Chapitre 15.2

                                    

                                          
{You Let Me Walk Alone-Michael Schulte}
Je me relève et regarde le ciel, le soleil s'est abaissé depuis que nous sommes arrivés mais il fait encore jour. Je prends la main d'Adan et nous repartons en direction de la voiture, je ne la lâche pas durant tout le trajet. Nous y entrons, comme toujours, je me perds, si loin. 
Il a besoin de moi autant que j'ai besoin de lui, nous sommes devenus des piliers l'un pour l'autre. Je me rappelle de toute la frustration et la tristesse que je n'ai cessé de ressentir depuis toujours, et je la sens partir à chaque moment que je passe avec Adan. 
La rencontre de deux êtres détruits par la vie n'est peut-être pas le simple fruit du hasard. Le destin nous a finalement fait nous rencontrer.
Cette scène me semble familière désormais, nous deux, main dans la main sans vraiment savoir où aller. C'est un peu ma vie en quelque sorte, je ne sais pas ce que je fais et encore moins où je vais. Je survis à chaque nouvel instant, je tente de me raccrocher aux petites lueurs d'espoirs qui se présentent à moi. 
Je me demande comment il fait pour vivre dans cette réalité qui apparemment ne veut pas de nous. La vie m'a toujours envoyé les mêmes signaux, elle m'a répété qu'elle préférerait que je n'existe pas mais cette fois je doute. Après tout, elle l'a mis, lui, sur mon chemin, sur ma route qui me paraît pourtant sans fin.
Je repense maintenant à ma vie d'avant, à mes parents qui n'imaginent pas ce qu'il m'arrive en ce moment même. Mais je n'ai jamais tenu autant à cette vie que depuis que j'ai rencontré cet Abruti qui parvient à me faire sourire dans les pires moments. 
Seulement deux semaines que je le connais, mais la connexion entre nos souffrances est immense et paraît interminable, je pourrais l'écouter parler des heures sans me lasser. Il mérite tellement d'être heureux , de revoir Chloé, mais je pense que personne ne lui répète assez qu'au fond, il est extraordinaire.
-Il est 17h, tu veux que je te ramène dans ta chambre?
Je la connais cette voix, c'est celle que j'emploie tout le temps. Elle traverse un long chemin peuplé d'angoisse et de mensonge pour sortir d'une bouche, la vérité est toujours bien différente. 
Il n'est clairement pas en état de rester seul ce soir et je voudrais ne jamais terminer cet instant à ses côtés. Ces minutes et ces heures m'agacent, elles continuent d'avancer alors que moi, je veux le faire durer. Il nous faudrait arrêter l'aiguille de l'horloge et son affreux tic-tac. 
-J'ai une meilleure idée, je meurs d'envie de regarder un film.
Il sourit et réchauffe instantanément l'ambiance dans cette voiture. Je ne suis pas froide au point de le laisser comme ça alors qu'il s'est tellement dévoilé. Je me rends compte alors que je ne sais pas si j'oserais un jour lui parler de ce passé que je traîne comme des boulets à mes pieds. 
-Ouais, ça serait cool mais il est hors de question que tu choisisses le film, si tu as les mêmes goûts qu'avec la musique j'ai bien peur de ce que tu pourrais décider de regarder.
J'accepte mais bien parce que c'est lui, en revanche je reprends le contrôle sur la musique durant le trajet du retour, à titre de vengeance pour sa légère pique. Les dix minutes pour rentrer m'ont permis d'y voir plus claire sur la situation, je dois parler à Haven, m'excuser et tenter de sauver notre amitié. 
Je regrette de m'être énervée, j'ai été égoïste, comme si le petit monde du groupe tournait autour de moi. Je me reconnais tellement là, paniquée, cela devait juste être de ma faute pour que je me sente apaisée en un sens. 
Je suppose qu'elle aussi était proche de Chloé alors quand elle est partie, je n'ose à peine imaginer ce qu'elle a dû ressentir.
Je claque la porte derrière moi et avance dans l'entrée de la maison, elle n'a pas changé depuis la dernière fois que je suis venue ici. Adan doit se rappeler au même moment puisqu'il grimace en me regardant, le sujet n'a jamais vraiment été abordé.
-Je pense que personne n'est ici un dimanche aprem, tu veux boire un truc?
-Un Coca si tu as, bon pour le film j'ai dit que tu pouvais choisir mais j'aurais quand même mon mot à dire.
-Ah non je crois pas non, il revient avec deux canettes de soda et un paquet de bonbons, des petits ours en gélatine, tu feras avec et aucun droit de critique avant de l'avoir regardé jusqu'à la fin.
Je dévore des yeux ces sucreries qui me font saliver, le repas de ce midi a été quelque peu écourté pour moi, je meurs de faim. Il allume la télévision et je m'étale sur le canapé, il m'observe en pouffant de rire. 
Quelques secondes passent et il se décide à me rejoindre, je pose ma tête sur ses genoux non sans gêne, mais cette position semble bien nous convenir. Je suis très attentive à  ses mouvements avec la télécommande, jusqu'au moment où il lance un film. 
Il fait partie de l'innombrable liste de films d'action, autant dire qu'on s'éloigne pas mal de mes habitudes.
Seuls les quelques crissements du paquet de bonbons accompagnent les paroles du film, aucun de nous ne parle. Sa main parcourt mes cheveux et s'amuse avec quelques mèches qu'elle rencontre. 
Deux longues et douces heures plus tard, le générique de fin apparaît, il interrompt enfin la course poursuite dans Manhattan. Un énorme mélange de voitures, motos et véhicules en tout genre s'éparpille dans la ville et j'avoue ne pas avoir vraiment suivi l'intrigue complète. 
Il est de toute manière assez difficile de me satisfaire avec un film, encore plus si c'est de l'action.
-Alors tu en as pensé quoi, avoue qu'il est juste génial!
-Mouais, c'était trop long, surtout la scène devant la banque, elle a duré quoi, 10 minutes, j'ai vraiment failli m'endormir. Après, l'héroïne principale est vraiment stupide et clairement inutile, le scénario est trop vu et trop prévisible. Sinon les musiques étaient sympas.
-Tu viens de ruiner un de mes films préférés en quoi, 8 secondes à peu près? Je te remercie vraiment. La prochaine fois tu choisis et je vais me faire un plaisir de critiquer.
Je me relève du canapé, le dos engourdi, je m'étire longuement avant d'aller chercher mon téléphone au fond de mon sac. "19h21". La journée bien que remplie est passée incroyablement vite. Je retourne rapidement sur le sofa où Adan est toujours installé, lui aussi parcourant son téléphone. J'étale mes jambes sur lui, personne ne dit rien. Un bruit de clef résonne dans la pièce, je dirige mon regard vers la porte d'entrée qui s'ouvre et laisse passer quatre silhouettes que je connais bien. La voix de Lukas résonne alors.
-Il se passe quoi ici, Adan c'est toi qui...June?
Haven s'aperçoit soudain de ma présence et me sourit, puis son regard devient interrogateur. Je me rends alors compte que Abruti et moi sommes toujours collés sur le canapé. 
Je me redresse et me dirige vers elle. Ses bras m'entourent et elle me chuchote à l'oreille des mots qui me remplissent de bonheur.
-On voulait commander des pizzas ce soir, tu restes manger?
Je rigole et quelques secondes après j'accepte, finalement, la soirée se passe tranquillement, nous six réunis. Haven et Moi rentrons à la chambre vers minuit ma tête pleine de souvenirs et mon coeur rempli d'interrogations.