MADELEINE
30 avril 2018
Je retrouvai les filles dans la cour avant que la sonnerie nous somme de prendre la direction des salles de classe. Hortense était assise sur un banc, les genoux repliés contre la poitrine et les écouteurs qui diffusaient certainement du rap. Jeanne et Amélia arrivaient au loin. Leurs silhouettes me semblaient si familières que je n'avais pas l'impression d'avoir eu une vie avant ces filles. Elles me donnaient une raison de me lever chaque matin. J'avais vraiment de la chance d'avoir des amies qui rendaient mes journées plus douces. Mon attention se reportait sur les deux silhouettes en approche lorsque je remarquai qu'elles n'en faisaient plus qu'une. J'ai plissé les yeux en pensant avoir mal vu. L'une n'était plus que la prolongation de l'autre dans un parfait déséquilibre. Elles se tenaient la main.
─ Hortense, je chuchotais entre mes dents. Hortense !
Mon amie qui avait juste relevée la tête vers moi pour me saluer s'était aussitôt replongé dans sa musique, le front collé aux genoux. Je remarquai le lacet de sa converse défait. Puis je songeai avoir rêvé. Il faisait beau et quand, à mon tour, je relevai la tête, même leur ombre avait grossie. Elles n'en avaient plus qu'une grosse en commun, j'essayai de deviner laquelle avait mangé l'autre.
Ce n'était pas un geste impossible pour des amies mais je ne les avais jamais vues très tactiles, comme si le contact de l'une pouvait brûler l'autre. Leur relation était faite de conversations assez profondes mais rares, je savais qu'Amélia était plus à l'aise quand Hortense et moi n'étions pas avec elles. Elle n'a jamais été douée pour converser avec du tac au tac, ce qu'au contraire, nous savions bien faire. Mais nous n'en étions pas pour autant moins proches, il fallait juste savoir écouter et respecter ses silences, nous ne les avons jamais mal pris. Avec Amélia ce n'était jamais une conversation, toujours une confidence, et cela ne rendait pas tout le monde digne de sa présence. D'ailleurs je pense que nous étions ses seules amies. Je ne sais pas pourquoi cette vue, de leurs mains liées, me faisait penser à tout ce que nous étions, comme si nous n'allions plus l'être. L'angoisse trouva refuge dans mon estomac. Toutefois ma réaction me semblait quelque peu exagérée. Ce n'étaient que deux mains qui supportaient le poids l'une de l'autre. Elles ne faisaient que le tableau de deux jeunes femmes heureuses de se connaître. Alors pourquoi toutes les têtes se tournaient sur leur passage ?
J'eus l'irrépressible besoin de photographier cet instant en regrettant amèrement de ne pas avoir mon appareil photo sur moi, je sortis maladroitement mon téléphone de ma poche manquant de le laisser glisser je pressais mes doigts afin qu'il n'aille pas plus loin. Hortense me jugeait. J'aimais ce regard et d'habitude il me faisait rire mais j'étais trop prise dans ma fièvre créatrice que pour m'en occuper. J'étais passionnée de photographie, et j'envisageai de faire une école de cinéma après le bac, tout le monde le savait et ça ne choquait plus personne que je sorte mon appareil à des moments qu'ils ne comprenaient pas forcément.
Et là, tout ce que je savais c'était que j'avais besoin de cette photo. Mes doigts tremblaient en accord avec mon cœur mais j'ouvris l'application et d'un cadrage bancal j'appuyais sur l'écran pour capturer le temps. Ce moment qui me bouleversait et que j'avais besoin de posséder. J'étais une voleuse de temps. Mon combat était perdu d'avance. Mais on ne changeait pas sa nature. La mienne était de vouloir ce que je n'avais pas. Je regardais Hortense qui avait enfin remarqué nos copines en approche. Toute cette entrée n'avait duré qu'une minute et quelques mètres, pour moi c'était au ralentit.
─ Vous avez encore des secrets pour nous après tout ce temps ? s'amusa Hortense qui devait croire qu'il s'agissait d'une blague.
Je n'avais pas du tout l'impression que c'en était une, d'abord parce que ça ne me faisait pas vraiment rire.
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Sapphic Archives
RomanceJeanne en a marre qu'on lui dise qu'elle est trop belle pour être lesbienne. Elle assume complètement cet aspect de sa personnalité et refuse qu'on l'en prive. Puisqu'on ne la croit pas, elle décide de prendre les choses en mains : proposer à une am...