Chap. 61

                                    

                                          

• Septembre 1349 •
Doucement, Ambroise retire le voile du visage de Colombe et vient déposer sur sa bouche un tendre et chaste baiser. Lorsque leurs lèvres se séparent, Ambroise sourit et Colombe fait de même, un peu gênée. Son premier mariage ne lui a pas réussi, et la voilà de nouveau à l'église, de nouveau à prêter serment, de nouveau à jurer jusqu'à ce que la mort les sépare. 
Sur les bancs, presque personne, juste les plus proches du duc, dont Théodora qui assiste à la cérémonie presque à contre coeur. Elle désapprouve cette union, mais cela est fait à présent, et jamais elle tournerait le dos à son frère. 
Quelques applaudissements se font entendre et les jeunes mariés avancent dans l'allée, Ambroise le pas pressé d'aller faire la fête, Colombe le pas hâtif de sortir de cette église, lieu où elle ne s'est jamais sentie ni en sécurité, ni écoutée. 
Ils retournent au château du duché et vont dans la Grande Salle, décorée en cette occasion. A leur arrivés, des musiciens se mettent à jouer des airs gais et festifs et du vin est servi à tous. 
Lorsque le couple se met à danser maladroitement mais avec joie, même Théodora ne peut empêcher un sourire de parcourir ses lèvres, et finalement bien que restreinte, la fête s'avère très réussie. 
La musique, les mets et les alcools s'enchaînent tout au long de la journée puis de la soirée, et lorsque finalement il est temps pour les mariés de s'éclipser, Ambroise ne tient plus tout à fait droit sur ses jambes, ce qui fait beaucoup rire Colombe qui a elle même un peu trop bu. 
Bras dessus bras dessous, ils quittent la pièce en s'embrassant avec bien moins de retenue que le matin même. Ils avancent, plus ou moins droit, dans les longs couloirs étroits et frais du château. 
-Madame La Duchesse, vous êtes ravissante ce soir. Il me tarde de savoir ce qui se cache sous cette robe. 
-Monsieur Le Duc, j'ai bien peur que vous ne le sachiez déjà...
Les deux pouffent des petits rires complices, mais sont subitement arrêtés dans leur déambulation au détour d'un couloir. Quatre hommes en armures leur barre le chemin. 
-Messieurs, écartez-vous pour votre duc. 
-Vous n'êtes pas notre duc. 
Ambroise fronce les sourcils et observent leurs mains sur leurs épées. La sienne n'est pas à sa ceinture. Pourquoi en aurait-il eu besoin le jour de son mariage. Malgré l'alcool, cette situation le fait étrangement vite dessoûlé, et il réalise soudain qu'il connaît certains visages. Ce sont ceux des hommes du comté où Colombe devait être exécuté. Celui-même où elle a tué le seigneur. Leur seigneur. 
Il murmure d'un ton ferme à Colombe:
-Retrouve Théodora, et mettez vous à l'abris. 
-Mais... Ambroise... 
-Ne discute pas. Dépêche toi. 
Sans vraiment comprendre, la jeune femme recule d'un pas, puis de deux, lentement, tandis que les hommes s'approchent du duc. Elle observe la scène, presque tétanisée. Et ce n'est que lorsqu'une épée embroche sans ménagement le ventre de son tout nouveau mari que ses sens lui reviennent. Elle pousse un hurlement et articule le nom d'Ambroise dans un désespoir absolu. Mais elle sait que c'est déjà trop tard et elle n'a pas le temps de s'effondrer que ses jambes ont déjà décidé de la sauver. 
La jeune femme se met à courir dans les couloirs, plus vite que jamais, dans sa robe neuve de mariée, son voile volant derrière elle. 
Elle retourne le plus vite possible jusqu'à la Grande Salle et pousse la porte en criant à l'aide, mais alors elle découvre un macabre spectacle. Ceux qui dansaient et célébraient il y a quelques instants encore, sont entrain de hurler et mourir sous ses yeux. Les hommes sont égorgés et les femmes sont poussées à terre avant que leurs vêtements ne soient arrachés. Son regard abasourdi se pose alors sur le corps sanguinolent de Théodora. Allongée sur une table, du sang coule de ses lèvres, et une tache rouge, presque noire, grandit sur son ventre. 
-C'est elle! La sorcière! Elle est là! 
Une nouvelle fois, Colombe revient à elle et sans attendre un instant elle se remet à courir. Elle arrache le voile de ses cheveux et veut fuir par les escaliers mais des hommes y sont postés. Prise au piège, presque rattrapée, elle se jette par une fenêtre, sans même savoir ce qui l'attend en bas. Et pendant un instant, alors qu'elle tombe dans la nuit le long des murs de pierres, elle a la sensation étrange de voler.