- Point de vue d'Ethan -
Deux semaines. Deux putains de semaines durant lesquelles j'ai été coincé dans cette satanée chaise roulante. Quatorze jours durant lesquels Thaïs, Liam et absolument toute la planète n'avaient pas arrêté une seule seconde de me prendre pour un démuni. "T'as besoin d'aide ?" ; "C'est définitif ?" ; "Oh mon pauvre !" .. Bordel. Je ne savais vraiment pas ce qui avait pu m'empêcher de tous les envoyer se faire foutre. Peut-être bien la petite voix casse-pieds présente dans ma tête qui me rabâche jour et nuit que ce n'est que de la gentillesse. De la gentillesse, tu parles. Je n'avais pas besoin de leur pitié.
J'avais passé le plus clair de mon temps à faire la gueule, et à ignorer tout le monde. Y comprit Thaïs. Super idée. Cette situation était un véritable cauchemar, je n'arrivais plus à supporter les regards compatissants de ma copine. Fierté mal placée ou débilité profonde, le résultat était le même : je ne lui servais plus à rien.
Mais fort heureusement, c'est aujourd'hui que mon calvaire s'arrête. Dans quelques petites heures, je serais débarrassé de cette chaise de malheur et de ce plâtre lourd comme une pierre. Le médecin avait accepté de changer ce dernier et de me laisser utiliser des béquilles. La délivrance. J'allais enfin pouvoir me débrouiller sans l'aide de quiconque et retrouver un tant soit peu de virilité. Il était temps pour moi de retrouver ma routine d'avant, qui commençait étrangement à me manquer. Le lycée, par exemple. Je n'y avais pas mis les pieds depuis l'accident, et les interminables heures de cours de Mme Bourg me manquaient de façon inexplicable. Non, impossible. Ou peut-être était-ce mes amis ? Et pourquoi ? Ils passaient me rendre visite tout les jours.
Sans pouvoir l'expliquer, je ressentais ce vide intérieur qui me bouffait littéralement et me rendait invivable. J'avais besoin de faire quelque chose, de changer d'air. Cet accident avait faillit me coûter la vie et j'avais eu des jours et des jours pour y repenser. La vie est précieuse et bien trop courte. Je n'en profite clairement pas assez.
Plongé dans mes pensées, je n'entends pas Thaïs entrer dans ma chambre. Quand je pose enfin mon regard sur elle, je tressaille. Depuis combien de temps a t-elle cette tête d'enterrement ? Elle a l'air fatigué. Ses jolis yeux sont cernés et son teint est livide. Il me semble même qu'elle a perdu un peu de poids. Ce constat me glace le sang.
- Le docteur Morano est arrivé, m'annonce t-elle doucement avec un minuscule sourire
J'essaye tant bien que mal de lui retourner sa mimique, mais c'est peine perdue. A l'évocation de ce crétin de Morano, mon corps s'est tendu comme un arc. Thaïs et le bon docteur s'entendaient à merveille, ce qui avait le don de m'irriter au plus haut point. Ce type était définitivement trop jeune pour son métier, et ma petite-ami bien trop éblouis par son "talent". Tu le sais, il lui faut un homme brillant, pas comme t.. Bref.
Je marmonne que je la rejoins de suite, et elle s'éclipse sans un mot. Nous n'étions pas au beau fixe. Était-ce de ma faute ? Pouvais-je encore arranger les choses ? J'avais l'impression d'avancer d'un pas et d'en reculer de deux.
Comme d'habitude, Morano ne s'est pas encombré de sa blouse blanche pour cette visite à domicile. Il porte une affreux pull kaki bien trop serré pour lui et un jean tout droit sorti des 90's. Quel âge a-t-il, bon sang ?
- Bonjour Ethan, j'espère que tu es fin prêt, me lâche t-il après un moment.
Il n'a pas l'air de m'apprécier, lui non plus. Tant mieux. Il congédie Thaïs, avec un certain regret, pour enfin me délivrer. Si il ne s'agissait pas de mon médecin, je crois que je lui aurais déjà foutu mon poing dans la gueule. A la mater comme ça, il dépassait clairement les limites.
Une heure plus tard, me revoilà devenu un être humain capable de marcher. Avec quatre pieds au lieu de deux oui, mais qui marchent tout de même. Je dis adieu au bon médecin le plus simplement du monde et court presque dans le couloir. J'ai envie de sortir. J'ai envie de me rattraper avec elle, j'ai envie qu'on profite de notre courte et précieuse vie ensemble. J'ai envie de faire autre chose.
- Bébé ! On sort, ca te dit ? annonçais-je avec un énorme sourire niais plaqué sur le visage
Thaïs me dévisage et manque de tomber de sa chaise. Quoi ? Je sais bien que j'avais tiré la gueule un moment, mais quand même. Elle était là, entourée de livres et de cahiers, encore en pyjama, à me fixer, incrédule. Les cours avaient été le dernier de mes soucis, même si je les avais tous rattrapés le jour même. Je me rendais compte de toute l'énergie qu'elle avait dû dépenser pour moi. Dès le réveil, elle me préparait mon petit-déjeuner parce que je n'avais pas accès aux hautes étagères et au micro-ondes. Ensuite elle partait en cours, seule. Elle avait avalé des heures et des heures de conduites pour pouvoir obtenir son permis le plus rapidement possible, ce qui représentait des heures de boulots en moins qu'elle rattrapait le soir, après avoir dû m'expliquer les leçons que j'avais manqué dans la journée.
Cette fille était un ange, et j'avais été un gamin capricieux et bien trop orgueilleux.
- Si tu veux, oui, fini t-elle par me répondre, laconique.
Je m'approche alors, et m'assois en face d'elle. Lorsque je pose ma main sur sa joue froide, elle ouvre quand les yeux. Le frisson qui me parcourt me fait mal au coeur. Tu ne l'as touche plus depuis trop longtemps. Quel con. Je suis un pauvre con.
- Bébé, je suis désolé. Tu es une perle et moi je suis un sale con, avec une fierté mal placée. Souris moi, s'il te plaît. Pardonne moi Thaïs.
J'étais prêt à la supplier s'il le fallait. Je n'avais envie que d'une chose, revoir ses prunelles briller. Et sortir de cette maison. Elle sembla déstabiliser mais très vite, lâcha un soupir de soulagement. Un adorable sourire se dessina sur son visage délicat et elle appuya sa tête contre la paume de ma main.
- Pour le meilleur et pour le pire, ein ? murmura t-elle.
Je ne répondis rien, et me penchai doucement vers ses lèvres. Quand je les attrapai enfin, j'eu l'impression de revivre. Elles étaient douces, elles n'avaient pas changé. Bien-sûr que non, crétin. Je l'aime. Il n'y avait rien d'autre à dire.
Je me levai, non sans mal, sous son regard un peu inquiet. Je pris la décision de l'ignorer.
- Allez, on se barre.
**
La plage. Il n'y avait rien de plus revigorant que cet endroit. La route avait été longue, mais j'avais pu écouter Thaïs parler comme une pipelette de tout ce que j'avais apparement pu rater. Ca lui faisait du bien de me parler, je le voyais. Ses joues avaient repris des couleurs. Elle était belle, les cheveux aux vents, un main sur le volant et l'autre posée sur ma cuisse. Terriblement sexy. L'envie de gouter, de parcours chaque centimètre de sa peau me saute à la figure mais je la repousse rapidement. Je n'étais pas encore pardonné, je le savais pertinemment.
Nous étions presque seul sur cet étendu de sable. Rien d'étonnant, pour une mercredi midi. Les gens ne vont pas à la plage en pleine semaine. Voilà pourquoi je voulais y aller. Allongé sur une serviette, j'écoute tranquillement les vagues se fracasser sur le sable. La tête de Thaïs repose docilement sur mon torse nu. Elle dort ? J'en avais bien l'impression. Je passe machinalement mes doigts dans ses longs cheveux détachés. Elle remua un peu et fit courir sa petite main sur ma poitrine. Elle finit par briser la quiétude.
