Il pleut. Les gouttes d'eau ruissèlent le long des façades sales des immeubles, suivent les sillons des trottoirs mal entretenus pour converger en de petits ruisseau qui longent la rue dans les caniveaux. L'odeur d'humidité est étouffante, mais elle recouvre toute trace. La pluie emporte les effluves, et les chiens ont plus de mal à suivre leurs pistes. Les lampadaires éclairent de leur lumière blême et vacillante le ballet incessant de l'eau qui martèle le sol. Ce martèlement est le seul bruit qui hante la nuit. Il camoufle tout le reste. La discussion discrète du dealer sous un porche au bout de la rue. Les pleurs de cette femme qui se fait battre à l'étage. Les cris des nourrissons de l'orphelinat dans mon dos. Les bruits de pas discrets mais assurés du prédateur. Mon sourire s'élargit.
J'aime la pluie.
J'enfile ma capuche, et glisse mon masque sur le bas de mon visage, avant de quitter mon abri et de m'avancer dans la petite ruelle sous la pluie battante. Un rat s'enfuit en me voyant et disparait par une fissure invisible aux yeux du commun des mortels. Mais pas pour moi. Je la remarque immédiatement: elle est située juste derrière une gouttière ruisselante, et mène probablement directement aux égouts, où des centaines de ses congénères se tapissent dans l'ombre. Le dealer et son client se séparent précipitamment en me voyant arriver. Contrairement au rat, leur fuite est lente, pataude, et inefficace. Si je décidais de les chasser, ils n'auraient pas la moindre chance. C'est ce que j'aime avec les humains. Ce sont des proies faciles. Et moi, je suis leur prédatrice.
Mon nom est... oh, ça n'a pas d'importance. Qu'est ce qu'un nom après tout, sinon une étiquette permettant de se fondre dans la masse grouillante. Je préfère ne pas avoir de prénom. Après tout, je suis au dessus de tout ça. Mais si on devait référer à moi, on pourrait m'appeler Shi. C'est le surnom qu'on m'a donné, dans le milieu. Un nom qui me correspond assez bien, puisqu'il signifie "mort". D'autres m'appellent la Veuve Noire, mais c'est un peu moins discret comme appellation. Et puis, c'est le nom d'une foutue araignée. Il me suffit d'un doigt pour l'écraser. M'appeler ainsi, c'est supposer que je suis aussi faible.
La dernière personne qui m'a appelée ainsi l'a regretté. Plus personne n'a réutilisé ce surnom devant moi depuis.
Mais je digresse. Comme souvent, lors de mes séances de chasse. Comme il est agréable, de sentir la piste de sa proie et de la traquer jusqu'à son terrier... c'est encore plus drôle lorsqu'elle se doute de quelque chose. Elle surveille ses arrières. Elle stresse. Elle sent ma présence mais ne peut me détecter, ressent le danger mais ne peut y échapper. Et ce désespoir est ce qui rend mon boulot si plaisant. J'aime découvrir ces nouvelles émotions sur le visage de mes proies quand je coupe le fil de leur vie.
Je suis Shi, et mon job, c'est de tuer des gens.
C'est presque un hobby, à vrai dire. Certains peignent de magnifiques fresques. D'autre composent des odes aux sonorités nouvelles et ensorcelantes. D'autres encore s'évertuent chaque jour à percer un peu plus les secrets de l'univers. Chacune de ces occupations est, selon moi, une forme d'art; une forme de recherche de la perfection dans ce que l'on fait. Et je me targue d'être une artiste, aussi.
D'un tout autre type, bien sûr.
J'arrive au niveau de la porte en bois. Je l'ai déjà repérée en début d'après midi; j'ai coincé un chewing gum au niveau de la serrure pour l'empêcher de se fermer totalement. Un chewing gum pas mâché par moi, bien sûr. Je ne suis pas stupide au point de laisser des traces aussi évidente derrière moi. J'entrouvre la lourde porte de manière à la faire grincer au minimum. Le léger crissement qu'elle produit tout de même est satisfaisant. C'est le bruit du monstre qui entre dans la pièce, dans tout bon film d'horreur. Frisson garanti. Pour la plupart des gens, en tout cas. Moi, ça ne me fait rien. Il faut dire que je ne ressens pas beaucoup d'émotions. Mais l'euphorie que me procure la chasse est l'une des rares qui me fasse vibrer.
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La Prédatrice
RomancePersonne ne connaît son vrai prénom, mais elle se fait simplement appeler Shi pour le travail. Ça signifie mort, et c'est une excellent pseudonyme, puisque c'est ce en quoi consiste son travail. Elle est une prédatrice, et elle méprise les proies. J...