51 Je Traque les Damnés

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L'ombre s'échappe devant moi. Je souris. Elle ne connais pas la ville... je sais parfaitement où mène cette ruelle. Un cul de sac. Je hâte tout de même le pas, de manière à ne pas laisser échapper stupidement ma proie. Ça ne me ressemble pas.

Il fait froid, encore. L'Hiver s'accroche et refuse de céder du terrain. Il parait que la température va encore descendre. Et au vu des évènements funestes qui se profilent à l'horizon, la météo semble vouloir s'accorder à l'humeur tendue des habitants. À peine une semaine a passé depuis l'incident de la Crevasse, et, comme l'avait prévu Vlad, l'état et l'armée ne purent empêcher une fuite d'information, et sont maintenant dans une tourmente médiatique sans précédent, alors que les évadés commence déjà à faire des leur. Du côté de Cheshire... silence radio. De même que ses alliés. Ils attendent probablement que les choses se tassent. Plusieurs dizaines de prisonniers ont déjà été rattrapés, se vante l'armée; je pense personnellement qu'ils grossissent les chiffres pour contenir la panique.

De mon côté, pas grand chose de nouveau, sinon une chasse à l'homme - ou plutôt, au chat. J'essaie de débusquer Cheshire par tous les moyens, mais elle reste bien planquée dans son terrier. À défaut de la trouver elle, j'essaie de dénicher des informations à son sujet. Et quoi de mieux pour cela que ceux qui l'ont réellement connue dans la prison du Diable, hum? En plus, l'armée propose une prime sur leur tête... parfait pour mon business, même si j'ai quelques hésitations à tuer de pauvres fous ayant enfin retrouvé leur liberté.

Seulement quelques hésitations.

Chacun de ces évadé est une potentielle machine à tuer, et faire preuve d'une quelconque pitié peut signifier la mort.

J'arrive enfin au bout de la rue. Le cul de sac, coincé entre deux immeubles, sans porte pour s'échapper. Je ne vois personne, mais je sais qu'elle est là. Ma cible. Seules deux poubelles offrent des cachettes. Ma cible est peut être armée. Un peu de prudence peut servir. D'autant que je ne me retrouve pas face à un random civil, mais face à un homme ayant survécu à la Crevasse et à une semaine de traque de l'armée.

-Je viens juste discuter. Dis-je avec une voix détendue et dépourvue de toute trace d'hostilité.

Je suis par contre pas assez folle pour ranger mon arme.

-Range cette arme, dans ce cas. Lance intelligemment une voix masculine, depuis la poubelle de droite.

-Je crois plutôt que je vais la garder et que tu vas gentiment me parler. Dis-je comme seule réponse. Et sors de là.

Le couvercle se soulève lentement, laissant apparaitre une main décharnée, puis, sans crier gare, elle s'ouvre d'un coup et quelque chose vole dans ma direction. Je me baisse à temps pour éviter le couteau, lorsqu'un deuxième siffle dans ma direction. Merde, je suis déjà en pleine esquive, et la trajectoire est très bien calculée. Un mouvement du canon de mon arme me permet de dévier le deuxième projectile, et j'entraperçois l'ombre de l'homme tenter de s'enfuir par la voie désormais libre.

Sans réfléchir un instant de plus, je récupère le couteau que je viens de dévier au sol et me jette sur l'homme, lui plantant la lame profondément dans la cuisse, en veillant cependant à ne pas toucher les artères vitales. Il est facile de se vider de son sang à cause d'une telle blessure.

Son cri de douleur perce la nuit silencieuse, et je m'assois triomphalement sur lui.

-Et dire que nous aurions juste pu parler... dis-je.

-Qu-Que me veux tu?

-Que pourrais-je bien vouloir d'une loque humaine comme toi? Des informations, bien sûr.

-Dans tes rêves.

Je me rapproche de lui, et mon regard se fait brillant. Mes yeux verts percent jusqu'à la dernière de ses défenses.

