J'ai passé le plus clair du vol à réfléchir à ce que m'avait dit Octave. Peut-on supposer que des gens de notre époque soient encore en vie ? Ou du moins, de « nouveau » en vie ? Est-ce tout est lié à nous ? Que sommes-nous censés faire ?
« Alex ? Le bus est là.
— Ouais, ouais... J'arrive. »
Plusieurs heures d'avion pour des heures de bus. Je n'aurais jamais eu aussi mal aux fesses de ma vie.
« Alors ? Tu as discuté avec Octave ? Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
— Rien...
— Rien d'intéressant ou "rien" dans le sens où tu ne veux rien me dire ?
— Je suis juste confus. Je crois que j'ai besoin de réfléchir à tout ça.
— Tu réfléchis depuis des heures déjà. »
Théo a raison. Cela ne me ressemble pas de me prendre autant la tête avec ce genre d'histoire, mais peut-on m'en vouloir ? J'ai l'impression d'avoir mis mon nez dans un casse-tête impossible et je hais les casse-tête. Je hais le fait de nager encore et toujours plus profondément dans des eaux troubles.
Sincèrement, j'aimerais avoir des réponses, ne serait-ce que des éléments.
Les seules réponses que je peux obtenir viennent d'Octave et ce dernier prend un malin plaisir à m'embrouiller encore plus.
Je le déteste. Depuis quand est-il comme ça ?
« Tu vas nous suivre encore longtemps Octave ?
— Je vous ai déjà suivis jusque dans la mort, alors honnêtement, on est plus à ça près. Tu ne crois pas Théo ?
— Je ne te fais toujours pas confiance.
— C'est ton problème. Il n'y a pas que vous qui avez besoin de refaire un petit plongeon dans le passé.
— Qu'est-ce que tu cherches toi ?
— À réparer une erreur. »
Octave a dit qu'Octus, Thétis et Alexander sont morts la même nuit. Il a aussi insinué que tout était lié à notre dernière guerre.
Mais je n'y arrive pas. Je n'arrive pas à m'en souvenir.
Des guerres, j'en ai fait. Elles étaient à la fois toutes pareilles et toutes différentes. Elles ont fini dans le sang.
« Dire que l'on retourne là-bas... »
Oui. On retourne là-bas. On retourne là où tout a commencé pour nous... Ou là où tout s'est terminé.
Pourquoi sommes-nous morts ? Pourquoi nous trois ?
Octave et moi étions soldats, mais Théo ? Il n'était qu'une fille de cité parmi tant d'autres.
Aurait il été puni pour avoir pour seul crime le fait de m'aimer ?
Dans ce cas, je suis en partie responsable de sa mort. Si j'avais su que la moindre menace planait au-dessus de sa tête, je n'aurais jamais risqué sa vie. C'est évident. J'aurais préféré la protéger. La garder à l'abri de tout danger. De toute menace.
De toute fin tragique.
Pourquoi sommes-nous morts ? Dans quel but ?
« Home sweet home, les copains. »
Octave descend du bus, sac sur le dos tandis qu'on le suit.
Le paysage s'était certes modernisé, mais je reconnaissais les versants de ces montagnes. Je reconnaissais ces prairies...
« Nous sommes à la maison. »
Je suis censé être heureux ici. J'ai vécu les meilleurs moments de ma vie ici. J'ai rencontré les meilleures personnes au monde.
Alors pourquoi ce poids au cœur ? Pourquoi ai-je si peur ?
Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.
« Vous croyez qu'il est trop tard pour rentrer ? »
Me retournant, j'aperçois le bus s'en allant déjà.
« Alex, t'as la trouille ?
— La trouille ? Pfff ! N'importe quoi ! J'ai affronté des légions à moi seul ! Je n'ai jamais eu la "trouille". N'importe quoi !
— Alex...
— Bon OK, j'ai la pétoche. »
Suis-je le seul d'ailleurs ? Ils paraissent si sereins tous les deux.
« De toute façon, on ne peut plus rentrer. Maintenant, il faut qu'on aille de l'avant... Tous les trois.
— La dernière fois, être tous les trois, ça ne nous a pas réussi. »
Malgré tout, je sais qu'ils ont raison. Il faut qu'on y aille.
Pour une ultime fois. Pour un dernier rendez-vous avec l'Enfer lui-même et les Dieux.
« Bon, il paraît que la mort est une journée qui mérite d'être vécue. Allons-y !
— On te suit Alex ! »
Quitte à mourir pour la seconde fois, autant le faire la conscience tranquille. Je ne veux plus avoir de regrets.
Je veux savoir.
Savoir quel but a servi nos trois disparitions.