Chapitre 21 : Non-assistance à personne en danger

                                    

                                          
Lloyd rangea son téléphone et regarda Jeremy et Aelynn. En dépit de son optimisme naturel, il commençait sérieusement à paniquer.
- Mon père vient de me dire de rester ensemble et de ne surtout pas jouer les héros ! annonça-t-il.
- Pas question ! lança une voix derrière lui.
Il se retourna. C'était Jessie, qui avait suivi la conversation sur son portable et qui était arrivée sans que personne ne l'entende. Son sweat-shirt et ses cheveux frisés étaient collés d'un mélange d'œufs et de peinture et son visage affichait une détermination sans faille.
- J'ai entendu ! annonça-t-elle. On a un meurtrier en cavale, c'est ça ?
- Oui, répondit Aelynn, et c'est dangereux.
- C'est vrai, mais trois d'entre nous ont le Venin et ça nous donne des superpouvoirs ! On peut facilement le contenir et l'enfermer quelque part !
- C'est le travail de la police ! protesta Lloyd.
- On est la seule nuit de l'année où les enfants se baladent partout au milieu des rues sans regarder ! Les voitures de police vont mettre trois plombes pour arriver. Il faut qu'on soit là en premier, sinon ce serait... comment on dit, déjà ?
- De la non-assistance à personne en danger, acheva Aelynn.
Jessie venait de souligner un point sensible. En effet, à Charrydale, cette nuit était la plus dangereuse de l'année, celle où énormément d'enfants prenaient des risques sans bénéficier de la moindre surveillance, sauf la leur. Ce qui risquait de se passer relevait de leur responsabilité.
- D'accord, répondit enfin Lloyd. Jessie, je te présente Aelynn et Jeremy. On va y aller ensemble mais on reste bien groupé.es, d'accord ?
Les autres acquiescèrent. Aelynn réalisait qu'elle n'avait pas vraiment peur. D'accord, elle appréhendait ce qui allait se passer mais en même temps, elle se sentait en colère. On aurait dit que le Venin amplifiait son agressivité tout en inhibant d'autres émotions.
- C'est vrai ? demanda-t-elle à Jessie. On a des superpouvoirs, maintenant ?
- Si t'as le Venin en toi, c'est probablement le cas. Tes yeux, c'est des lentilles ?
- Non. Mince... Je veux dire, imaginez qu'on puisse isoler le Venin et s'en servir pour la bonne cause ?
- Comme ? demanda Lloyd.
- Lutter contre les incendies ? Je veux dire, le Venin rend pratiquement invulnérable. Un pompier sous Venin serait nettement plus efficace !
- Il prendrait aussi nettement plus de risques, fit remarquer Jeremy. Le Venin, c'est un truc maléfique. Plus vite on en sera débarrassé.e.s, mieux ça vaudra.
- Pas faux, concéda Aelynn. Attendez, quand on est mordu.e par un vampire, on devient un vampire et une fois qu'on est un vampire, c'est pour toujours. Vous croyez qu'on aura des effets secondaires ?
- Justement, intervint Lloyd. Si c'est possible, essayez de ne pas me passer le Venin, d'accord ? Je sais que ça disparaît au lever du soleil mais je préfère quand même ne pas avoir ce truc en moi.
- Et si t'es blessé ? s'enquit Jessie. On va prendre de gros risques, quand même.
- Je sais mais je préfère quand même ne pas être venimé.
Le petit groupe était arrivé devant la maison de Billy. La porte était entrouverte et il y avait encore de la lumière à l'intérieur. Aelynn frissonna.
- Maintenant que j'y pense, Billy ne m'a même pas dit s'il a des frères et sœurs, énonça-t-elle. Peut-être qu'il y a un enfant là-haut, mort de peur.
- On y va ? demanda Jessie.
- On fait une prière et on y va ! répondit Jeremy.
- Je ne crois pas en Dieu.
- Aucune importance. L'important, c'est que Dieu, il croit en toi.
Jeremy se souvenait d'avoir entendu cette réplique à la télé. C'était une phrase attribuée à un Français, l'abbé Paul ou l'abbé Pierre, un nom comme ça. Il avait trouvé cela très beau. Aujourd'hui, cette phrase prenait tout son sens.
- On reste calme, les potes ! intima Lloyd. On ne prend pas de risques inutiles. On contrôle chaque pièce. On reste...
Il ne termina pas sa phrase car Jessie se précipitait dans la maison en courant, sans les attendre. Les autres se regardèrent brièvement, puis lui emboîtèrent le pas.
- Ou alors, on peut entrer sans réfléchir comme vient de faire Jessie ! acheva Lloyd.