-Fais attention à toi... dis-je avec une voix lancinantes. Il n'y a pas qu'en enfer qu'on croise des démons...

Il déglutis, et tente de lutter contre la peur et la souffrance.

-Parle moi de Cheshire...

-Tu... Vous lui ressemblez beaucoup... elle aussi, est terrible. Quand elle est tombée dans la Crevasse, c'était une gamine. Elle avait à peine commencé sa puberté. Et un endroit comme ça... ça pardonne pas, pour une gamine. Les leaders de l'époque se la partageaient, et la baisaient dès qu'ils en avaient envie. Mais on ne sait pas trop ce qu'il se passait... ils ont commencé à lui obéir.

-Précise.

-D'accord, d'accord! C'était graduel. Au début, c'était juste qu'elle recevait de meilleures part de nourriture de leur part. Puis, il lui arrivait de refuser de faire l'amour, et ils acceptaient. Et avant qu'on le réalise... ils étaient presque tous passés sous sa coupe. Tous ceux qui ne l'étaient pas ont été massacrés par ses fidèles. 

-Et les gardiens n'ont rien dit?

-Les gardiens? Ricane-t-il. Ils ne sont là que pour garder la sortie. Et pendant qu'ils le faisaient, elle a assis sa domination... et ceux qui ne la reconnaissaient pas devaient juste baisser les yeux et se faire discrets. C'est ce que j'ai fait, et je compte bien continuer à le faire. Je n'ai aucune envie de me retrouver face à cette folle!

-Oh, mais ne t'inquiète pas... tout ce que tu m'as dit colle plutôt bien avec les deux autres témoignages.

-Deux autres?

-Bien sûr. Tu ne crois quand même pas que tu es le seul évadé que j'ai chassé...

-N... Non... NON, je refuse de retourner là bas! Je refuse! Plutôt mourir!

Je cille face à cette réaction. Les deux autres prisonniers que j'ai poursuivis durant la semaine ont eu exactement la même. Je comprends plutôt le fait de préférer la mort à l'emprisonnement, mais leur peur est palpable quand ils parlent de la Crevasse. Une peur viscérale et profondément ancrée dans leur esprit.

-Plutôt mourir, dis tu? Ça peut s'arranger.

-M-Merci.

Ma balle part et va se loger exactement dans sa nuque. C'est bien la première fois qu'on me remercie d'être tué. Mais, décidément... je n'ai pas envie de goûter à cet endroit. La Crevasse, l'Enfer... semble avoir été un endroit terrible. Tout aussi inhumain et fou que ceux qui en sont sortis. Et plus j'en apprends, plus je comprends la folie de Cheshire et sa haine. Et plus elle me semble éloignée de moi. Pourtant, cette phrase revient sans cesse, dans toutes les bouches.

"Vous vous ressemblez"

En quoi? En caractère? En folie? En violence? En vécu? Ou alors physiquement? Rien de tout ça, je le crains... alors je ne comprends pas cette réaction.

En tout cas, voilà un autre pigeon dans mon panier de chasse. Il est temps de passer aux choses plus sérieuses. Distraitement, je sors mon portable et tapote dessus jusqu'à faire apparaitre le dernier message de Vlad. Le Chuchoteur a mis la main sur quelque chose d'intéressant: une sorte de carton d'invitation envoyé par Cheshire, probablement à ses alliés. Elle les invite à un "festin d'adieu" afin de mettre "fin dans la dignité à leur fructueuse collaboration". C'est bien dans son style, et ça me semble être un piège grossier. Mais si ces hommes qui l'ont aidée se croient intouchable, il est possible qu'ils tombent dedans...

J'ai réuni assez d'information pour en savoir un peu plus sur elle et sur son fonctionnement. C'est mon occasion de l'arrêter. Si seulement j'arrivais à la débusquer...

La PrédatriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant