Chapitre 22

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Je perçois sa pitié, c'en est trop. J'étouffe. Je romps la connexion et saute hors du lit, échouant à cacher les tremblements qui agitent mes membres.

- Jackson...

- Tais-toi. C'était une mauvaise idée.

- Tu n'as pas à avoir honte.

- Ne me donne pas de conseils sur ce que je dois ou non éprouver, asséné-je. Tu es celui qui passe son temps à nier ses sentiments.

- Parce que je ne...

- ...ressens rien ? Parce que peut-être que si tu le répètes assez, cela deviendra vrai ? Qu'enfin la douleur s'arrêtera ?

Ce sont ses propres mots que je lui claque à la figure, et je sais que je vais trop loin, je le vois à la lueur peinée qui s'allume dans ses yeux, mais je ne peux pas m'arrêter. Je sais que c'est mesquin, sadique, mais j'ai besoin de le mettre à nu comme il m'a mise à nue, de le heurter comme il m'a heurtée. Et peu importe si c'est moi qui ai choisi de lui montrer ces souvenirs.

- J'ai vu le bordel que c'est dans ta tête, Ross. Des émotions, tu en éprouves tout un tas, tu n'arrives pas à les contrôler.

Un rictus peu accueillant déforme son visage.

- C'est quoi ton plan, Jackson ? Me repousser pour être sûre de ne jamais t'attacher à moi, comme tu le fais avec tout le monde ? Avec Vywyan ?

- Laisse Vywyan en dehors de ça !

On est tous les deux debout, maintenant, à hurler au milieu de la chambre. Ce n'est pas une bonne idée, on risque de réveiller nos voisins, mais je suis trop en colère pour m'en inquiéter.

Puis il avance, et avance encore, et je recule mais il ne s'arrête pas. Je me retrouve dos au mur, il me coince entre ses bras, une main de chaque côté de mon corps. Son visage n'est qu'à quelques centimètres du mien, ses yeux sont en feu, mon cœur tambourine dans ma poitrine et je ne suis plus en colère, je ne pense plus à rien d'autre qu'à lui, si proche...

- Qu'est-ce que tu fais ? réussis-je à murmurer.

- Je ne te haïrais pas, Jackson. Jamais. Alors arrête d'essayer.

- Je ne veux pas que tu me haïsses.

- Non, tu ne le veux pas. C'est juste un réflexe.

- Tu ne me connais pas.

- Toi non plus. Mais ça pourrait changer. On pourrait se faire confiance.

Il y a quelque chose de fragile dans son ton, quelque chose qui fait que sa suggestion ressemble à une question. Sans même le vouloir, je laisse mon esprit se reconnecter au sien, et je perçois son espoir fébrile, enfantin : celui que peut-être, enfin, il n'est plus tout à fait seul.

Bien malgré moi, je me surprends à espérer aussi.

On pourrait, admis-je. Peut-être.

Il ne répond rien, et alors que je commence à croire que la conversation va s'arrêter là-dessus, un flot d'images envahit ma tête. Un instant, j'essaie de lutter, je m'accroche à mon identité ; puis je renonce. Laisse le souvenir me submerger.

J'ai huit ans.

Nous sommes des dizaines dans la salle. Des dizaines de gamins traumatisés, qui ne comprennent pas ce qui leur arrive. Il y a des adultes, aussi. Des couples en larmes, plus ou moins âgés, qui s'avancent pour enlacer certains chanceux à l'air perdu.

Les policiers nous ont dit que le calvaire était fini. Que nos familles allaient venir nous chercher.

Personne ne viendra pour moi. Je le sens, tout au fond. C'est pas grave. Je m'en fiche. Je ne suis pas humain, je ne ressens rien.

Cass (Sf/romance)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant