Bien bien ...
Ma foi, bonjour à tous et à toutes 😘 Comment allez vous en cette veille de réveillon ?
Comme promis, voici le chapitre et j'espère qu'il vous plaira ... 😉
Nekfeu
➰
"Stop, mec, j'en peux plus ! " Beugla-t-il comme un débile par-dessus le vent glacial de ce trente-et-un décembre, entre deux respirations erratiques. Je grognai et revins sur mes pas en trottinant sur place, les yeux plantés sur mon pote qui agonisait. Il cracha sur le côté et s'accroupit en posant les mains à plat sur le sol humide. Il respirait comme un foutu bœuf en direction de l'abattoir.
" C'est bon ? " M'agaçai-je après plusieurs secondes.
" Non, ce n'est pas bon, bordel ! Et puis qu'est-ce que t'as en ce moment ? T'as un vers au cul ou quoi ?! Ça fait une semaine qu'on court tous les jours, j'en ai marre, Nek, sans déconner ! T'es jamais fatigué ?! "
Non. Hyperactif, insomniaque, énervé, sous-tension, crispé, stressé, putain de rongé par la culpabilité et le manque, ça, oui, je l'étais. Mais je n'étais pas « fatigué » : juste au bord de la crise de nerfs à tous moments de la journée. Je ne dormais plus ou que très peu, n'avais jamais ingurgité autant de caféine de ma vie et n'avais que très rarement eu aussi envie de crier au monde entier d'aller se faire foutre. Ça me grignotait de l'intérieur, me démangeait comme une piqure de moustique. Et j'avais beau trainer Antoine par la peau des fesses pour venir courir avec moi : ça ne s'arrangeait pas. Cette merde corrosive grossissait comme un ballon gonflé à l'hélium dans mon estomac : plus je m'épuisais physiquement, moins je dormais, tourmenté par le regret et mon inutilité jusqu'à dans mes foutus cauchemars.
J'allais péter un boulon. Quand ? Très sincèrement, j'espérais que cela ne se produirait pas avant longtemps. Car, compte tenu des monstruosités que recelait mon esprit dégénéré, mieux valait pour tout le monde que je n'explose pas. Pour le moment, l'unique chose qui était parvenue à détourner mes pensées avait été le showcase de la veille. Je n'avais jamais été aussi enragé sur scène, tellement que Mek' avait cru bon de me demander de me calmer. Je l'avais envoyé bouler, méchamment et injustement, puis était retourné sur scène pour donner mes foutues tripes à mon public. J'avais été tellement éreinté par ma performance que j'avais refusé d'aller boire un verre avec les gars et étais directement parti me coucher. Sauf que – parce qu'il y a toujours un putain de « sauf que » - tard dans la matinée, un horrible mauvais pressentiment m'avait réveillé en sursaut. Ça m'avait donné la gerbe et noué les boyaux comme un sac de nœuds compact. Le conglomérat de toutes ses mauvaises ondes avait formé une boule de la taille du monde dans mon estomac et m'avait empêché de manger pendant des heures.
Soyons clairs, je ne croyais pas en l'hypothèse totalement psychédélique et complétement cliché qu'avaient les meufs, émettant la possibilité que tout le monde dans ce monde de dératés avait sa part complémentaire : pour un mec comme moi qui avait perdu son putain de premier amour, c'était impossible à concevoir. Toutefois, le mauvais pressentiment qui m'avait rendu aussi comateux qu'un lendemain de cuite, m'avait fait douter de la force de ce satané lien qui me reliait à Max. Ce n'était pas explicable et encore moins intelligible : je l'avais senti, point barre.
Une peur titanesque s'était enroulée autour de mon myocarde et m'avait poussé à la harceler de messages tous plus ridicules les uns que les autres. Bien entendu, elle n'avait pas répondu. J'avais donc appeler Antoine pour avancer l'heure de notre jogging et nous y voilà : à courir après des réponses comme deux clébards derrière un os.
" Non, je pète la forme. " Marmonnai-je ironiquement avant de ne m'immobiliser lorsque mon pote me lorgna de travers. " Quoi ? "
" Tu mens. Tu mens depuis des jours et je déteste ça. " Me reprocha-t-il en se redressant.
" De la part d'un mec qui couche avec un mensonge ambulant, ça ne me fait rien du tout, mon pote. " Il grimaça et me brandis son majeur en partant s'asseoir sur un banc.
" T'es vraiment qu'un sale con, mec. Sans rire. "
" Ta meuf m'a dit la même chose l'autre soir. " Répliquai-je en me laissant tomber près de lui. Il ne me répondit pas pendant plusieurs secondes puis soupira juste suffisamment fort pour que je parvienne à l'entendre :
" J'suis plus avec Rose. 'Fin, j'sais pas. " Se corrigea-t-il immédiatement. " Disons qu'elle ne donne plus de nouvelles depuis le dîner avec ses parents et que la dernière fois que j'ai entendu parlé des Laurens, c'est quand Maxine est venu chez Doum's. Sinon, c'est silence radio." Je pinçai mes lèvres, septique. Pourquoi, putain, les Laurens avaient-ils si soudainement disparu de la surface de la terre ?
" Je suis désolé pour toi, mec. " Il ricana amèrement – il avait certainement compris l'hypocrisie dans ma voix. " Si ça peut te rassurer, c'est pareil pour moi. "
" Avec Max ? " S'enquit-il.
" Ouais. Elle ne répond pas à mes texto. " Cette connasse.
" Elle a changé de téléphone, pauvre abruti. " Je braquai mon regard dans sa direction, stupéfait d'être le dernier au courant de cette nouvelle.
" Tu déconnes ? "
" Ne me regarde pas comme ça. " Baragouina-t-il. " T'as qu'à demander à Bigo : il te donnera le nouveau. "
Petite devinette : qui était la première personne que j'appelai en rentrant chez moi ?
Dans le mille : Burbigo lui-même. Après avoir brièvement parlé de la fête de ce soir, j'eus même le privilège d'avoir Eff' à l'autre bout du fil. Et lorsqu'il eut terminé son petit débriefing sur la conversation totalement invraisemblable qu'il avait eue avec ma meuf, je frôlai de près la tachycardie. Je raccrochai sans même m'en rendre compte et restai pétrifié sur mon canapé une éternité, le cerveau en ébullition, les neurones en compote, les yeux plantés sur ma télévision éteinte. Seuls les vibrations de mon téléphone qui était tombé sur ma cuisse parvinrent à me sortir de ma torpeur. Tel un parfait idiot, je dus m'infliger de claques mentales pour me contraindre à lire le sms que Bigo venait de m'envoyer. Il s'agissait du nouveau numéro de Max.
« J'ai raison de flipper ou pas ? » accompagnait le message.
« Ouais » écrivis-je avant de ne tout effacer et corriger : « Nan, tqt » J'envoyai ... et ne pus m'empêcher de rajouter : « Enfin j'crois pas »
Il vit le message dans la seconde mais n'y répondit pas. Je verrouillai donc mon portable et le balançai négligemment dans un coin de mon canapé. Putain de merde, songeai-je en enfouissant mon visage entre mes mains. Qui est-ce que j'essayais de convaincre là, tout de suite, dans l'immédiat ? Mon pote ou moi ? Moi. Moi et seulement moi. C'était une telle foutue évidence que cela réveilla mes nausées matinales : Max continuait de chercher, peut-être même avait-elle déjà trouvé. Auquel cas, la Maxine que je connaissais n'avait plus lieu d'être.
Et. Tout. Ça. Etait. De. Ma. Putain. De. Faute.
Si je ne m'étais pas connement laissé entrainer par la curiosité maladive qu'elle m'inspirait, Maxine serait encore à moitié saine d'esprit et aurait encore une famille. Elle aurait continué de se noyer dans l'océan de mensonges dans lequel ses parents et sa sœur l'avaient intentionnellement immergée trois ans auparavant, certes, mais ma photographe serait encore la grande Maxine Laurens : pas la meuf que j'avais vue lors de la soirée de Doum's. Pas celle qui ne tenait sur ses deux jambes qu'uniquement par l'opération du saint esprit. Pas la femme rongée jusqu'aux os par la tristesse, esseulée et si sinistre.
