Tout ce que Delilah nous avait conté n'avait pas été vrai.
Je serais morte pour ses péchés, mais, finalement, je pensais déjà mourir. Je respirais fortement, j'entendais mon pouls à travers ma gorge pourtant j'avais l'impression d'avoir un énorme poids sur la poitrine. Un poids qui ne pouvait plus être ôté, celui qui se débattrait pour ainsi rester accroché à mon buste, remontant inévitablement dans mon œsophage déjà irrité par le manque de salive. Je me doutais fort de la peine que Delilah devait ressentir, elle avait maintenant le dossier confidentiel devant elle, examinant minutieusement la totalité de ce dernier. Ses mains tremblantes, pour la première fois en plusieurs mois. J'avais pris le temps de connaître Delilah et ses différents mécanismes de défense lorsqu'il en venait à ses parents. Présentement, elle ne se cachait aucunement.
Delilah n'était pas au courant de tout cela, mais Thomas était véritablement innocent tout ce temps, cependant, ce qui restait inconnu était la raison pour laquelle lui aussi se démenait envers Delilah s'il n'avait rien à se reprocher ?
Ça n'avait pas de sens. Cela me semblait évidemment improbable. Tout ce que l'on nous avait élaboré pour mettre un terme à sa carrière et ses activités. La certitude avec laquelle nous l'effectuions. Je n'avais pas aperçu de nom pour lequel une personne avait été reconnue coupable par les juges, l'affaire avait dû être classée sans suite. Aucun de nous n'étions au courant qu'une affaire avait été enregistrée, et encore moins que Thomas ne faisait même pas partie des suspects.
Delilah respira longuement, avant de se précipiter vers le perron de la maisonnée. La porte toujours ouverte, je m'élançais à mon tour, sur ses talons. Je refermais la porte d'un coup de main avant de voir Delilah tordue, le visage vers le bas et les mains posés sur les genoux. Je m'avançais et lui attrapais délicatement ses cheveux tout en faisant attention à coincer les petites mèches sur les côtés entre mes doigts. Les vomissements furent plus violents, elle oscilla, cherchant quelque chose à laquelle se tenir. Mais rien n'était présent ici, pas même une poutre, alors, elle fut contrainte de choisir ma jambe. Tout ce que je pouvais faire désormais était lui tenir compagnie, malgré la douleur qui me lacérait la poitrine depuis que j'avais lu les documents administratifs que Valérien nous avait apportés, je savais tout aussi bien que Delilah n'avait pas connaissance de cette affaire. Cette femme avait été meurtrie par la vie, assez tôt pour en être encore ébranlée, mais jamais, elle n'aurait lancé des personnes comme nous sur une telle quête si elle avait connu les enjeux de cette dernière bien plus tôt. Je savais que je ne devais me soucier de son bien-être, que je devais penser à moi, mais je ne pouvais exiger de ma personne de ne penser uniquement qu'à moi et ce que mes émotions étaient à présent. Ce que je voulais, c'était que Delilah aille bien, qu'elle soit assez en forme pour pouvoir à nouveau cacher son réel ressenti. Même si je n'étais pas de ceux qui aimaient voir cette facette sur son visage, elle était bien plus là, bienvenue, que l'image d'une Delilah détruite, celle qui était véritablement tombée dans les méandres de ses propres aléas.
Je préférais voir la dague qu'elle se tournait en elle plutôt que de la lui retirer subitement, c'était la réelle Delilah Evans. Celle à qui je donnais mon amour.
Lorsqu'elle eut fini, quelques minutes plus tard, elle s'essuya grossièrement la bouche à l'aide du dos de sa paume, toujours pâle.
Elle s'aida de mon corps dans le but de se relever, empoignant mon épaule pour se mettre à la même hauteur que moi avant de me regarder, le regard vitreux et les lèvres sèches. Avant que je ne puisse lui demander si tout allait bien, nous furent surprise par la venue improvisée de mon frère. Il cria après avoir ouvert la porte, brandissant le téléphone de Delilah :
– Il est là. Thomas.
Auparavant courbé vers Delilah, je tournais la tête vers Elio tout en me redressant. Je lui arrachai le téléphone portable des mains. Le petit écran affichait une carte sur laquelle on y voyait un point bleu nous situant notre localisation et un point rouge, non loin. Je relevais vivement la tête avant de passer l'objet à Delilah pour qu'elle puisse constater les faits. Comment avait-il pu avoir notre emplacement ? Delilah protégeait et vérifiait constamment les alentours, tel un vautour qui survolait au-dessus de nos crânes.
Toute cette situation, se retrouver seule, entouré de nous tous alors qu'elle s'était éclipsée durant un long moment. Je pensais souvent à ce que Delilah pouvait ressentir, cette femme qui ne laissait jamais ses émotions surpasser sa raison, ses buts, avait-elle échoué ainsi ? Pour cette raison ?
