Chapitre 24 : La dague

                                    

                                          
Jeremy et Aelynn se posaient la même question. Aelynn en particulier se souvenait de vieux films de vampires que le cinéma du coin diffusait une fois par an, pendant la semaine spéciale Halloween. D'après un de ces films, il suffit de tuer le vampire alpha pour que toutes les personnes qu'il avait vampirisées redeviennent humaines. Billy était à l'origine du Venin et il était mort, et bien mort à en juger par le sang qui imprégnait le tapis. Alors pourquoi leurs yeux orangés n'avaient-ils toujours pas repris leur couleur normale ?
- C'est le péché, supposa Jeremy. Le Venin est un concentré de péché, on n'en est pas exempts. Peut-être que si on lavait la ville du péché, on se débarrasserait enfin du Venin.
- Quoi ?! En tuant tout le monde ?
Jeremy se mit à rire nerveusement.
- Non. C'est l'un des Dix Commandements : Tu ne tueras point. Mais tout le monde peut s'efforcer de se laver de ses péchés. Moi, par exemple, je suis gay.
Aelynn prit une profonde inspiration et cria :
- ARRÊTE avec tes conneries ! J'ai bien compris, tu es gay, je m'en fous ! Billy, il était hétéro et il m'a menacée de me violer ! Toi, t'es gay et t'as jamais fait une horreur pareille ! A ton avis, avec qui je préfère passer du temps ?
- Avec moi ?
- Ouais, lui c'était un porc et toi, un mec décent ! Maintenant, il faut trouver un moyen de se débarrasser du Venin !
Jeremy se sentit profondément ému. Que ce soit au sein de son foyer ou à l'école, il ne s'était jamais senti valorisé en tant que tel, sauf peut-être par la toute petite Gabrielle. Avec Aelynn, il se sentait apprécié et c'était nouveau. Malgré le choc et l'horreur de tout ce qui venait de se passer, il se sentit bien l'espace d'un instant.
Soudain, un œuf s'écrasa sur une des vitres, ce qui n'était pas rare par une nuit comme celle-ci. Aelynn alla vérifier que la fenêtre était bien fermée et quelque chose brilla dans son champ de vision. C'était la dague maudite, qui était tombée sur le carrelage une heure plus tôt et qui y était restée.
- Tu sais comment détruire un truc en métal ? lui demanda-t-elle en désignant la dague.
- Je sais un peu bricoler, répondit-il. Mon père dit qu'un garçon qui ne fait pas d'activités viriles comme le bricolage risque de devenir gay, c'est pour ça qu'il nous a appris ce genre de trucs, à mes frères et à moi. J'ai jamais fait fondre de couteau mais il y a sûrement des outils dans leur garage, on peut essayer.
- Ouais. Essayons !
Pour la première fois, Jeremy se sentit vraiment reconnaissant envers son père de lui avoir appris à bricoler. En effet, il n'avait jamais vraiment aimé les après-midis où celui-ci lui faisait regarder sous le capot de la voiture ou monter des meubles mais il s'y était astreint dans l'espoir absurde de faire disparaître ses penchants homosexuels. Aujourd'hui, il était toujours aussi gay mais au moins, il savait monter, souder et visser, même s'il n'aimait pas spécialement ça. Ces leçons prises à contrecœur allaient enfin porter leurs fruits.
Un deuxième œuf s'écrasa sur la vitre, qui se mit à fondre. En panique, les deux ados se précipitèrent dans le garage, qui s'avéra bien encombré. Jeremy se mit immédiatement à fouiller parmi les étagères.
- Aide-moi à chercher ! lança-t-il à Aelynn.
- On cherche quoi ?
- Un seau en métal, un marteau, des pinces, un chalumeau, un four...
- Et un raton-laveur !
- Fais-le sortir ! On n'a pas besoin de cette bestiole dans nos pattes !
- Je plaisante ! protesta Aelynn. La poésie de Prévert, tu connais ?
- Non ! T'as trouvé un seau ?
Il venait de dénicher un chalumeau. Aelynn trouva un plateau en métal et y déposa la dague. Elle pouvait entendre les enfants qui hurlaient et tambourinaient à la porte.
- Le Venin proteste, supposa-t-elle. Ça a compris qu'on est sur le point de le détruire, c'est pour ça que ça amène les enfants ici. Ils essaient d'entrer.
- Faut qu'on fasse vite. Mets-toi près de moi. J'espère qu'il marche...
Il alluma le chalumeau et la flamme jaillit, si forte que les deux adolescents eurent un mouvement de recul. Jeremy récitait une prière à mi-voix et Aelynn ne disait rien, la main pressée sur la poignée. Dehors, les enfants hurlaient de plus en plus et la porte du garage tremblait sous les coups. L'odeur devenait insoutenable et soudain, il y eut comme une déflagration. Les deux ami.e.s ressentirent un profond soulagement, comme si un énorme poids leur était enlevé. En se regardant, Jeremy vit que les yeux d'Aelynn étaient redevenus brun clair et Aelynn, que ceux de Jeremy avaient retrouvé leur bleu d'origine. Le venin s'était volatilisé.
A l'extérieur, les enfants ne criaient plus. L'air sentait le souffre et les deux ami.e.s retournèrent en hâte dans la cuisine et ouvrirent une fenêtre. Sur la pelouse, des enfants et des ados de tous les âges se regardaient, surpris, comme s'iels n'avaient pas prévu d'être ici.
Le téléphone portable d'Aelynn sonna. Elle le sortit de sa poche et vit que ses parents lui avaient envoyé cinq ou six textos pour lui demander de revenir à la maison au plus vite. Elle répondit qu'elle allait bien et qu'elle allait rentrer, puis jeta un coup d'œil dans le salon où trois cadavres gisaient toujours.
La nuit n'était pas terminée.