Les remords me tombèrent dessus, un à un, lentement et douloureusement. Ils s'enfoncèrent vicieusement dans ma cervelle et me plongèrent dans un état de panique sans pareil. Mon cœur battit plus vite, mes mains devinrent moites et mon estomac se contracta douloureusement dans le vide. Je ne savais pas comment réparer ça. Je ne savais pas. Ma connerie me dépassait : j'étais dépassé, affligé par la tournure dramatique qu'avait prise la vie de ma copine par ma faute et celle de ma curiosité. Elle m'avait prévenu, pourtant. Elle me l'avait dit, n'est-ce pas ? Elle m'avait dit que fouiner dans son monde me porterait préjudice ; que j'en souffrirais. Alors pourquoi avais-je continué ? Pourquoi m'étais-je acharné à déterrer tous les plus vils secrets de cette famille internationalement réputée ?
Parce que c'était le jeu. Parce que cela n'avait jamais été qu'un connard de jeu entre nous deux. Un sourire nerveux fit trembler mes lèvres tandis que je tirais mes cheveux vers l'arrière. Sauf que si on y réfléchissait bien, ce jeu, Maxine n'y avait jamais joué, elle. J'avais avancé mes pions, usant de stratagèmes malsains pour amorcer ma victoire imminente, mais Max, qu'est-ce qu'elle avait fait, elle ? Si ce n'est, bien sûr, me cracher des vérités à la gueule et me mettre aux pieds du mur ? Rien. J'avais joué seul depuis le début et avais tristement survécu à la partie.
Et je ne savais pas comment réparer ça. Je ne savais pas. J'étais seul, incommensurablement seul face à mes responsabilités. J'étais ce môme de quinze piges à qui on demandait de choisir un métier alors qu'il n'en connaissait même pas un susceptible de lui plaire. J'étais ce gosse qui avait maladroitement brisé un vase hors-de-prix et qui ne savait pas comment le rapiécer. J'étais ce mec qui avait cassé en deux la meuf qu'il aimait et qui ne savait plus quoi faire pour rassembler tous les morceaux.
L'appeler ? Pour lui dire quoi ? Que j'étais désolé ? Laissez-moi rire. Elle me raccrocherait au nez dans la seconde. La rejoindre ? Où ? Putain on parlait de Maxine Laurens, là ! Cette meuf était aussi fugace qu'un courant d'air ! La preuve en est : miraculeusement, elle était parvenue à filer en douce alors que j'étais dans le même appartement qu'elle. Joindre sa sœur ? Je préférais me couper les veines. Appeler Deen ? Je -
La sonnette de mon appartement sonna au même moment. Surpris, je braquai mon regard vers l'entrée en me remettant debout. Je zyeutai vers l'heure qu'indiquait ma télévision et fronçai mes sourcils. Les deux reufs n'étaient pas supposés venir me chercher avant cinq bonnes heures. Cependant, lorsque cet abruti fini se mit à tambouriner sur ma porte, je ne me fis pas prier : s'il était suffisamment stupide pour venir me faire chier un trente-et-un décembre après-midi, il ne sera sûrement pas contre le fait que je déverse ma panique corrosive contre lui.
Ressourcé par la possibilité de me défouler contre quelqu'un, je rejoignis la porte d'entrée contre laquelle il toquait de plus en plus fort et l'ouvris si violemment que le type manqua de tomber sur moi. Je le repoussai avec tout autant de virulence et m'apprêtai à hurler sur ce gringalet lorsqu'il me devança :
" Arrêtez ! " Beugla-t-il en relevant ses mains en signe de réédition. " Stop, stop, arrêtez : c'est votre amie ! " Je me pétrifiai, le visage encore déformé par l'adrénaline qui coulait dans mes veines.
" Quoi « votre ami » ? " Sifflai-je en lorgnant de haut en bas ce rouquin à peine plus épais qu'une brindille.
" Maxine Laurens, vous connaissez ?! " S'échauffa-t-il et je jure n'avoir jamais connu une telle chute émotionnelle : en un clignement de cils, la voile écarlate qui obstruait ma vision se délia et fit place nette à l'effroi. Je me paralysai et ouvris bêtement mes lèvres, incapable de prononcer un mot. Il n'y avait pas de coïncidences dans ce monde. Ça n'existait tout simplement pas. " Maxine Laurens, vous connaissez, oui ou merde ?! " S'excita le jeunot.
" O-Oui, je la co- "
" Bien, alors venez avec moi ! " Avant que je ne puisse comprendre, l'adolescent m'agrippa l'avant-bras et tenta de m'entrainer avec lui dans le hall d'escaliers, mais je plantai rapidement mes pompes dans le carrelage pour l'arrêter. J'arrachai mon putain de bras à ses doigts et pris un pas de recul.
" T'es – "
" Ecoutez, monsieur, je vais être très clair. " Commença-t-il après avoir pris une grande inspiration. " Je suis conducteur de taxi et ma nouvelle bagnole est actuellement en double file en bas de chez vous. Votre amie, Maxine Laurens, est actuellement dans ma voiture et est incapable de sortir de ma caisse. Donc soit vous venez la chercher, soit je l'abandonne sur le trottoir. C'est clair ou - "
Je dégageai ce rouquin prébubère de mon chemin avant qu'il ne termine sa phrase à rallonge et descendis les étages aussi vite que me le permettait mes jambes.
Ça n'avait aucun rapport avec mon mauvais pressentiment de ce matin et ce que j'avais appris plutôt dans l'après-midi. Aucun. Rien ne servait de paniquer : Maxine était une grande fille ; elle savait ce qu'elle faisait. Il n'y avait donc aucune raison de paniquer, n'est-ce pas ? Mais pourquoi courais-je alors ? Pourquoi mon myocarde propulsait-il autant de sang vers mes tympans et battait aussi vite ?
Je sautai les cinq dernières marches et poussai la porte en verre de mon immeuble pour m'engouffrer presqu'aussi rapidement dans la circulation parisienne. Je repérai rapidement la Renault Mégane noire que je cherchais – ce n'était pas compliqué, à peu près tous les conducteurs la klaxonnaient – et me hâtai de la rejoindre.
La première chose qui me sauta aux narines lorsque j'ouvris la portière arrière fut l'épouvantable odeur de vomi. Une fraction de seconde, je fus presque désolé pour ce type : sa voiture était sinistrée. Je grimaçai, écœuré et terrifié par l'état dans laquelle j'allais récupérer ma photographe, et eus un brutal arrêt lorsque je la découvris sur la banquette, recroquevillée sur elle-même. Elle était livide : il n'y avait pas d'autre mot adéquat. Livide, moite de sueur et aussi immobile qu'une statue de cire. Son pull-over, son jean et ses chaussures étaient tâchés et ses lèvres pulpeuses viraient au mauve. Ses petits bras maigrelets étaient enroulés autours de ses genoux et ses yeux semblaient s'être égarés entre la réalité et son si précieux monde.
Elle était perdue.
Je l'avais perdue.
Je paniquais.
Et me perdis à mon tour.
" Mon cœur ... " La hélai-je doucement pour ne pas l'effrayer mais elle ne réagit pas le moins du monde.
Je m'accroupis sur le trottoir pour être à sa hauteur et replaçai délicatement les quelques mèches de cheveux collés à son front moite. Elle était gelée et semblait pourtant asphyxier dans ses vêtements. Lorsque mon doigt frôla par inadvertance la cicatrice sur le haut de son crâne, j'attirai enfin son attention. Lentement, trop lentement pour ne traduire son état de choc, ses deux jolis yeux roulèrent jusqu'à rencontrer les miens. Je tentai de lui sourire ... mais abandonnai tout aussitôt. Putain, c'était intenable.
Il n'y avait plus âme qui vive dans ce regard que j'aimais si aveuglément : c'était un vide abyssal. Un supplice pour mon organe vital qui se comprima douloureusement son mon pectoral.
" Salut, bébé ..." Lui susurrai-je en caressant sa joue. Bon sang, il n'était pas humain d'être aussi froid. Je posai rapidement ma main sur sa mâchoire pour lui insuffler un peu de chaleur et fus moi-même étonné de constater que mes doigts tremblaient. " On rentre à la maison, ok ? " La prévins-je doucement après avoir récupéré sa sacoche à ses pieds.