Il était difficile de déterminer le cas de cette dernière à cause de ces changements précipités qui affluaient autant envers nous que vers sa propre personne. Je pensais que Delilah devait être perdue entre tout cela. Ces évènements n'avaient rien de facile, bien au contraire. Elle seule avait voué l'entièreté de sa vie à cette quête, cette vengeance propice, cette menace sous laquelle elle agissait pour ce qu'elle pensait être le bien de tous. Simultanément départagé entre les remords d'un amour naissant entre elle et moi, des sentiments qu'elle ne comprenait et n'acceptait pas toujours. Présentement, je pouvais penser que la femme qu'elle était pouvait supporter le poids de ces révélations. Tout comme celles déjà vieilles qui venaient de tomber sous son nez. Cependant, l'idée d'une dualité entre la raison et ses émotions ne me quittait pas. Je n'eus le temps de me questionner davantage : un véhicule noir et brillant venait de faire son entrée dans le petit chemin emprunté par les voitures dans le but d'accéder à la maisonnée. Bien que ce chemin soit peu convenable pour un véhicule de ce genre – toujours bien entretenu – de laquelle on aurait cru y faire descendre quelqu'un de grand, ayant une forte notoriété. C'était semblablement le cas de celui qui descendit de l'arrière de cette voiture avant qu'elle ne reparte.
L'homme, habillé d'un costume taillé sur mesures et de chaussures convenables, paraissait plus grand encore que la dernière fois que je l'avais rencontré. Portant des traits presque identiques au mien, même visible de si loin, il prit soin de reboutonner sa veste de costume d'un ensemble noir et sombre qui contrastait avec les lueurs du soleil survenant de derrière lui : formant une arche de lumière autour de sa personne, comme une sorte de bien faiseur. Il n'en est rien, me dis-je. Mais cette pensée était-elle celle que j'avais retenue de nos nombreux ébats et l'aversion qui en avait découlé ou bien celle que je lui réservais réellement ? Je ne savais plus. Marchant que manière non conforme, une jambe plus réticente que l'autre à l'idée de ramener un pied devant l'autre. Je me souvenais bien de cette blessure. J'avais été celle à le lui infliger lors de notre première rencontre. Lorsque l'on m'avait contrainte de laisser Delilah périr dans ses flammes, derrière moi.
Thomas s'avança jusqu'au porche, où, Delilah, mon frère et moi nous trouvions. Mes poils se hérissèrent, une boule de stress se formèrent dans le creux de mon estomac, grandissant à mesure que ses pas résonnaient contre la terre au-devant.
Il s'avança encore avant de jeter un coup d'œil à Delilah. Cette dernière était encore tordue de ses vomissements, mais le regarda tout de même en retour, le visage fermé et tendu.
Thomas entra dans la maisonnette, nous le suivions sur ses talons. Isaac se leva en bondissant à sa vue, me regardant directement. Lorsque je hochais la tête positivement, il s'assit à nouveau doucement, sur ses gardes. Il joignit ses mains sur la table, de manière à ce qu'elles soient visibles par tous. Isaac n'était pas contrarié, mais surpris, il avait rapidement reprit son air normal. Thomas poussa une chaise jusqu'à lui par son dossier puis s'assit en face du meilleur ami de Delilah. Quant à nous, nous restions debout, tendus et en quête de réponses comme nous ne l'avions jamais été auparavant.
Je pouvais sentir la respiration de Thomas jusqu'où je me trouvais. Je supposais que les autres pouvaient le percevoir également. Dans son souffle, une certaine incertitude résidait, comme s'il était hésitant sur les paroles qu'ils allaient nous dévoiler. Il prit enfin la parole, nous délivrant tous d'une respiration que nous retenions depuis un moment :
– Vous êtes en quête de réponses que vous n'aurez jamais.
Je vis les visages de mes coéquipiers changer, les paroles de mon géniteur n'avaient rien d'arrogant, toutefois il était ardu de notre part de croire en la totalité de ce qu'il nous disait. Cela nous troublait fortement que Thomas se trouve dans la même pièce que nous, surement à des fins différentes des nôtres. Il continua avant que quiconque puisse prendre la parole :
– Delilah, il se tourna vers elle, lui faisant face. Je n'ai pas tué tes parents, affirma-t-il.
Il prit le dossier dans ses mains, à l'autre bout de la table, là où était assise la principale concernée quelques minutes plus tôt. Il le brandissa face à elle quelques secondes avant de le reposer délicatement sur le bois. Leurs regards se croisant inévitablement, dans l'incompréhension. Leurs iris se rencontrèrent, se donnant en une bataille silencieuse à laquelle tous pouvaient assister. Cela pouvait se voir que Thomas était épuisé. Ses yeux paraissaient plus petits et fermés, ses traits plus ridés et lourds sur son visage emblématique. Avait-il décidé qu'il était propice de se retrouver ici, en cet instant et de nous conter les choses comme elles s'étaient réellement produites ? Peut-être était-ce ainsi qu'il obtiendrait sa propre rédemption.
