause de ma lâcheté. Chaque mot est comme un couteau à la lame aiguisée qui tranche la chair comme du beurre, comme la vérité balaye les mensonges.
- Alors c'est fini, je ne t'attends plus. Tu es libre de faire ce que tu veux, maintenant, Solly, et fais ce qui est le mieux pour toi, c'est pas grave si tu ne changes pas, ou pas tout de suite.
Je perçois de nouveau son corps alors qu'il embrasse les larmes qui dévalent ma joue.
- Tu n'es pas une mauvaise personne, souffle-t-il à mon oreille. Tu as bon cœur, et ta gentillesse te perdra sûrement un jour mais tu rendras plein de gens heureux, j'en suis sûr.
Doucement, il ouvre la porte, me forçant me décaler. Mon corps est comme un chiffon qu'il suffit de bouger du bout du pied pour qu'il s'envole. Dès que la porte est assez entrouverte, Eden se faufile à l'extérieur et referme derrière lui. Alors, je me laisse tomber à genoux, les bras repliés sur mon ventre qui se tord de douleur. Un poids indescriptible pèse sur mes épaules et force mon corps à s'étendre plus bas encore, jusqu'à ce que mon front rencontre le parquet. Mes larmes luisent sur le bois vernis et mon corps étouffe les cris qui cherchent à passer la barrière de mes lèvres.
J'ai l'impression de me déchirer de l'intérieur.
Je ne prends pas tout de suite conscience de la porte qui s'ouvre, des pas qui s'agitent autour de moi, des mains qui cherchent à m'atteindre, mais au bout d'un moment, j'entends une voix, sans reconnaître les mots prononcés, juste mon prénom. J'essaye d'ouvrir la bouche, le front toujours contre le parquet, mes mains serrées contre mes côtes, mes doigts enfoncés entre mes os.
- Je veux partir.
- Je sais, je sais, il faut que tu te lèves, on s'en va, Solly.
Mes pleurs marquent le sol, deux tâches ruisselantes de toutes mes erreurs et de toute cette part de moi que je hais.
- J'y arrive pas, réussis-je à dire entre deux sanglots.
La voix répète mon prénom, encore et encore. Elle me demande de m'accrocher, de respirer, de me calmer. Mais il n'y a rien que je puisse faire qui me semble en valoir la peine.
Mon corps est soudainement soulevé, et ça me coupe le souffle. Mes sanglots ressemblent à une quinte de toux, rauque et suffocante. Mes yeux bercés de larmes reconnaissent finalement la silhouette de Jonas qui m'observe sous tous les angles, comme s'il s'attendait à me trouver blesser. Mais mes blessures ne se voient pas à l'extérieur, elles emplissent mon intérieur et me déchirent à l'aveugle.
- Allez, on sort de là... chuchote Jonas.
Il ramasse quelque chose par terre. Ma veste. Elle était dans la chambre d'Anton, et elle est maintenant sur mes épaules. Je n'ai même pas la force de l'enfiler correctement, mais Jonas se contente de la maintenir, comme s'il avait conscience de la nécessité de sortir au plus vite.
- T'es prêt ? me demande Jonas. Je t'emmène dehors, promis.
Je hoche la tête, mais ce mouvement est si imperceptible que je me demande s'il l'a vraiment vu. Mais sans attendre plus longtemps, Jonas s'accroche à mon bras, une main dans mon dos, et il m'entraîne à l'extérieur. Mes pieds avancent d'eux mêmes tandis que je peine à respirer, ne souhaitant qu'une chose, quitter cet appartement. Heureusement pour moi, personne ne nous barre le passage, personne n'intervient, et en moins de temps qu'il n'en faut pour que je m'en rende compte, nous nous retrouvons dans l'ascenseur.
Mon reflet m'attaque dès que j'y pose un pied. Mes joues sont striées de larmes, ma peau pâle et mes yeux rouges. Je pose mes deux mains sur mon visage, attaqué par une nouvelle vague de chagrin. La douleur dans mon ventre vrille mon sang, et j'ai si mal que je me laisse de nouveau tomber par terre.
Jamais je n'ai ressenti une souffrance aussi forte et pure. Cela n'a rien à voir avec le mal physique, cette petite pique quand on se coupe, quand on se cogne le genoux contre l'angle de la table, lorsque notre tête rencontre le sol après une mauvaise chute. C'est plus profond, plus fort, plus terrible. Ça transperce tout, sans prévenir, sans précaution et avec rancune. Ça attaque et broie tout l'invisible à l'intérieur, ça coupe la vie et l'envie de tout.
Je ne comprends que nous sommes dehors qu'à partir du moment où le vent glacé racle mes joues enflées et trempées. Nous marchons quelques mètres, mais Jonas n'arrive plus à me soutenir, et je me laisse choir sur le sol. Je commence à grelotter, mais j'accueille presque avec joie la morsure physique du froid qui, pendant quelques secondes à chaque bourrasque, étouffe la terreur à l'intérieur de mon ventre.
Jonas s'accroupit face à moi et prend mon visage entre ses mains.
- Ça va aller, dit-il.
Je secoue la tête, les lèvres closes pour ne pas hurler dans la rue.
C'est fini, je l'ai perdu. Je l'ai déçu. Je l'ai fait souffrir. Je l'ai trahi.
J'ai été lâche. J'ai été égoïste. Je ne le mérite pas.
Entre mes larmes, je vois Jonas amener son téléphone à son oreille, je vois ses lèvres bouger, mais j'enfouis ma tête entre mes bras.
Il n'y a plus rien, il n'y a plus de nous, tout est de ma faute. Je suis misérable.
J'entends des pas dans la rue, une nouvelle main se pose sur mon épaule, puis des bras m'enserrent. On me répète de nouveau que tout va bien aller, qu'on est là pour moi. Je reconnais le parfum fleuri de Lys, et je me laisse aller contre son corps. Deux autres bras se referment autour de mon corps meurtri, rongé de l'intérieur, vidé peu à peu de couleur pour qu'il ne reste que la sombre nature de mon être, flétri, recroquevillé sur lui-même, comme un corps fané, abandonné, sans fièvre pour faire battre ses veines, sans tendresse ni douceur pour raviver ses muscles et sa peau, sans baisers pour lui entrouvrir les lèvres, sans amour pour lui faire ouvrir les yeux.
Un corps sans cœur à partager.