Luna
Ma première sortie scolaire. Tournant en rond, je repasse chaque détail de l'organisation pour éviter toute improvisation.
Ça va mal se passer.
De lentes inspirations ne chassent pas le stress qui m'oppresse l'abdomen. Lire les affiches d'apprentissages décorant chaque mur beige s'avère efficace pour me détendre quand une notification fait vibrer mon téléphone. Ma mère m'invite à déjeuner ce dimanche. J'accepte en sachant que je décommanderai la veille avec un prétexte médical.
Je sais déjà comment ça finira si j'y vais...
En revanche, aucune nouvelle d'Imani malgré mon appel angoissé d'il y a trois jours.
Elle s'est lassée de toi.
Je me convaincs du contraire. Ma meilleure amie ne mettrait pas fin à une amitié sincère de quatre ans sans explication.
Qui voudrait d'une fille qui ne sait pas s'amuser ?
Des éclats de voix par la fenêtre m'informent de l'arrivée des enfants dans la cour. Mon pouls s'accélère à l'idée de revoir Élio. Après sa colère de la veille, il a rejeté toute tentative de dialogue, me laissant dans le flou total.
— Bonjour maîtresse, chantonne Chiara.
La petite métisse circule entre deux rangées et je soupire. Élio était toujours le premier arrivé. Pas aujourd'hui.
— Oh ! Pourquoi t'as des lunettes ? m'interroge Aya en entrant à son tour. Elles sont jolies !
Privée de sommeil suite aux événements de la semaine, je ne cesse de me frotter les yeux, un geste incompatible avec les lentilles de contact. De ce fait, j'ai sorti de sa boîte cet accessoire noir abandonné au lycée.
«J'te jure, un putain de cliché d'intello.
Elle fait pitié avec ses livres, la sans-amie.
Toujours à faire son intéressante, la binoclarde.
Pas étonnant qu'elle soit la préférée des profs vu comment elle aime les sucer.»
— Tu pleures, maîtresse ?
Revenue au présent, la honte m'étrangle face aux cinq élèves qui me fixent dans un mutisme d'incompréhension.
Tu es trop gênante.
La respiration saccadée, je me tourne vers le tableau blanc en essuyant la larme sur ma pommette. Voulant les rassurer, mon rire sonne faux :
— Non, c'est.... C'est juste une poussière dans l'œil.
Mon pendentif glisse entre mes doigts alors que j'enraye le début de crise, paupières fermées.
Les moqueries mesquines, les rires dans mon dos, les paires de lunettes cassées. Je pensais la cruauté adolescente effacée mais le cerveau n'oublie jamais les plaies du cœur.
Les chaises raclent le linoléum vert kaki et les cahiers s'écrasent sur les tables à mesure que la salle se remplit. Mes souvenirs dissipés, je me retourne et constate avec un pincement dans la poitrine qu'une place est vide.
Il te déteste tellement qu'il n'est pas venu.
Je rappelle la conduite à tenir et vérifie de nouveau le contenu de mon tote bag avant de sortir dans le couloir.
— Y'a Élio qu'est arrivé, m'informe Adrien en le pointant du doigt.
J'esquisse un sourire qui s'évapore. Immobile dans son ciré couleur brique, la tête ébouriffée du blond est si penchée en avant que je grimace en devinant le torticolis qui suivra.
— Viens déposer ton cartable, l'invité-je en enfilant ma parka. On va bien s'amuser !
Il obéit en traînant des pieds, mutique.
À l'approche du portail, mes longs cheveux châtains voltigent sous la brise automnale. Je redresse ma posture et affiche mon masque souriant en répétant les salutations aux deux mères accompagnatrices.
Tout ira bien. Inutile de s'inquiéter.
Lorsque la porte métallique s'ouvre, l'excitation des enfants fait grimper les décibels, engendrant les rires des deux quadragénaires qui s'avancent vers nous. Je me sens rougir.
— Bonjour, merci pour votre présence.
Une silhouette sombre se détache du mur sur lequel il écrase sa cigarette avant de la jeter dans la poubelle. Les vives pulsations martèlent mon assurance feinte.
Mais qu'est-ce qu'il fait là, lui ?
Chaque pas dans ma direction est un grain d'espoir s'échappant du sablier de ma positivité. L'homme de mes cauchemars éveillés me détaille de haut en bas, comme s'il me voyait pour la première fois.
— Bonjour, je viens participer à la sortie.
Les exclamations dans mon dos cessent, transformées en chuchotements. Dans un élan d'anticipations, j'imagine le désastre qu'il vient causer. Ma poussée de courage lors de nos altercations ne se reproduira pas car nous ne sommes pas seuls.
— Vous... Vous ne m'aviez pas prévenue.
— Je viens de le faire.
Stupéfaite par son audace, je bloque sur son visage neutre. Ses cheveux coiffés en arrière et son long manteau apportent une maturité qui dénote avec son mépris des règles de la société.
— J'ai décalé mon agenda pour me libérer, insiste-t-il en haussant la voix. Ce ne serait pas correct de votre part de me dire non maintenant.
Il remet en cause mon professionnalisme devant les autres parents, me forçant à réagir. Il ne semble ni alcoolisé ni agressif alors, à regret, je me plie à sa volonté.
— D'accord. Merci.
Le remercier râpe ma bouche, le triomphe courbant ses lèvres irrite mes pupilles. Je jette une œillade à Élio en fin de queue, aussi surpris que moi. Son oncle devient la curiosité de ses camarades :
— T'es qui, toi ? Ils sont bizarres, tes cheveux.
— Pourquoi ils sont tous noirs, tes habits ? Tu vas au cimetière ?
— C'est Vif d'Argent ! s'extasie Paul dans un cri aigu. Le X-Men qui va super vite !
N'importe quoi. Evan Peters est plus beau que ce fou.
Admiratifs, les enfants l'entourent et leurs questions se chevauchent dans un joyeux vacarme. L'homme se présente sobrement, impassible à l'attention qu'il suscite. Je jalouse sa capacité à rester stoïque et l'admettre ne fait qu'accentuer ma différence.
Tu n'en seras jamais capable.
— Pourquoi il parle pas, Élio ? Il est triste ?
Je suis tout ouïe, avide de la réponse qu'il ne donne pas.
— Et pourquoi la maîtresse, elle te regarde comme si elle t'aimait pas ?
Vingt-huit visages pivotent vers moi et je frôle l'arrêt cardiaque.
— A-allons-y, bafouillé-je en lorgnant sur mes Converse, les joues en feu. Le car nous attend.
Dans le véhicule, madame Van de Kamp et madame Mayer m'aident à installer les piles sur pattes. Quant à l'autre, il s'isole sept rangs derrière nous, ses écouteurs dans les oreilles.
Il est venu en touriste. Super.
Le vaste hall du musée d'Histoire naturelle de Paris est reconnaissable par la verrière du toit, baignant le sol en marbre poli d'une douce lumière. Ce lieu historique avait marqué ma mémoire lors de mon année de CE1. À gauche, le comptoir d'accueil est un repère sécurisant, opposé à la boutique qui accapare déjà la convoitise des bambins.
Arrivée devant la Grande Galerie de l'Évolution, je me racle la gorge pour une annonce magistrale :
— Il y a trois niveaux avec des milliers d'animaux naturalisés. Vous allez les visiter avec un adulte par groupe de six et...
Une dizaine d'humains miniatures se précipite vers l'indésirable et se dispute ses faveurs.
— On dirait qu'ils ont trouvé leur héros du jour, rit la maman brune avant de les raisonner.
Trois jours que ses paroles malveillantes résonnent dans mon crâne comme un disque rayé. Trois jours que je rumine et le voir ainsi acclamé ravive ma colère venimeuse. Mes ongles s'enfoncent dans mes paumes et je serre les mâchoires pour la contenir.
— On est sept donc tu pars ! ordonne Adrien.
— Mais moi, je veux être avec Ayden, gémit Paul en tendant la main vers l'intrus qui l'esquive en croisant les bras.
— Bah t'es arrivé le dernier donc tu pars et puis c'est tout !
— T'es plus mon copain, sanglote le brun en reniflant bruyamment.
Cette scène m'est inconfortable, tant par son chagrin que par les critiques muettes du public qui nous observe. Ma maladresse se surpasse :
— Vous... Vous êtes trop nombreux pour lui... Et laissez Élio être avec son...
— Ça ne me dérange pas, tranche l'homme en se dirigeant vers l'exposition de la faune marine.
Les joues humides qu'il essuie d'un revers de manche, Paul éclate d'une joie retrouvée et les garçons trottinent derrière leur nouveau copain.
Les yeux plissés, Élio se recroqueville sous le poids de l'exclusion. Ses mains crispées sur son manteau et ses dents rongeant sa lèvre me désemparent. J'éprouve une furieuse envie d'interpeller son oncle pour évoquer ses responsabilités mais je n'y cède pas, au risque de passer pour une déséquilibrée.
— Tu peux te joindre à moi si tu veux, le rassuré-je d'une voix chaleureuse.
Front baissé, il me tourne le dos pour rejoindre une maman. Les lianes de l'anxiété compriment un peu plus mon sternum.
Il te déteste. Il ne veut plus de toi.
Je claque mon élastique au poignet pour me recentrer sur mon groupe qui trépigne d'impatience. Vigilante, je surveille le décoloré du coin de l'œil. Vu sa désinvolture, je ne serais guère étonnée qu'il perde des enfants ou pire encore. Trop obnubilée par lui, je rate les merveilles de biodiversité.
— Maîtresse ! Regarde le mammouth ! Il est plus grand que ma maison !
Le squelette d'une taille colossale impressionne les enfants et je savoure leurs regards pétillants. Cette courte inattention a suffi au fourbe pour me distancer. Je suis tendue jusqu'à le retrouver au point de rencontre, assis sur un banc, au milieu des murmures de ses fans. Encore les bras croisés, il semble dormir et le calme inhabituel des garçons m'alarme.
Il les a quand même pas menacés ?
— Vous êtes bien sages pour une fois, lâché-je, suspicieuse en les rejoignant.
— Moins fort, me réprimande Adrien, l'index sur sa bouche. Il a mal à la tête.
Vous êtes moins compatissants avec moi en classe...
Le pseudo-adulte souffle avant de pianoter sur son jean. Le monde à l'envers.
Sur le retour, les bavardages reprennent malgré mes demandes de chuchotements. Notre conducteur, agacé par le ballet des klaxons de parisiens pressés, ordonne le silence. Les enfants se taisent aussitôt et je m'affaisse dans mon siège, accablée par mon incompétence.
Il fait ton travail à ta place.
Cet état d'hypervigilance est éreintant et les parents sont autant un atout qu'un handicap. Qui sait ce qu'ils diront sur moi ? De retour à l'école après trois heures, mes muscles sont douloureux. Appuyée contre le portail, je me frotte les paupières tandis que les élèves pénètrent dans la cour où attendent les animateurs pour la cantine. Paul se fait attendre, scotché à l'irresponsable :
— Tu sais, ma grande sœur, elle cherche un amoureux beau et grand. T'as une amoureuse ?
— Non. Perte de temps et d'énergie.
Mon nez se froisse et je toise le sociopathe de travers, trahissant le dégoût qu'il m'inspire.
Psss... Il n'a pas un problème avec moi, juste avec les femmes.
— Lundi, on va à la piscine, tu veux venir ? continue l'enfant, manquant de m'arracher un cri d'horreur.
— Nous ne prenons pas de parents pour les sorties sportives, m'agacé-je de son effronterie.
— Mais maîtresse...
— Paauul... Laisse le monsieur partir. Il a des choses à faire.
Partir loin de moi, pour commencer.
Je ne me laisse pas attendrir par sa moue grognonne et referme derrière son passage, avant qu'une main bloque la porte.
— Nous devons parler d'Élio, exige le décoloré avec fermeté.
Après son désintérêt pour lui, ma patience atteint ses limites et je l'éconduis sèchement :
— Vous avez été très clair durant notre rendez-vous.
— Quel rendez-vous ? s'étonne-t-il en fronçant les sourcils.
Un bref rire nerveux m'échappe avant d'être réfréné.
Il a oublié ? Il se fiche de moi ?
Le pire moment de l'année pour moi n'est qu'un détail insignifiant pour lui.
— Ça ne prendra que dix minutes, affirme-t-il en franchissant l'entrée, me forçant à m'écarter.
Il est dangereux. Il va s'en prendre à toi.
Je confirme d'un hochement de tête, ma gorge étant nouée par la rancœur.
Dans la classe, il s'installe devant la trousse galaxie pendant que j'aère la pièce. Le tumulte juvénile envahit l'espace.
— Trop d'enfants... marmonne-t-il en se bouchant les oreilles.
— Oui, c'est le principe d'une école.
Mon sarcasme est une faute professionnelle mais mon filtre cerveau-bouche faiblit lorsque je suis acculée. Lorsque je suis avec lui.
— Vous pouvez fermer la fenêtre ? S'il vous plaît.
Je m'exécute sans réfléchir, abasourdie par la formalité de sa demande, puis me positionne vers la sortie alors qu'il se masse les tempes.
Si c'est aussi fatigant d'être détestable, il suffit d'arrêter.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé hier ? Élio a passé la soirée dans sa chambre à pleurer.
Prise au dépourvu, mes mots sont hachés par la sécheresse dans ma bouche :
— Je... Je ne sais pas... Il m'a parlé et ensuite...
Les images de sa transformation défilent sans que j'y mette du sens. Il se redresse contre le dossier du siège et braque ses iris océan sur moi. Je sais à la dureté de son visage qu'il initie un second round :
— Il passe ses soirées à dessiner pour vous et il n'a rien mangé depuis hier midi à cause de votre discussion. Vous êtes juste stagiaire ici. S'il agit comme ça au bout de deux mois, imaginez dans sept quand vous partirez d'ici.
Figée par le poison du doute, les soulèvements irréguliers de ma poitrine peinent à maîtriser le tambour cardiaque qui la frappe.
— Vous pensez l'aider mais vous ne faites qu'empirer sa situation déjà compliquée.
Tu sais qu'il a raison.
Le mal-être de l'enfant est une évidence. La culpabilité broie mes entrailles et j'hoquète sous les reflux acides. Alors que les picotements brûlent mon épiderme, je garde les yeux ouverts pour assécher les gouttes qui menacent de couler. De nouveau, je lutte contre cette voix qui ronge mon enveloppe charnelle, la poussant à bout un peu plus chaque jour.
Si tu étais plus douée, si tu avais plus d'expérience, si tu faisais plus d'efforts...
— Vous devez quitter l'école. Je vous laisse jusqu'aux vacances de Noël.
Son injonction me percute de plein fouet. Je déglutis et me mords la lippe. Les situations anxiogènes n'ont cessé de s'enchaîner depuis la rentrée. Un choix s'impose. Dois-je y voir l'opportunité de fuir ? Ma vie serait plus simple si j'optais pour un travail moins social.
Tu es mieux seule. Le monde est mauvais.
Non. Je subis la volonté des autres par complaisance depuis trop longtemps et rien n'évoluera si je n'y mets pas un terme. Il le faut, ne serait-ce que pour pouvoir marcher la tête haute une fois dans ma vie. Décidée à en reprendre le contrôle, je presse mon pendentif et me tiens droite. J'inspire une profonde bouffée d'air avant d'affronter mon adversaire :
— Celui qui doit s'en aller, c'est vous.
Il arque un sourcil et je serre les poings pour renforcer mon aplomb :
— Vous n'avez aucune autorité pour exiger quoi que ce soit de moi. Je resterai jusqu'à la fin de mon stage, soit le cinq juillet.
Il se lève et, sans ciller, longe la colonne de table. L'écho de mon pouls dans mon crâne s'intensifie, pourtant je ne recule pas. Les pieds ancrés au sol, je refuse de perdre du terrain, aussi bien physiquement qu'émotionnellement.
— Je... Je vais alerter la directrice de votre comportement à mon égard... Nous ferons un signalement et vous serez convoqué par l'inspecteur et... À la prochaine menace, je porterai plainte contre vous.
— C'est censé me faire peur ? ricane-t-il en réduisant davantage le vide entre nous.
L'oxygène manque lorsqu'il viole ma zone de confort, à une longueur de bras. Comment rivaliser avec mon mètre cinquante-trois alors que son ombre m'engloutit ? Le bleu glacial de ses yeux me pétrifie, parvenant presque à me faire détester ma couleur préférée.
— La justice de ce pays n'enferme pas les violeurs. Vous pensez vraiment qu'on s'intéressera à votre cas ?
Les fragrances de bois de cèdre et de cuir me chatouillent les narines.
Un parfum Hugo Boss. Celui de Baptiste.
Ce souvenir olfactif brise ma détermination. Son regard glisse sur mes lèvres tremblantes. Les siennes s'étirent et enfoncent le clou :
— Je vais dénoncer votre attitude déplacée. Favoriser un élève est problématique, lâche-t-il en s'éloignant.
Mes poumons se remplissent enfin et je me justifie avant qu'il ne quitte la salle :
— Il... Il y a plus de quatre cent élèves et Élio... Il est le seul qui ne parle pas et ne joue pas avec les autres. C'est normal d'être plus attentive.
— Le doigt d'honneur et les insultes, c'est normal aussi ? réplique-t-il par-dessus son épaule.
Injurier est contraire à mon éducation. Même poussée à bout, mes paroles n'auraient jamais dû franchir mes lèvres et mon geste honteux me hante malgré les jours qui passent.
Tu es immature.
Le malaise me gagne quand il disparaît. Les absents ont toujours tord, rester ici me protège mais lui donnera l'opportunité de me dénigrer sans que je puisse me défendre.
Je le rattrape dans les escaliers et lui emboîte le pas dans le couloir blanc menant aux pièces du personnel. En passant devant la salle des maîtres ouverte, mes collègues me saluent avec un entrain exagéré.
Ils savent qu'ils seront bientôt débarrassés de toi.
Face à la porte de la directrice, je toque avec la résignation d'une accusée s'apprêtant à être jugée. Je répète mon geste et en l'absence de réponse, mes épaules se décontractent.
— Elle est en train de déjeuner, supposé-je, soulagée.
— Je ne suis pas pressé, déclare-t-il en prenant appui contre le mur. J'ai tout mon temps.
Sa voix traîne sur sa dernière phrase, démontrant son intention d'aller au bout de sa démarche. Il ne lui a fallu qu'une semaine pour chambouler mon quotidien et voilà qu'il s'apprête à détruire ma carrière avant même qu'elle n'ait commencé.
Prise de vertige, je m'écroule sur une chaise derrière moi et enfouis mes doigts entre mes cuisses pour dissimuler leur agitation. Il reste debout, les mains dans les poches, renforçant sa position dominante. Les secondes deviennent des minutes. Mon poignet me démange mais le regard inquisiteur m'empêche d'utiliser mon élastique. Alors que je m'efforce de camoufler ma panique intérieure, mes jambes tressautent en cadence avec ma pression artérielle.
Il va te prendre pour une malade.
Je n'aurais jamais dû entrer dans ce bar. Depuis, mon quotidien s'est dégradé d'insipide à chaotique. Je me réfugie dans le noir, seul moyen de retenir mes larmes lourdes de regret.
— Je vais laisser un message.
Intriguée par sa voix adoucie, je cligne des paupières et le découvre sur le fauteuil de Sophie. Cet énième bafouement des normes sociales me scandalise et je bondis :
— Où est-ce que vous vous croyez ?! Vous n'avez pas le droit d'entrer sans permission !
La mine d'un stylo griffe le post-it qu'il colle sur l'écran de l'ordinateur avant de ressortir avec un air condescendant.
— À la prochaine, maîtresse.
Il s'éloigne, me laissant avec un dilemme moral. Je ne dois pas entrer. Je dois sauver ma peau. À cheval sur le respect des règles, la barrière invisible de mes principes me bloque sur le seuil.
Si on te voit, on te prendra pour une voleuse.
Mon cœur épuisé me supplie de mettre fin à cette épreuve. Mes paumes frottées l'une contre l'autre pour en retirer la moiteur, je regarde à droite, à gauche, à droite, à gauche. Je m'élance dans la pièce, récupère l'écrit et file aux toilettes pour le lire.
On ne demande plus la permission ?
Les règles sont faites pour être enfreintes.
— Co... Sale type, pesté-je en déchirant le mot.
La preuve de ma transgression emportée par la chasse d'eau, je m'asperge le visage. La fraîcheur qui serpente sur ma peau rougie est apaisante. Mon exercice respiratoire libère la tension lorsqu'une vibration dans ma poche brise le silence.
Imani
Coucou Luna. J'espère que tu vas bien. Il faut qu'on se voie, j'ai quelque chose d'important à te dire et je préfère le faire en face. Bonne journée.
Habituée aux messages débordants d'émojis de ma meilleure amie, celui-ci me laisse perplexe.
Ta future ex-meilleure amie...
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"Que vos choix soient le reflet de vos espoirs et non de vos peurs."
Nelson Mandela
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Et c'est reparti pour un tour entre Luna et Ayden !
Pas facile le lycée...
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Monimoni-ka