Elle ne répondit rien mais ne rechigna pas lorsque je glissai mes bras dans son dos et sous ses genoux. Au contraire, à peine la soulevai-je que ses doigts vinrent s'accrocher fébrilement à mon tee-shirt de sport. J'eus quelques difficultés à la sortir de l'habitacle bas perché mais eus nettement plus de facilités une fois totalement droit. Je fis rouler mes épaules pour décontracter mes muscles noués par l'effort et fermai la portière d'un coup de pied pour que le propriétaire ne voit pas le vomi sur le banquette arrière. Une fois certain que je ne risquais pas de faire tomber mon précieux colis sur le bitume, je me démerdai pour faire passer ses jambes autour de mes hanches et le remerciai silencieusement lorsqu'elle trouva la force d'enrouler ses bras autour de ma nuque. Tant pis pour la propreté de mes vêtements : tant qu'elle était dans mes bras, elle pouvait me faire tout ce qu'elle voulait. Je glissai ma main sous ses fesses pour la garder stable, ajustai la hanse de sa besace sur mon épaule, puis entrepris de retourner à l'intérieur.
Bien sûr, c'était sans compter sur l'intervention de ce connard de chauffeur – qui, rappelons-le, avait émis l'hypothèse d'abandonner ma meuf sur un trottoir !
" Eh ! Oh ! Elle n'a pas payé ! " S'étrangla-t-il en me m'harponnant le bras une seconde fois. Je grognai, de plus en plus agacé par ce gamin à peine majeur et grognai d'impatience quand il fut devant moi.
" C'est ça ou je porte plainte pour agression physique, sombre merde. " Lui expliquai-je en désignant d'un regard assassin sa main sur mon poignet. Il l'enleva immédiatement et fis des yeux ronds. " Sage décision. " Ruminai-je en repartant.
Gravir les étages fut bien plus laborieux que prévu. Cela dit, il était hors de question que je la lâche une seconde. Je pris donc sur moi et me butai à avancer jusqu'à mon appartement grand ouvert. Une fois enfermés à clef, je me hâtai de nous emmener dans la salle-de-bains et la posai avec toute la délicatesse du monde sur le lavabo. Elle ne bougea toujours pas. Ce qui m'alarma outre mesure. Elle semblait malade ou au bord de l'évanouissement. Ses lèvres viraient au bleu et son regard errait désespérément dans le vide. Elle hoquetait en silence par moment et battait des cils quand une pensée traversait ses yeux limpides. Elle trainait sur elle l'odeur pestilentielle du vomi et j'eus beau lui enlever tous ses vêtements, elle ne réagit toujours pas. En réalité, je n'étais même pas certain qu'elle sente mes mains dans le creux de ses reins, mes doigts sur son ventre ou mes paume sur ses cuisses nues.
Elle n'était plus là. Ma Max n'était plus là.
Et j'étais le foutu responsable.
J'allais chialer.
" Maxine ? " Je lui chuchotai lorsqu'elle fut totalement déshabillée mais elle ne parut se souvenir de ma présence que lorsque je lui attrapai précautionneusement le menton. " Allez, bébé, on va prendre une douche. Je vais ... On va ... " Je me mis à bafouiller, la gorge soudain nouée par l'angoisse. Je ne savais pas ce que j'allais faire. J'étais dépassé. J'avalai avec peine ma salive et embrassai le front glacé de ma copine en fermant douloureusement mes paupières. " Tu vas t'en sortir, Max. " Le réconfortai-je en contrepartie. " Tu t'en sors toujours, bébé. "
Elle ne fut même pas capable de descendre seule du lavabo. Et ce fut la même chose sous la douche : ses genoux tremblaient tellement que j'avais fini par la faire s'asseoir dans la basque pour ne pas risquer qu'elle s'effondre. Spontanément, elle avait ramené ses petites jambes contre sa poitrine dénudée et je l'avais de nouveau tristement perdue. Elle s'était recroquevillée sur elle-même et n'avait cessé de grelotter que lorsque l'eau était devenue brûlante. Par souci de conscience, je m'étais contenté d'enlever mon tee-shirt et de shampouiner ses cheveux emmêlés pendant d'interminables minutes. J'avais peur de mal faire. De la briser encore un petit peu plus, même si je peinais à croire que c'était possible.
Bêtement, j'avais espéré que son état de choc partirait avec l'eau dans le siphon, mais ce fut tout le contraire : plus les minutes s'écoulaient, plus elle me filait entre les doigts. Elle s'effaçait, s'évanouissait mentalement. Elle était revenue une petite minute lorsque je lui avais fait faire un bain de bouche pour lui enlever le gout amer de la bile, mais elle était repartie tout aussi vite. J'avais presque pu voir la lueur dans ses yeux s'éteindre, discerner le voile opaque du traumatisme retomber devant son regard terne. Ça m'avait déchiré le cœur en deux. Intérieurement, je chialais comme un gosse face à une dispute entre ses deux parents : empoté, superflu et écharpé jusqu'à l'âme. J'avais beau la voir, la sentir et la toucher du bout des doigts, la sensation de sa peau à peine tiède contre la mienne doublée du néant absolu qui se déversait dans ses prunelles ébène, me donnait l'impression de tenir un fantôme dans le creux de mes bras.
Je coupai l'arrivée d'eau lorsque ses lèvres écorchées retrouvèrent enfin leur couleur naturelle et l'enrubannai dans la serviette duveteuse qu'elle utilisait habituellement. Je glissai délicatement mes mains sous ses aisselles pour l'aider à se relever et fus heureux de constater qu'elle pouvait désormais tenir debout sans risquer de tomber. Je passai un temps phénoménal à l'essorer, persuadé de la fracasser au moindres faux mouvements, puis l'emmenai dans ma chambre pour lui enfiler des vêtements chauds. Elle ne sourcilla pas, ne me sourit pas, ne me regarda pas, pas même lorsqu'elle se glissa entre les draps et le matelas et que ses yeux se posèrent sur moi.
Elle ne me voyait pas : j'étais là sans être là. J'étais l'âme errante qui s'occupait désespérément de la sienne ; l'âme en peine qui, si égoïstement, tentait de l'arracher à son précieux univers où plus personne ne pouvait l'atteindre – ne pouvait la briser davantage. Mais, putain, qui étais-je pour vouloir la ramener auprès de moi ? De quel droit tentais-je de la raccommoder ? Elle que j'avais si injustement embrigadée dans mes jeux ?
Mon visage se défigura dans une grimace douloureuse. J'étais écœuré de moi-même, rebuté par tout ce que nous avions fait à la femme que j'aimais. Intentionnellement ou non : finalement, les résultats étaient les mêmes.
Nous avions brillamment brisé la grande Maxine Laurens. Ma foutue Maxine Laurens.
" Je suis tellement désolé, Max ... " Chuchotai-je en dégageant les cheveux humides qui s'étaient emmêlés dans ces cils. " Tellement, tellement putain de désolé. " Répétai-je en cachant le bas de mon visage dans mon avant-bras ; je ne voulais pas qu'elle croit que ce rictus amer sur mes lèvres était pour elle. Non, ce rictus, elle était pour moi. Ce incommensurable connard que j'étais.
Je ne sus combien de temps je restais à son chevet, agenouillé à quelques maigres centimètres de son corps amaigri, le regard fixement planté dans le sien qui s'éteignait un peu plus à chaque seconde. Bien évidemment, il fallut que mon téléphone sonne dans le salon lorsqu'elle s'endormit enfin. Surpris dans ce moment de faiblesse absolu, je sursautai comme un idiot fini et vérifiai une ultime fois que ma brune respirait convenablement avant de ne foncer le récupérer.
C'était Bigo. Dans un soupir, je décrochai et tombai dans le fond de mon canapé.
" Ouais ? " Marmonnai-je et je fus moi-même étonné de la gravité de ma voix. Au silence qui suivit, je sus même que je devais encore plus pitoyable qu'à l'accoutumé. Chiennasse de vie, rageai-je tristement en posant mon front dans ma main.
" J'avais raison de m'inquiéter, pas vrai ? " En conclut-il immédiatement, ce qui me fit ricaner nerveusement. Douce, douce putain d'ironie.
