38 Au Sappho

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-Tu es sûre de vouloir faire ça?

-Bien sûr.

-Rien de ce que je vais dire ne te fera changer d'avis?

-Rien.

-Même si je te dis que Marie va être dévastée quand elle ne te trouvera plus ici à son réveil?

J'hésite un instant. Ambre sait trouver les mots pour me déstabiliser, ya pas à dire. Je jette un oeil vers un coin de l'entrepôt, là où repose le corps endormi de Marie, enroulé dans un duvet. Je me sens un peu bizarre de l'amener dans cet endroit où j'ai exécuté tant de monde, dont son ex-mari, mais nous n'avons pas vraiment d'autre planque viable dans le 18e que Sforza ne connaisse pas, et je ne compte pas m'expatrier au loin. Ilica est mon territoire, cette ville représente tout mon monde, l'extérieur n'existe pas à mes yeux. Il est hors de question que je fuie, et surtout... il est hors de question que je laisse en vie cet enfoiré de commissaire.

Il est la cause de tous nos ennuis. Il a tué le vieux, ramené Cheshire en ville, est sans doute derrière l'attaque de l'enterrement et c'est maintenant lui qui maintient la prime sur nos têtes.

-Je dois y aller, Ambre. Marie comprendra. Elle aimait bien le vieux, elle aussi. Et tant que ce connard reste aux commandes, ce n'est qu'une question de temps avant qu'on soit trouvées. Il faut agir en premier et frapper là où ça fait mal... c'est à dire dans les couilles.

Ambre soupire en me jetant un regard à la fois fatigué et ennuyé.

-Qu'est ce que tu peux être têtue...

-Yep. Je vous laisse l'autre voiture au cas où il y a un problème, c'est la seule qui m'appartient vraiment et elle est toujours planquée ici spécifiquement pour ce genre de situation. Fais juste gaffe à ce que la batterie soit pas à plat.

-Oui, oui. Maintenant, pars vite, avant que je décide de la réveiller pour t'en empêcher. Je maintient que ce n'est pas le moment de nous séparer.

-T'inquiète, je gère, comme toujours.

Elle ricane, mais ne rajoute rien.

***

-Salut la compagnie.

-Tiens Tiens, cette chère Shi... lance une bartender sarcastique lorsque je pousse la porte du Sappho. Je pensais qu'on te reverrait plus dans le coin.

-Qu'est ce que tu raconte? C'est pas un foutu connard qui vient dans l'est comme s'il en était le nouveau chef qui va faire la loi, Jill. Sers moi un verre de vodka, je suis en manque.

Sans se départir de son sourire moqueur, la bartender se saisit d'un verre et y verse une bonne rasade du liquide transparent.

-C'est la maison qui offre, parce que ça me fait plaisir de te revoir.

-C'est partagé. Tu as reçu de la visite pour moi?

-Bien sûr. Tiens, c'est un mot de Jade.

-Tu l'as lu?

-Je suis une messagère, pas une espionne.

-De toute façon, c'est codé. Dis-je en riant.

Puis le souvenir de Marie déchiffrant le code avec facilité me calme très vite.

Je me penche sur le message laissé par mon informatrice au commissariat. Avant de me relever d'un coup.

Le message débute par un sinistre "salut, petit Lapin", accompagné d'un smiley chat.

Putain. Cheshire. Qu'est-il arrivé à Jade? Pas du bien, je le crains... j'ai perdu ma principale source d'information, ainsi qu'un plan cul régulier des plus aboutis. Merde! Foutu Cheshire, il est vraiment retord... maintenant, le commissariat est une boîte noire dans laquelle je ne sais pas ce qu'il se passe. Je devrais tout de même à trouver un moyen de me débarrasser de Sigurdsson, mais ça risque de se révéler plus compliqué que prévu. Surtout si Cheshire est de la partie...

Je lis la suite du message:

"Salut, petit lapin...
Tu semble avoir fui le terrier. Pourquoi donc ne pas revenir au pays des merveilles? Je le sais! C'est à cause du valet de cœur. Il dit servir la reine, mais il ne fait que lui voler ses tartes. Que dirais tu de venir déguster ces délicieuses tartes avec moi? Je t'attends avec ta petite informatrice...
bisous
Cheshire <3"

Ce mec... est définitivement complètement timbré. J'avais déduis que la Reine de Coeur représentais les Falconi dans sa vision déviante du monde. Mais maintenant un valet? Et des... tartes? Bordel, de quoi cause-t-il? Je réfléchis quelques instants sous le regard acéré de Jill. La valet... je suppose que ce doit être Sigurdsson... mais dans le film, je ne me souviens pas avoir vu de Valet de Coeur.

Un détail me frappe. Mais oui. Le film n'est pas le livre, toutes les scènes ne sont pas adaptées! Merde, que disait Marie sur le livre déjà? Il me semble que... aaah... je n'arrive pas à me rappeler. J'aurais peut être dû le lire.

Ce foutu psychopathe va me pousser à lire! Incroyable!

-Les nouvelles ne sont pas bonnes, à ce que je vois. Constate Jill.

-Elles sont même mauvaises. Je n'ai plus d'informatrice. Ce message n'est pas d'elle.

-Ah bon? Pourtant c'est ainsi qu'elle m'a dit de se présenter à toi en m'apportant cette note.

Je tilte immédiatement.

-Jill... qui t'as amené ce mot?

-Tu le sais aussi bien que moi. Répond elle en fronçant légèrement les sourcils. Elle m'a dit que tu la connaissais sous le nom de code Jade, mais je sais que ce n'est pas son vrai nom. 

-À quoi ressemble-t-elle? Le moindre indice peut aider, peut être que je la connais...

-Mais qu'est ce que tu raconte? Bien évidemment, que tu la connais, vu que tu l'as emballée ici il y a quelques semaines.

-Une meuf... que j'ai emballée? Ici?

Mon sang ne fait qu'un tour.

-Alice?

-Si c'est le nom sous lequel elle s'est présentée à toi. Répond simplement la bartender. J'ai l'impression qu'elle en donne des différents à chaque personne.

-Rousse? Plutôt bonasse? Un peu timbrée sur les bords?

-Pas que sur les bords... murmure-t-elle. 

-Impossible!

J'ai crié plus fort que prévu. Jill sursaute et me regarde avec un air intrigué.

-Elle est... elle est morte! Dis-je. Je l'ai vue! J'ai vu son corps déchiqueté par Cheshire au parc!

-Écoute... je sais pas ce que t'as vu, Shi, mais je n'oublie jamais un visage, et certainement pas le sien. Et même si c'était une jumelle ou un truc comme ça, les tics de langage et de comportement sont différents. Je t'assure que c'était cette fille, que tu l'appelles Alice, Jade ou je ne sais quoi. Si je peux me permettre, d'ailleurs... ajoute Jill, avec un regard sombre, en nettoyant un verre, comme à son habitude. Tu devrais faire attention à cette gamine. Je sais que t'es pas non plus une rigolote, mais crois en mon expérience quand je te dis qu'elle n'est pas juste "un peu timbrée sur les bords"...

Je me rassois sur ma chaise, dont je m'étais levée. J'essaie de procéder l'information. Alice serait encore vivante? Pourquoi! Ça n'a pas de sens! Ça n'a pas de...

Putain!

C'est quoi ton plan foireux, Cheshire!

La PrédatriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant