58 Soirée Pyjama

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La neige est encore épaisse lorsque nous rentrons au terrier, le soir même, accompagnées de Ambre. Il y en a moins qu'il y a une semaine, mais elle a remarquablement bien tenu. La ville entière est encore étouffée par l'épaisse couche blanche, l'entrainant dans une sorte d'étrange torpeur hivernale. Toute activité semble avoir cessé. Le Sappho est fermé jusqu'à la fin des réparations, le Mytilène également jusqu'à ce que Aki soit remise sur pied après son agression. La trêve entre les clans a ramené une forme de calme en ville, et Cheshire se tient tranquille également, probablement en train de préparer son prochain coup. L'ambiance semble plus légère qu'elle ne l'a jamais été depuis des mois maintenant, et c'est joyeusement que nous discutons toutes ensemble en nous dirigeant vers l'appartement. Ma clef tourne dans la serrure, et Ambre pousse immédiatement un long soupir que j'interprète comme étant nostalgique.

-Ça fait longtemps que je ne suis pas venue... constate-t-elle simplement. Oui, depuis que tu as rencontré Marie, je ne crois pas être revenue une seule fois ici.

-Même avant. Fais je remarquer. C'est pas très spacieux, aller chez toi a toujours été mieux pour nous retrouver.

-Oui, mon appartement et très grand et très beau, mais aussi très vide... dit-elle. C'est une superbe œuvre d'art, parfaite pour les réceptions et pour le travail. Mais il n'a pas de vie. Ce n'est qu'une coquille vide, sans âme. Une très belle coquille, certes, mais juste une coquille. Un peu comme moi...

-Arrête de dire des trucs comme ça, ça me donne des frissons. Dis-je en allumant le radiateur. Ça ne te ressemble vraiment pas.

-Peut être... mais je me sens vraiment vide, depuis que je suis partie.

Je n'ai pas de réponse à ça. Heureusement, Marie prend le relai.

-Mais tu n'es pas vide, Ambre! Tu es joyeuse, tu sais tellement de choses sur tout, tu es gentille et attentionnée, tu t'inquiète pour les autres. Ça n'a rien de vide! Moi, je t'aime beaucoup, et je pense que tu n'as rien de vide.

L'expression figée de mon amie se mue en un petit sourire fébrile. Et je souris à mon tour. Décidément, je ne sais pas ce que je ferais sans Marie.

-Je vais préparer à manger! Déclare cette dernière. Ce que je prépare est une surprise, alors zou! Vous allez au salon.

-Tu es sûre? Tu n'as pas besoin d'aide? Dis-je.

-Le jour où tu pourras m'apporter de l'aide en cuisine sera un très beau jour. Rit Marie.

Ambre pouffe en me dépassant pour se rendre au salon, et je grogne en la suivant.

-Je suis pas si mauvaise cuisinière que ça. Je n'ai juste jamais vraiment essayé, ça n'a rien à voir.

-Mais bien sûr. Me dit mon amie en s'affalant sur le canapé,

Elle tend la main vers la télécommande pour allumer la télévision, puis se retourne vers moi.

-Tu te souviens de la fois où on l'a fait ici?

Je suis surprise qu'elle aborde le sujet de nos ébats sexuels passés. Il m'a semblé qu'elle ne voulait plus en parler depuis que je suis avec Marie.

-Bien sûr que je m'en souviens. Dis-je. T'avais crié si fort que j'ai eu des réclamations des voisins. Pourquoi?

-Je considérais que c'était une de mes meilleures expériences sexuelles jusqu'ici. Mais... depuis que je l'ai fait avec elle...

Ses yeux se perdent au loin quelques instants, puis elle continue.

-... c'était si différent... sans même qu'elle soit aussi douée que toi, c'était juste... magique. Je pense que le sexe avec des sentiments n'a vraiment rien à voir avec le sexe en temps normal. Je n'arrivais pas à imaginer comment les gens pouvaient dire ça, avant, mais... mais c'est vrai, finalement.

Elle relève les yeux pour fixer son regard dans le mien.

-Je suppose que vous ne l'avez toujours pas fait?

Arg. Je me tends. Je suis démasquée. Son sourire malicieux s'allonge.

-Il ne faudrait pas trop attendre, dis moi, Shi...

-Lâche moi.