- Ethan ?
- Mmh ?
- Je penses que tu devrais répondre à Anna.
Je ne réagis pas tout de suite. Il fallait que j'assimile. Était-elle sérieuse ? La colère qui m'envahissait était loin d'être une bonne chose. Il fallait que je réussisse à me canaliser. M'énerver sur Thaïs, c'était la pire idée du siècle, surtout en ce moment. Je ferme le yeux et inspire profondément.
- Et moi, je ne veux pas.
J'avais parlé froidement, mais ma main n'avait pas quitté ses cheveux. Ne me parles pas d'elle. Ma sœur était un sujet bien trop sensible. Si cette femme de 28 ans avait réellement voulu me revoir, elle aurait réussi. Je n'en ai absolument rien à foutre moi, des ses subites crises de culpabilité. Malheureusement, Thaïs ne semblait pas vouloir le comprendre.
- Elle te manque, je le sais.
Trop, c'est trop. Je me relève brusquement, la repoussant par la même occasion. Elle paraît abasourdi mais sur le coup, je n'en ai que faire. Elle va beaucoup trop loin. Tu ne sais rien, bébé.
- Thaïs..
- Non, attends, me coupa t-elle.
Elle se releva également et vint se positionner à califourchon sur moi. D'un geste, elle plonge son regard dans le mien et passe ses bras derrière ma nuque. Cette proximité soudaine manque de me faire tourner la tête. J'ai envie de l'embrasser. Mais je ne le fais pas.
- Tu parles d'elle dans ton sommeil, Ethan. Il faut que tu lui parles. Tu as besoin de ses réponses, me dit-elle doucement.
Quelle insolence ! J'aurais dû être furieux, après tout ça ne la regardait pas mais toute la colère qui s'agitait en moi s'évapore d'un coup. Je suis vulnérable. Elle s'adresse à moi comme-ci elle s'adressait à un enfant. C'est bien ce que je suis, un gosse.
Au fond, je sais bien qu'elle a raison. J'ai besoin de savoir pour quelles raisons Anna m'a abandonné. Nous étions proches, c'était ma sœur bordel. Il fallait que je saches. Après cela, je pourrais définitivement la rayer de ma vie. Thaïs attend patiemment une réaction de ma part et je me contente d'hocher la tête.
Elle se penche vers moi et m'embrasse. Son baiser prend alors une autre ampleur. Il est pressé, urgent. Je dirais presque désespéré. J'ai vraiment été si absent ? Quelque chose cloche. J'interromps notre étreinte et l'attrape pas le menton. Elle a les larmes aux yeux.
- Eh.. qu'est-ce qui se passe ?
Une larme silencieuse dévale sur son visage. Mon coeur se serre, d'un coup. Oh mon bébé.
- Tu m'as tellement manqué, murmure t-elle la gorge serré.
Je pose un chaste baiser sur ses lèvres.
- Je t'aime, et je suis désolé.
Elle acquiesce doucement et se réfugie dans mon cou. Je la serre contre moi, et la berce.
Il est temps de rentrer.
**
Couché dans mon lit, Thaïs endormie à mes côtés, je n'arrive pas à dormir. Je ferme les yeux et soupire. Trop d'événements, trop de chamboulements.
Une sœur revenu d'entre les morts, un accident, un gamin capricieux et me voilà dans de beaux draps. J'esquisse un sourire en repensant à la mer. J'aurais aimé pouvoir m'y baigner. Plonger, surfer. Faire quelque chose. Se plâtre, avec ou sans fauteuil roulant, est une vraie plaie. Mon envie de changement ne s'est pas calmé, au contraire ; elle ne fait que s'amplifier. Je n'ai aucune envie de retourner en cours demain. Je regarde le réveil. 23:56. Il faut absolument que je dorme. Je m'enroule autour de Thaïs et ferme les yeux pour de bons. Demain est un autre jour.
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Is it too late now to say sorry ?
L'école, le bac .. Fléau.
* Quel est votre chapitre préféré ? J'aimerais vraiment savoir.
Tessy xx