Jour 21

                                    

                                          
Il n'avait pas eu besoin de réfléchir bien longtemps. Levi choisit Behind Blue Eyes, celle qu'il avait chanté avec Hanji. Dès les premières notes, Eren avait pleuré. En silence. Les larmes avaient coulé le long de ses joues pour s'écraser sur ses jambes. La voix de Levi l'avait torturé, du début à la fin, en lui rappelant son amour perdu. 
                          
Alors il se confia. Il raconta à Levi comment il avait rencontré Armin, des années plus tôt, en déménageant. Il mentionna leurs aventures, leurs sorties tard le soir, leurs escapades sur les lieux abandonnés. Il décrivit les cheveux blonds d'Armin, doux comme la soie, et ses yeux bleus qui reflétaient sa propre image. Il parla de leurs passions. De la tendresse qu'il éprouvait envers lui. Puis il s'arrêta au 12 janvier. 
                          
-Il faisait froid, déclara Eren. 
                          
Il tressaillit en se souvenant de la neige crisser sous ses semelles. 
                          
-Prends ton temps. 
                          
Eren inspira. Lorsqu'il évoqua la chute, son désespoir et la panique qui l'avait pris lorsqu'il n'avait plus vu Armin dans son champ de vision, Levi ferma les yeux. Il ne pouvait s'imaginer une telle peine. Il ne voulait pas se l'imaginer. Son cœur se briserait en deux. Aimer quelqu'un pendant des années, pour le voir soudainement disparaître de sa vie, cela devait être dévastateur. 
                          
-Moi et mes idées à la con, grogna Eren. 
                          
-Arrête. Tu l'as emmené là où il était heureux. 
                          
Silence. 
                          
-Il est mort en faisant quelque chose qu'il aimait, et avec toi, insista Levi. 
                          
-J'espère qu'il n'a pas souffert. 
                          
Eren eut mal à la poitrine. 
                          
-Voilà, dit-il ensuite calmement. Tu connais tout de moi. 
                          
-Mh ? 
                          
-C'est ce que tu m'as dit le premier jour. Je connais tout de toi, tu ne connais rien de moi. 
                          
-Ah, oui. 
                          
-Pourquoi tu m'as dit ça, d'ailleurs ? Je ne connais rien de toi. 
                          
Levi prit son air sérieux et plaça sa main sous son menton. 
                          
-Je me suis confié à toi pendant que tu dormais. Je t'ai raconté des détails de ma vie que je n'avais dit à personne d'autre. Voilà pourquoi j'ai trouvé ça ironique de ne rien connaître de toi alors que tu as été mon journal intime des jours durant. 
                          
-Je ne te comprends pas, Levi. 
                          
-Demande-moi et je t'expliquerai. 
                          
-Pourquoi être resté près de moi ? Pourquoi avoir pris la peine de me parler ? 
                          
-Quand j'aurais trouvé la réponse, tu seras le premier au courant. 
                          
Eren se tenait et marchait. L'infirmier l'encourageait. Levi, lui, avait l'esprit ailleurs. Il n'arrivait plus à se concentrer depuis l'histoire qu'il avait entendue l'après-midi. Il comprit alors de nombreuses choses. Pourquoi Eren ne souriait jamais, pourquoi il était colérique, et surtout, pourquoi il avait eu l'air si distant les premiers jours. Chacun ses traumatismes, après tout. 
                          
Pourtant, il s'en voulut. Durant tout ce temps, il ne s'était douté de rien. Il n'avait pas pu le réconforter, ni le rassurer, l'enlacer et lui répéter que tout finirait bien. Lui chuchoter que tout ça n'était pas sa faute. Il détesta l'idée qu'Eren ait dû gérer toutes ces émotions seul et qu'il n'ait eu personne à qui parler ni aucune épaule sur laquelle pleurer. Il avait dû commencer son deuil par lui-même et sans aucune aide. Alors que lui, tous les jours, avait pu lâcher tout ce qui lui passait par la tête concernant Erwin. Lui avait pu se défouler. Se décharger. Avancer, lentement, mais sûrement. Levi ne savait pas comment se faire pardonner de ne pas avoir compris plus tôt que quelque chose de grave s'était passé et de n'avoir remarqué qu'Eren avait recouvert sa mémoire. 
                          
Il arracha quelques peaux sur un de ses doigts. Il fallait qu'il se fasse une raison. Il n'aurait pas pu deviner. Si Eren avait décidé de ne rien dire, alors ainsi soit-il. Il était nécessaire, aujourd'hui plus que n'importe quel autre jour, de considérer l'avenir. Inutile de s'attarder sur le passé et les maux qu'il renfermait. Certes, ils avaient tous deux perdu un être cher. Ils auraient probablement des nuits de cauchemar pour les années
à venir. Des souvenirs douloureux les stopperaient souvent dans leurs occupations. Mais il y avait tout de même une donnée dans l'équation à ne pas négliger : ils s'étaient rencontrés. Il s'agissait là d'une chance inouïe à saisir et à chérir. Ni l'un ni l'autre n'avait à être solitaire dans cette épreuve. 
                          
-Je peux ? Demanda-t-il à l'infirmier. 
                          
Levi prit la place au bout du parcours et tendit les mains vers Eren qui le fixa sérieusement. 
                          
-Allez, Eren, plus que quelques mètres. 
                          
Douloureusement, Eren se redressa. Il plaça toutes ses forces dans ses mains, s'appuya sur les barreaux de chêne, et avança une jambe. Il releva les yeux vers Levi qui souriait. 
                          
-Vas-y, montre-moi ! 
                          
La jambe gauche vint devant la droite un peu plus facilement. Puis il fit un nouveau pas, un peu plus rapidement que le précédent. Levi applaudissait. 
                          
-Tu me gênes, souffla Eren. Tout le monde me regarde. 
                          
-Je te connais. Ça te fait du bien, pas vrai ? 
                          
-Putain, ouais. 
                          
Eren parvint au bout du parcours. Il se laissa tomber vers Levi qui le souleva du sol et le fit tournoyer. D'abord surpris de cet élan soudain d'affection, Eren dut s'avouer qu'un peu de chaleur humaine calmait ses pensées noires. Ainsi se laissa-t-il entraîner dans le mouvement, pour enrouler ses bras autour du cou de Levi et pour éclater de rire.