-Je rigole. Sérieusement, je te dirais de prendre ton temps et d'en profiter au maximum, Shi. Je pense que même si tu appréhende, tout se passera bien, parce que quoi qu'il arrive, si c'est avec elle, alors ce sera bien.

-Mm. T'as ptet raison.

-Bien sûr que j'ai raison.

-T'aurais pas pris le melon en trainant avec Cheshire, toi?

Elle éclate de rire.

-C'est possible!

La voir rire me fait plaisir. Voir qu'elle est toujours capable de sourire d'elle même et des autres me rassure. Quand j'ai commencé à comprendre ce qu'impliquait le fait d'avoir fréquenté Cheshire, j'ai vraiment cru avoir perdu mon Ambre pour toujours. J'ai vu des hommes se jeter à la mort sans état d'âme car elle l'avait demandé. J'ai vu un homme se suicider pour ses beaux yeux. J'ai vu des hommes parmi les plus importants au monde tomber sous les balles de ses caprices. Là où Cheshire passe, il ne reste plus rien. Et pourtant... Ambre est encore là. Elle rit, elle sourit, elle a nos souvenirs; elle réfléchit, elle bouge, elle respire; elle vit. Et Cheshire elle aussi semble avoir été changée, même si ce n'est pas autant qu'on aurait pu l'attendre. Tout cela me donne espoir en l'avenir.

-C'est prêt tout le mooonde! Ce soir, c'est mexicain! Fajitas, burritos, tout ce qu'il faut.

-Putain, Marie, je t'aime. Dis-je en entrant dans la cuisine et en posant un baiser sur ses lèvres.

***

-Shi... tu dors? Me chuchote une voix à l'oreille.

-Non... Ambre dort de ton côté?

-Oui, je crois. Me répond Marie. Elle devait être fatiguée.

-Elle a traversé beaucoup de choses ces derniers temps.

Nous sommes couchées, à trois dans le grand lit de ma chambre. Marie a insisté pour que Ambre ne dorme pas seule dans le canapé.

-Shi... prends moi dans tes bras.

-Hein? Quoi? J-Je...

-S'il te plait...

Je cède, et glisse lentement mes mains le long de ses hanches, tandis que les siens s'accrochent autour de mon cou. Nous nous rapprochons, doucement, lentement, nos corps se touchant de plus en plus, nos lèvres scellées en un long baiser. Timidement, mes mains plongent du creux de son dos vers ses fesses, et elle semble m'y encourager. Cela me coûte un effort surhumain... mes peurs, mes appréhensions, ma distance, tous ces obstacles se dressent sur mon chemin, mais sa respiration qui me chatouille la joue les balaie tous. Mes mains sont arrivées à destination. Elles ne bougent plus. Je la sens se détendre dans mes bras, et elle glisse sa tête au creux de mon cou.

-Shi... je pense pas qu'on doive envoyer Ambre dans le 3e.

-Hein? Mais...

-Tu as entendu, tout à l'heure. Elle est en pleine déprime. Et si elle se retrouve seule, elle va y sombrer encore plus profondément, et tout ce qu'elle finira par faire, c'est retourner auprès de Cheshire.

-Elle l'aime vraiment. Je pense que c'est ce que je ferais à sa place. Dis-je.

-Exactement. Mais quand elle est ici, avec nous, elle rit, elle sourit, elle est joyeuse, elle pense à autre chose. Je pense que... ce serait mieux pour elle si elle restait ici. Ou si on l'accompagnait à l'appartement.

-Tu as envie de retourner là bas?

-Pas... pas vraiment. Pas déjà. Mais s'il le faut...

-Pas besoin. La coupe-je. Après tout, Cheshire semble avoir arrêté de la chercher, et les Clans n'ont rien dit à son sujet. C'est un danger que l'on prend, mais il y a quelque chose que j'ai appris quand je te laissais seule à l'appartement: ça me fait bien plus peur de te savoir seule, même potentiellement en sécurité, que de te savoir avec moi. C'est pareil pour Ambre. Je préfère rester avec elle, afin qu'elle aille mieux, et d'être moi même présente si il arrive quelque chose.

-Merci. Me répond simplement Marie avant de m'embrasser, et de se caler confortablement contre moi pour dormir. Bonne nuit, mon amour.

-Bonne nuit, Little Miss Sunshine.

La PrédatriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant