La disparition du pull

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Partager son quotidien avec Joseph, ça pouvait être un véritable challenge pour Arthur. Oh, il l'aimait de tout son cœur, il n'y avait aucun doute. Il n'en restait pas moins un personnage imprévisible. Un danger ambulant. Pour lui-même le premier, d'ailleurs...

Mais ça, Arthur pouvait vivre avec sans problème. Il s'y était habitué. En revanche, ce qu'il supportait moins, c'était le côté sans-gêne de son conjoint. Il a marché sur une chips à terre ? Pas grave. Sa cannette est vide ? Il la laisse là. Il utilise quelque chose qui ne lui appartient pas ? Il fera attention... En plus d'être sans-gêne, il avait réponse à tout et était de mauvaise foi. Ça exaspérait son mec autant que ça le rendait attachant. Joseph était tout simplement énervant.

Et il n'était même pas discret... Quand Joseph faisait une connerie, même s'il essayait de la cacher, il avait toujours cet air coupable, ce rire retenu, entre la nervosité et la dédramatisation. Ces yeux grands ouverts, ses mains figées. Autant de signe que son homologue savait très bien reconnaître, même quand l'intéressé les réprimait et lui tournait le dos. Bref, il ne pouvait rien cacher à Arthur.

Au-delà de tout ça, ce dernier était bien observateur. Pour cette raison, il n'arrêtait pas de jeter des œillades à l'autre homme alors qu'ils mangeaient en tête à tête dans la mezzanine. Grégoire était en bas, dans l'atelier, à travailler. Ils avaient pris leur pause déjeuner en décalé, par souci d'organisation.

Joseph mangeait en essayant de ne pas se tâcher. Emphase sur essayer. Malgré tous ses efforts, de la sauce trouva le chemin du textile. Il ne le remarqua même pas jusqu'à ce qu'Arthur se mette à râler.

« Putain, Joseph, tu t'en es encore foutu partout... »

Le susnommé baissa le regard et remarqua enfin la tâche. Il prit sa serviette pour l'essuyer, mais il ne pouvait pas la faire disparaître. Bah oui, blanc sur noir, ça se voyait bien.

L'autre homme soupira à nouveau avec quelques jurons, comme à son habitude. Et comme Joseph continuait à frotter en vain, il s'agaça :

« Mais arrête, tu vas abîmer le tissu ! Tu vois bien que ça partira pas, là...

-Nan mais si, avec un peu d'eau, lui répliqua Joseph, tout penaud. Regarde. »

Il met de l'eau sur sa serviette pour l'imbiber, et évidemment il en met trop.

« Oups, attends, t'en fais pas, continua-t-il en tapotant le tissu. »

Après quelques secondes, il retira la serviette pour admirer le résultat.

Arthur éclata de rire. Sur le pull, la tâche claire était toujours là, elle n'avait pas bougé d'un iota, mais elle arborait maintenant une auréole foncée formée par l'eau, la rendant encore plus visible. Comment ne pas rire ?

« Allez c'est bon, arrête d'y toucher, tu verras ce soir pour le mettre à la machine, trancha-t-il. »

Joseph finit par acquiescer, les lèvres pincées, riant lui aussi avec une expression coupable et défaite. Et il se dit qu'heureusement, Arthur n'était pas si observateur que ça...

La fin de la journée de travail sonna comme une délivrance pour Joseph et sa concentration. Il était tard, et même s'il avait tendance à être plus énergisé la nuit, il voulait juste rentrer se changer. Il était trop conscient du tissu longtemps porté contre sa peau, ça le grattait, il avait besoin d'enfiler un pyjama.

Mais il devait attendre Arthur. Les deux hommes passaient la nuit chez le mécano, un arrangement qui survenait de plus en plus souvent maintenant que leur couple s'installait et prenait des airs de quotidien. La période lune de miel s'achevait pour une normalité toute aussi agréable entre eux... sauf quand Joseph était, il n'y avait pas d'autres mots, profondément chiant.

4 Murs 1 Toit : To Make A HomeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant