Chapitre 12 : Les chiens

                                    

                                          
A travers la grille de l'école, Jane fixait une affiche publicitaire. Elle avait déjà vu la même plusieurs fois dans la journée. Sur un panneau géant, trois adolescentes rieuses et insouciantes grimpaient les marches d'un centre commercial en affichant des minauderies parfaitement écœurantes.
Sauf qu'un petit malin (ou plutôt un gros pervers) avait tagué le panneau avec de la peinture noire. Le slogan « Toutes les filles veulent qu'on les trouve jolies » avait été remplacé par « Toutes les filles veulent sucer ma b*** » et des dessins obscènes avaient été ajoutés autour des visages des mannequins. Le message consumériste déjà affligeant avait été remplacé par un message sexiste et vomitif.
- Je suis désolé, énonça Jeremy derrière elle. Tous les ans, il y a des mecs bizarres qui font ça. Moi aussi, ça me choque.
- Mecs bizarres ? demanda Lauren. Tu es trop poli !
Les trois fugitif.ves se tenaient toujours terrés dans la cour de l'école. Jeremy sortit une poignée de bonbons de sa poche et les tendit à ses compagnes d'infortune. Jane secoua la tête.
- Tu les as trouvés où ? s'enquit-elle.
- Dans un bol, devant une maison.
- A ta place, j'y toucherais pas. Perso, si je savais que j'allais être assiégée par des gosses agressifs et qui réclament des bonbons, je serais tentée de les trafiquer.
- Vous croyez qu'ils sont empoisonnés ? s'effraya Jeremy.
- Peut-être pas empoisonnés. En revanche, des somnifères, c'est possible.
- Ou des laxatifs, ajouta Lauren. N'importe quoi qui pourrait les ralentir.
- Purée...
Jeremy remit son sachet de bonbons dans sa poche. Il commençait à trouver le temps long. Timidement, pour passer le temps, il s'éclaircit la gorge et demanda :
- Je voudrais juste savoir... Vous êtes pas obligée de répondre mais... pourquoi vous détestez Jésus ?
Lauren leva les yeux au ciel.
- C'est pas ton Jésus que je déteste. S'il a vraiment existé, ce dont je doute fort, c'était probablement un mec sympa. Ce sont ses groupies que je peux pas blairer.
- Qu'est-ce que vous entendez par groupies ?
- Les gens qui veulent à tout prix imposer la religion chrétienne à tout le monde ou qui vous font la leçon comme s'iels valaient mieux que les autres. Tu vois, j'ai grandi dans un foyer très chrétien : la messe toutes les semaines, baptême, communion, tout ça. A quinze ans, je suis tombée amoureuse d'une fille de ma classe. Quand je l'ai dit à mes parents, mon père m'a foutue à la porte.
- Quoi ?!
- Ouais, répondit Lauren avec amertume. Je suis allée vivre chez ma tante et elle s'est occupée de moi jusqu'à ce que je sois indépendante financièrement. Mes parents ne m'ont plus jamais parlé. Voilà l'amour infini des bigots.
Jane prit la main de sa compagne dans la sienne et la serra fort. Jeremy se sentait horriblement gêné. Pas seulement parce qu'il était vraiment choqué par le comportement des parents de Lauren. Non, le pire, c'était qu'il savait que ses parents à lui auraient probablement la même réaction. Ou alors, son père l'enverrait dans un camp de conversion où on le transformerait en hétéro, de gré ou de force.
- Je suis vraiment désolé, énonça-t-il.
- Merci.
- Je sais pas si ça peut vous faire quelque chose mais pour moi, Jésus ne chasserait jamais une fille de quinze ans de chez elle, quelle que soit la raison.