" Elle est chez moi, là. Je l'ai ... "
Je me tus immédiatement, pris au piège par les barreaux du silence. Mes mots restèrent bloqués dans ma gorge tandis que la triste vérité me sautait à la gorge : je ne serai jamais plus capable de m'exprimer librement sur Maxine. Avec quiconque. Les secrets que je détenais sur elle et sa famille me cloisonneraient dans le mutisme pour le restant de mes foutus jours. Et tout comme ils le faisaient en ce moment-même, la frustration, la culpabilité et les regrets prendront un malin plaisir à me ronger les os comme des chiens affamés. Quand avais-je perdu mon foutu libre-abrite ? Ma putain de liberté d'expression ? Et pourquoi Diable était-ce en train de me faire imploser de l'intérieur ?
Or, j'avais besoin d'en parler : viscéralement. Pas au monde entier, seulement à quelqu'un ayant la possibilité de m'écouter, de m'aider : qui apprécier Maxine pour ce qu'elle était. Parce que j'avais incontestablement besoin d'appui, n'est-ce pas ? Ma fierté toute masculine et mon égo surdimensionné en prendraient un satané coup, mais si les Laurens m'avaient bien appris une chose, c'était qu'il fallait savoir quand s'arrêter et baisser les armes. De toute façon je n'avais plus de minutions : je tirais dans la vide pour ne pas entacher ma foutue réputation d'homme indépendant, mais ça sonnait creux. Je n'étais plus capable de gérer ça seul. Je n'y arrivais plus. Je n'étais pas Maxine ; le silence n'avait jamais été mon fort.
Je poussai un soupir à fendre l'âme en tirant sur la pointe de mes cheveux. Tout était tellement putain de compliqué dans ce monde, constatai-je pour la millionième fois de mon existence.
" Tu veux que je vienne ? " S'enquit-il à l'autre bout du fil.
Le sérieux dont il fit preuve enclencha la minuterie dans mon crâne.
Tic, tac, tic, tac.
Trahir la confiance de Maxine – déjà sérieusement endommagée pour toutes les crasses que nous nous faisons mutuellement – pour l'aider elle, puis moi subsidiairement ... Ou, encaisser en silence et prier tous les putains de Dieux pour qu'on tienne le coup tous les deux ?
Tic.
J'peux pas faire ça, putain.
Tac.
Et pourtant.
" Ouais, mec. J'ai ... Putain, j'ai besoin d'aide. "
***
" (...) et depuis elle dort. " Conclus-je derrière le goulot de ma bière.
" T'as aucune idée de ce qui s'est passé ? " Je fis la moue en haussant mollement mes épaules. La réalité était que beaucoup trop d'hypothèses me taraudaient l'esprit.
" Je présume qu'elle a trouvé les réponses à ses questions ... " Pensai-je à voix haute avant de ne décapsuler une énième bière. ... " Mais que la vérité était trop dure à encaisser. Même pour la grande Maxine Laurens. "
Le silence dans mon appartement devint assourdissant. L'atmosphère était chargée en non-dits et puait l'inachevé ainsi que la cigarette froide. Le cendrier était plein, les cadavres de bouteilles s'accumulaient autour de notre binôme et seule la lumière bleuâtre émanant de la télévision allumée sur la chaine des infos éclairait mon salon. Tels deux débiles profonds, nous nous étions assis à même le sol plutôt que sur le canapé pourtant grand, et nous étions adossés à ma table-basse, face à l'écran plat qui m'avait couté la peau du cul.
Il était 23h47. J'avais demandé à Mek' et Fram' de ne pas venir me chercher il y a un peu moins de quatre heures. Maxine dormait depuis trois-cent minutes. Deen était arrivé à 20h37. Il était tout autant dans la merde que moi depuis deux petites heures. Nous serions en 2016 dans sept-cent quatre-vingt secondes. Et pourtant j'étais à peu près certain que la prochaine année serait tout aussi à chier que la fin de 2015.
Cette sombre conviction me fit soupirer. Je basculai mon crâne en arrière et tendis mes jambes devant moi pour détendre mes muscles crispés. J'étais las, épuisé, tourmenté, rassuré. Rassuré car la solitude ne broyait plus ma poitrine dans ses griffes malfaisantes. Désormais nous étions deux à savoir que la famille Laurens était pourrie jusqu'à la moelle et que Maxine n'avait jamais été que le cobaye de sombres dégénérés.
" Putain, mec, c'est ... " Souffla Deen avant de ne ricaner nerveusement. Du coin de l'œil, je l'observai frotter sa barbe entre ses doigts puis adopter la même position que la mienne.
" Ouais, comme tu dis. " Marmonnai-je avant de ne boire une gorgée de ma bière. " Je suis passé par la moi-aussi. Tu sais ? Le déni, la consternation ... Tout ça. "
" Fonky est au courant ? " Je hochai mollement la tête. C'était plus fort que moi, l'impression que mon reuf couchait avec l'ennemi me donnait la gerbe.
" Seulement pour les trente mille balles. "
" Putain ... Et maintenant, on fait quoi ? " M'interrogea-t-il et je décelai dans la seconde le brin d'inquiétude dans sa voix éraillée par le joint qu'il fumait.
Ma foi, c'était une très bonne question. Malheureusement, je n'avais pas la réponse pour le moment. En fait, je n'étais même pas certain de l'avoir un jour. Maxine ne me parlera jamais aussi facilement de ce qu'il s'était passé pour qu'elle finisse dans un état pareil. Et je n'étais assurément pas en mesure de la contraindre à parler, à m'expliquer. A juste titre, elle m'enverrait bouler. De toute manière, nous parlions de Max : elle ne laissera jamais personne contrecarrer ses plans. Et là était l'unique certitude que j'avais : elle avait un plan, une foutue vengeance en tête. Je l'avais su dès l'instant où mes yeux s'étaient posés sur son ordinateur, quelques semaines plus tôt. Qui, si ce n'est cas exceptionnel, irait fouiller dans les bilans budgétaires de l'entreprise de son père par simple plaisir ? Personne. En tout cas, ni moi, ni Bigo et encore moins Maxine.
" On la laisse dormir. " Conclus-je sans conviction. " Pour le moment je ne sais même pas dans quel état d'esprit elle sera demain. Et, putain, toi et moi savons à quel point ... "
" Max est changeante. " Finit-il à ma place dans un soupir. " Ouais, je sais. " Il apporta son ter à ses lèvres et inspira profondément. Cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas touché à ces merdes que je ne ressentais même plus le besoin de sniffer l'air. " Mec, je me sens complètement dépassé. " M'avoua-t-il. " Putain d'inutile, de superflu ... Tout ce que tu veux mais je me sens mal. "
" Moi aussi. " Admis-je de façon inaudible, les bulles de ma bière rentrant soudain en irruption dans mon estomac.
" T'as des hypothèses ? "
" Sur ce qu'il s'est passé la nuit de ses vingt-et-un ans ? "
Il hocha la tête et détourna son attention de la télévision pour me regarder moi, cette sombre merde que j'étais. Je rivai mon regard vers la bouteille entre mes mains et trifouillai nerveusement l'étiquette en papier tandis qu'un rictus amer étirait mes lèvres.
Bien sûr que j'avais mon idée. J'espérais seulement qu'elle soit au fausse. Dans le cas contraire, le compte à rebours qui venait de s'afficher sur l'écran en face de nous ne signerait pas seulement la fin de l'année 2015 ; il signerait aussi la fin définitive de la Maxine Laurens que nous connaissions.
" Bonne année, l'Fennec. " Me souhaita-t-il en trinquant négligemment dans ma bouteille en verre.
" Bonne année, Bigo. " Chuchotai-je, égaré dans de sombres pensées qui, je l'espérais très sincèrement, ne se réaliseraient jamais.
➰
😭
Alors vous avez aimé ?
Plus que 5 chapitres avant la fin 😭
Pourquoi Maxine est-elle en état de choc ? Qu'a-t-elle appris ?!
J'ai eu enoooooormement de mal à écrire ce chapitre, j'espère que je suis parvenue à vous le faire aimer 😔
En tout cas, je souhaite de merveilles fêtes à celles que les fêtent ! Profiter de votre famille, de vos proches, goinfrez-vous, éclatez vous ... Noël c'est aussi fait pour ça ! Bien sûr j'embrasse aussi toutes celles qui ne fêtent pas Noël et vous souhaite une bonne fin de week end ❤️
On se voit jeudi prochain 💕
-Clem