– J'aurais préféré t'assurer que j'étais leur meurtrier, ton bourreau, plutôt que tu te lorgnes en n'ayant aucun but après leur mort.
Delilah fronça délicatement les sourcils tout en étant à l'écoute, le visage tourné vers lui comme si une pensée la tiraillait. Elle ne dit rien. Dans l'attente d'une réponse qui allait déterminer le restant de nos jours, comme une promesse longtemps gardée secrète. Poussiéreuse et périlleuse.
– Je préférais te donner un but : celui de me poursuivre pour des actes que je n'avais aucunement commises. Plutôt que de te voir périr à ton tour tout en ayant l'obligation de rester neutre et vivante, continua-t-il d'une voix cassée.
Thomas semblait sincère, tant qu'il se leva afin de le faire comprendre à Delilah de manière plus expressive. Il alla à sa rencontre, quelques centimètres les séparaient, il se tenait au bord du canapé pour reposer sa jambe blessée. Ainsi, Delilah ne pouvait refuser ses paroles :
– Je n'ai pas tué tes parents. Tu m'as juste prise pour ton principal suspect, cela te donnait un but de me voir en tant que bourreau. Mais je ne l'ai jamais fait.
Delilah vacillait. Une grimace accrochée à son visage pâle. Ses doigts tremblaient, contre son corps et ses pupilles étaient humides, elle mordait ses lèvres d'une manière transperçante : bloquant vivement la douleur. Je la voyais serrer ses phalanges à mesure que leur entretien s'éternisait. Delilah retenait ses gestes tant elle se voyait tomber.
– Je n'aurais jamais osé, appuya Thomas d'une voix abattue.
Soudainement, cela me frappa. Peut-être était-ce ainsi que les vilains étaient faits, les émotions exerçaient une influence sur nos jugements, nos décisions. Les émotions humaines prenaient le dessus sur la raison. L'aversion aux pertes. Les pertes de Delilah avaient-elles altéré son jugement et ses décision au point de laisser les peines jouer un rôle dans sa détermination à vouloir faire tomber Thomas ?
Je m'y penchais rigoureusement.
Thomas avait préféré donner un but ultime à Delilah plutôt que cette dernière s'autodétruise en acceptant qu'il n'était pas le meurtrier de ses parents. Nous ne les retrouverons jamais. Voilà ce que mon géniteur voulait expressément lui dire, dans les non-dits, une certaine rigueur. Les enjeux et conséquences que cela engendrait pour nous étaient énormes.
– Tu as opté pour une issue qui n'était que bonne pour toi, lui souffla-t-elle, avec morosité.
– Je ne l'ai fait que pour toi, Delilah, répondit-il, pesant ses mots.
– Hé bien, j'aurais préféré le savoir. Ça m'aurait value une meilleure vie, cracha Delilah, la mâchoire serrée.
Elle avança son visage du sien, ses cheveux le touchant perpétuellement. Une larme roula sur sa joue. Cette vision me tordit l'estomac, je crois que je n'étais pas la seule à retenir ainsi mon souffle lorsqu'elle se défit de sa faible prise et s'en alla à l'extérieur.
Avant que quiconque ne puisse quitter la pièce, je lançais à travers la lourdeur de la situation, sans peine :
– Qui l'a amené ici ?, demandais-je à l'intention de ceux qui se trouvaient dans le séjour avec moi.
Personne ne daigna répondre, mais j'en fis mes déductions : seulement une personne avait pu l'accompagner ici, de plus, l'endroit où nous nous trouvions n'avait rien de public. Je repensais vivement à ce soir-là où mon frère avait apporté le téléphone portable de Delilah : affirmant qu'il cherchait le sien à l'extérieur dans les bois et qu'il s'était permis de prendre celui de la jeune femme aux cheveux charbon.
– Elio ?, appelais-je tout en tournant le visage vers lui, le fixant intensément.
Il releva les bras en signe d'offensive avant de répondre :
– Tu sais bien que ça ne peut pas être moi. J'ai simplement appelé Valerian pour qu'il puisse nous aider concernant ta mère.
Je jetais un regard insistant à Valerian désormais, à l'autre bout de la pièce, il se tenait adossé à la cheminée dans une pose nonchalante : les bras croisés sur sa poitrine. Il soupira avant de prendre la parole, voyant que je n'arrêtais pas de le fixer silencieusement.
– J'étais avec lui, c'est tout. J'ai essayé de l'en dissuader, je te le jure, essaya-t-il de se dédouaner en faisant de gros mouvements de bras dans l'espace devant lui.