Chapitre 9

                                    

                                          
Je crois que c'est plus fort que moi. Cela doit bien faire une demi-heure que je n'écoute plus rien, que j'ai totalement décroché que les mots du professeur glissent dans mon oreille pour ressortir de l'autre. Je ne cesse de me hurler d'écouter, de détourner mon attention, mais voilà une demi-heure que je lutte.
                          
En vain.
                          
J'ai posé mon regard sur Théo. Assis juste là, devant moi. Je me suis surpris à détailler les plis de son t-shirt ou encore sa nuque. Que l'on ne me demande pas pourquoi, mais j'ai trouvé une certaine fascination dans ça.
                          
Je veux dire... Je connais les traits, les muscles, les courbes, le corps entier de Thétis par cœur tant mes doigts l'ont parcouru... Mais là, c'est différent. Là, il s'agit d'un garçon. Un mec. Je peux regarder sous tous les angles, tous les aspects... Thétis est Théo, mais Théo n'est définitivement pas Thétis.
                          
Pourtant, je suis là... Béa, le regard vide, la tête ailleurs. L'esprit perdu.
                          
« Alex ! Alex ! »
                          
Je vois sa main s'agiter devant mon visage tandis que je garde mon stylo en bouche.
                          
« Alex, c'est la fin du cours. Tu veux rester là pour manger ou quoi ?
                          
— Hmm... Attends... Quoi ?! Oh non. Oh non, non, non. Oh non !!! »
                          
Je n'ai rien écouté. C'était le dernier cour avant les examens dans deux semaines, et je n'ai pas écouté une traite mots de tout ce qui a été dit.
                          
Je suis dans la merde.
                          
« Attends ! Où est-ce que tu vas ?
                          
— À la bibliothèque !!! Il faut que je révise ! »
                          
Pourquoi ? Pourquoi a-t-il fallu que mon esprit décroche au moment le plus fatidique de ma vie ? Ça sert à quoi d'avoir une mémoire vieille de plusieurs centaines d'années si je ne suis pas foutu de retenir un semestre de cours, putain ?!
                          
Ah.
                          
Mais...
                          
Elle est là la solution. Je ne suis pas obligé de réviser. Je m'en souviens de tout ça. Des dates. Des batailles. Des évènements.
                          
Je suis mon propre cours du coup. Ça, c'est pratique.
                          
« MÉMOIRE JE T'AIME ! JE RETIRE CE QUE J'AI DIT !
                          
— Houla ! Toi, t'as carrément besoin d'une pause...
                          
— Octave ! Tin', tu m'as fait peur. Surgis pas comme ça.
                          
— Pourquoi ? Ah oui, pardon... T'étais en pleine déclaration pour ton cerveau. Tu veux un petit moment d'intimité ?
                          
— Sois pas stupide... Qu'est-ce que tu veux ?
                          
— Moi ? Rien. Je viens voir si ta tendre moitié est là ?
                          
— Oui, partie vers la cantine. »
                          
Et c'est en lui répondant directement, sans prendre le temps de réfléchir à sa question, je comprends le malaise et pourquoi il me regarde aussi curieusement.
                          
« Alors... non... ce n'est pas ma tendre moitié...
                          
— C'était... Surprenant. Honnêtement, je ne m'attendais pas à ce que tu répondes à ça.
                          
— Lâche-moi la grappe un peu, c'est pas les vendanges putain.
                          
— Réplique de vieux. »
                          
Alors tu vas te calmer OK, parce que théoriquement je suis plus vieux que toi.
                          
Quoique... Si... J'ai toujours été plus vieux qu'Octus. Je suis né deux jours avant.
                          
« Bon plus sérieusement, j'ai faim, on va manger ?
                          
— Tu ne cherchais pas Théo, toi ?
                          
— Ouais, mais justement parce que c'est un petit poisson relâché dans le vaste océan qu'est le campus... Je ne peux pas le laisser seul.
                          
— Toi, t'as abusé de Némo hier.
                          
— Pas de ma faute, ça me fait pleurer à chaque fois.
                          
— Petit sensible va. Allez, viens, on va récupérer Némo. »
                          
En route pour se jeter dans la foule formant une queue imposante devant les portes du « restaurant universitaire », Octave s'arrête et me regarde, faisant mine de réfléchir.
                          
« Attends... Si Théo c'est Némo... Moi, je suis qui alors ?
                          
— Dory ? Je ne sais pas pourquoi, ça te va bien. »
                          
Il a toujours été du style à oublier... À oublier beaucoup de choses.