Le deuil.
La famille Dupuis se précipita sous le porche de leur maison pour se mettre à l'abri. Seule une faible lumière éclairait l'entrée.
Charlie passa frénétiquement sa main dans ses cheveux mouillés, alors que son père, Pierre, tentait de débarrer la porte en vitesse. Une lueur d'agacement apparut dans les iris bruns de l'homme. Un léger grognement sortit entre ses lèvres, avant de finalement réussir à ouvrir la porte.
Personne ne se fit prier, ils entrèrent en vitesse dans la maison. Juliette, la benjamine de la famille, enleva ses souliers trempés brusquement. Son geste impatient engendra les reproches de sa mère, Jeanne. Elle s'excusa sans réelle conviction, puis poussa sa valise jusqu'à l'escalier.
— Bonne nuit à tous, la voix basse de Pierre trahissait la fatigue qui l'emportait.
Le trajet d'avion avait épuisé toute la famille. Leur transfert à Toronto avait été retardé de trois heures dû à la mauvaise température.
Charlie se sentait vidée, elle aussi. Ses yeux lourds se posèrent sur sa mère. La femme semblait chercher quelque chose du regard. Ses paupières plissées laissaient entrevoir quelques rides.
—Charlie, j'ai oublié la valise de ton père dans la voiture. Pourrais-tu aller la chercher, s'il te plaît?
Charlie laissa échapper un petit grognement de mécontentement. Elle quitta la douceur de la maison pour affronter la tempête à nouveau.
Elle avait l'impression que le ciel grondait de plus belle, comme un avertissement. Chaque coup de tonnerre faisait vibrer sa cage thoracique et son sentiment d'inconfort s'intensifiait. Elle détestait la sensation de la pluie contre son corps.
À la hauteur de la voiture, Charlie plissa les yeux. L'obscurité oppressante et l'eau qui se déchaînait brouillaient sa vue. Elle sortit la lourde valise de peine et de misère et reprit sa course contre l'orage.
Les lèvres tremblantes et le pas chancelant, elle sentit une présence lointaine. Alors que le vent nocturne comblait précédemment le silence, des rires bruyants se faisaient maintenant entendre. Une conversation agitée résonnait dans la rue, dérangeant le voisinage au passage.
Charlie vit un groupe de quatre garçons s'approcher d'elle. Par sécurité ou par crainte, elle se dirigea vers le côté du trottoir pour les éviter. Mais aucun d'eux ne lui prêtait attention. Ils étaient complètement absorbés par leur conversation, marchant d'un pas pressé et oscillant.
Au milieu de la lumière des lampadaires et des éclairs, Charlie s'accrocha à la brève vision d'un des garçons. Le sourire doux et émouvant qui dansait sur les lèvres du brun captura son attention. De légères fossettes creusaient ses joues, rejointes par quelques-unes de ses mèches mouillés collées sur son visage.
Après un éclair sinueux, le tonnerre se mit à gronder telle une fatalité. Charlie laissa échapper un léger cri, surprise par la violence de la tempête. Le bruit fort résonna jusque dans sa poitrine. Elle recula d'instinct, lâchant la ganse de sa valise.
Les yeux écarquillés, sa main se posa sur son coeur. Elle tenta de se ressaisir en avalant difficilement. Elle détestait faire le saut.
La valise derrière elle s'était écrasée dans la rue, éclaboussant tout ce qui avait eu le malheur d'être proche d'elle.
—Merde, souffla Charlie, tendue.
Le bagage étalé dans une grande flaque d'eau, les souliers de la jeune femme s'imbibèrent d'eau lorsqu'elle tenta de le soulever. Le découragement s'infiltra alors dans ses veines. Les larmes aux yeux, une frustration la rongeait jusqu'au bout des entrailles.
Elle ne contrôlait plus rien de cette soirée.
La respiration saccadée, Charlie peina à relever la valise. À bout de force, elle ne sentit pas la présence derrière elle. C'est lorsqu'un bras musclé s'étira pour l'aider qu'elle leva les yeux. Elle reconnu le garçon qui avait su capturer son attention un peu plus tôt.
Séparés par un rideau de pluie, elle le fixa sans dire un mot, presque absente de la réalité. Ses prunelles suivirent la courbe de la mâchoire sculptée du jeune homme. Il lui tendait la valise, une expression impassible sur le visage.
Il était beau. Son aide l'était tout autant.
Le coeur de Charlie se réchauffa doucement, porté par le réconfort. Ce n'était presque rien, un geste doux et banal. Mais c'était ce dont elle avait besoin; un soutien délicat et pur dans une longue soirée rempli d'inconforts.
Ce fut son court répit.
Sous les appels lointains de ses amis, le garçon se retourna soudainement, sans laisser le temps à Charlie de le remercier. Elle le suivit du regard en clignant des yeux, avant de se remettre en chemin. Elle resserra son emprise sur la poignée de sa valise, décidée à ne plus la laisser tomber.
Arrivée devant sa maison, sa mère lui ouvrit la porte.
—Merci, ma belle. J'ai monté tes bagages dans ta chambre, chuchota doucement Jeanne. Bonne nuit.
Une boule dans la gorge, Charlie la remercia d'un signe de tête et monta jusqu'à sa chambre.
Les gouttelettes de pluie s'abattaient contre sa fenêtre avec violence, la faisant grelotter douloureusement. Son trouble était revenu. L'eau l'avait complètement gelée, réveillant ses pires souvenirs. Elle voulait oublier cette sensation atroce et glaciale.
Dans un espoir vain de chasser ses démons, elle glissa sous les jets de sa douche. L'eau chaude coula sur sa peau, mais elle ne cessait de trembler. Elle déposa ses mains sur ses tempes, suppliant son mal de quitter son corps.
Les images du passé traversèrent son esprit telle une lame glacée. Ses traumatismes s'imposaient en elle, à son grand désespoir. Elle se sentait impuissante. Elle se mit à tirer sur ses mèches de cheveux. Elle se griffa. Se cogna. Quelque chose de dévastateur, tout près du désespoir, l'animait.
Elle avait besoin de retrouver le contrôle de sa souffrance pour ne pas sombrer.
Les sanglots de Charlie s'étouffèrent dans sa respiration saccadée. Sa poitrine était sur le point de s'écrouler sous le poids de sa peine. Les larmes aux yeux, elle ferma ses paupières pour refouler ses pleurs.
Ces images, elles les revoyaient souvent. Elles étaient viscéralement imprégnées en elle, de sorte que les mêmes scènes se répétèrent indéfiniment dans son esprit. C'était son cauchemar éveillé, son constant combat.
Elle essayait de ne pas s'effondrer contre son seul et véritable ennemi: le passé.
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Détour
Romance❝ Une complète désillusion frappa la jeune femme. Elle voulait s'abandonner à ce qu'elle n'était pas; une fille qui ne cédait plus à ses craintes. Elle le voulait, lui, sans avoir peur. Sans aucun détour. ❞ La théorie combat-fuite est décrite comme...
001 | Répit
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