Chapitre 18

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- Docteure ! s'exclame Julkya. Je ne m'attendais pas à vous voir...

Tout en elle transpire l'admiration : son ton, son visage, sa posture. Ça me donne envie de vomir.

- Je tenais à accueillir nos nouveaux collègues, déclare la femme aux cheveux noirs.

Sa voix...douce et autoritaire, charmante et menaçante...elle est exactement comme dans mes souvenirs. Exactement comme dans mes cauchemars.

- Tout va bien se passer, 55.

Je la hais. Je le savais déjà mais j'ignorais à quel point. C'est une haine froide et implacable, une haine que je ne pensais pas pouvoir ressentir et que je ne pense pas pouvoir contrôler.

Je n'ai pas peur d'elle. J'ai peur de ce que je pourrais lui faire. Peur de cette facette de moi qu'elle fait ressortir. Parce que je vais la tuer, et ce ne sera ni propre, ni indolore, ni même juste. Ce sera un massacre.

Elle me tend la main et je la saisis.

- Vous souvenez-vous de moi ? s'enquiert-t-elle.

Pendant un instant, je crois qu'elle m'a reconnue : CA55, la gamine qu'elle a torturée. Puis elle ajoute :

- Thétis Grazziano, directrice de recherche. Nous nous sommes parlés par hologramme.

Thétis Grazziano. Pendant des années, je n'ai eu qu'un visage à maudire. Maintenant que j'ai un nom à lui associer, je n'ai qu'une hâte : le voir gravé sur une pierre tombale.

- Bien sur qu'on se souvient de vous, lance Ross.

Son ton est tranchant, et le vrai sens de ses paroles ne m'échappe pas. De nouveau, je croise son regard, et il ne me faut qu'un instant pour comprendre : il ne peut pas attendre. Il compte assassiner notre tortionnaire, ici, maintenant, tant pis pour les conséquences. Et par miracle, sa rage éteint la mienne. J'ai l'impression de me prendre une douche glacée.

Il va tout gâcher. Qu'il réussisse ou non, on va tous les deux se retrouver en prison, et il n'y aura plus personne pour arrêter Akhilleús 2.

Je ne peux pas le laisser faire. Il m' a soutenu alors que j'étais sur le point de m'effondrer ; à mon tour, je vais devoir garder mon calme pour nous deux. Être la coéquipière responsable-sérieusement, moi, responsable ?

Je me place entre Ross et Grazziano et je sors mon meilleur jeu d'actrice.

- C'est un plaisir de finalement vous rencontrez en chair et en os, Docteure ! Nous avons tant attendu ce moment ! N'est-ce pas, Yann ? L'impatience est notre plus grand défaut !

J'espère de toutes mes forces qu'il comprendra le message. Je suis loin d'être subtile, mais il est loin de son état normal.

- C'est certain, mon ange, répond-t-il pourtant entre ses dents serrées.

Il est à peu près aussi chaleureux qu'une lame de rasoir, mais personne n'est encore mort, donc je prends ça comme un pas en avant.

- Oh, je vous en prie, appelez moi Thétis ! intervient Grazziano. MétaLab est peut-être une grande entreprise, mais entre scientifiques, nous sommes comme une famille.

Je ris-un petit rire aigu, charmé.

- Une famille ! Quelle belle image.

A présent, c'est à Ross que Thétis serre la main. Je m'attends à moitié à ce qu'il lui casse un doigt, mais non. Il se contente de la fixer comme s'il cherchait à la réduire en cendres par la pensée.

- J'ai vraiment hâte de commencer les expériences, lancé-je d'un ton guilleret.

- Quel professionnalisme !

- Travaillerons-nous ensemble ?

- Pas pour l'instant, malheureusement. Vous êtes affiliés aux recherches sur la grippe plutonienne, c'est bien cela ?

- Oui. Yann et moi avons déjà quelques pistes très prometteuses.

- Je n'en doute pas.

- Et vous ? m'enquiers-je innocemment. Qu'étudiez-vous ?

Thétis éclate de rire.

- Désolée, Carole ! J'aimerais vraiment pouvoir vous en parler, mais vous savez ce que c'est...la confidentialité, tout ça...

- Oh, excusez-moi ! Je ne voulais pas me montrer indiscrète...

Elle me pose une main affectueuse sur l'épaule et je dois mobiliser toute ma volonté pour ne pas reculer. Sérieusement, c'est quoi, la prochaine étape ? Un câlin collectif ?

- Aucun problème, me rassure-t-elle. Je suis sure que nous aurons bientôt l'occasion de faire équipe. Et cela vaut pour vous aussi, Yann.

Sous entendu : je sens que nous aurons bientôt l'occasion de martyriser des innocents ensemble.

- Tous les trois, ajoute-t-elle, nous allons devenir amis.

- Je croyais que nous étions une famille ? lance mon coéquipier d'un ton affreusement sarcastique.

Heureusement, la docteure ne semble pas percevoir l'amertume de la remarque.

- L'un n'empêche pas l'autre ! rit elle. Maintenant, excusez-moi, mais je suis forcée de vous laisser. Le devoir m'appelle.

Je me retiens de crier de soulagement quand, enfin, la porte se referme sur elle. Du coin de l'œil, il me semble voir les épaules de Ross se relâcher.

Le répit est de courte durée, cependant. A peine Thétis a-t-elle disparu de notre champ de vision que Julkya s'empresse de la ramener dans la conversation.

- La docteure Grazziano est vraiment brillante, commence-elle d'un ton guilleret.

Je hoche la tête comme si je partageais son admiration, et étudie attentivement sa réaction quand je lui demande :

- Vous l'assistez personnellement ?

- Oh, non ! Je ne suis pas ici depuis assez longtemps pour être affectée à des projets aussi importants que ceux qu'elle dirige.

- Alors vous aussi, vous ignorez tout de ces mystérieuses recherches confidentielles ?

Notre guide rougit comme si je l'avais personnellement insultée.

- Evidemment. Jamais la docteure Grazziano ne divulguerait quelque information que...

Je l'interromps en feignant la confusion.

- Je suis vraiment désolée ! Ce n'était qu'une plaisanterie, je ne voulais rien insinuer...je me sens affreusement mal, maintenant.

La cyclope se détend aussitôt.

- Ce n'est rien, ne vous en faites pas. Continuons la visite. Et peut-être qu'on pourrait se tutoyer ?

- Excellente idée, souris-je.

Je m'efforce de prêter attention aux couloirs qui défilent, tous aussi propres, tous aussi froids. D'ordinaire, j'ai un bon sens de l'orientation, mais j'ai du mal à me concentrer. Mon esprit ne cesse de revenir à Thétis, de retourner encore et encore notre conversation dans ma tête. Bien sûr, je savais que cette infiltration serait différente de toutes celles que j'ai faites par le passé. Je savais que je risquais, en venant à MétaLab, de devoir faire face à mes traumatismes. Mais de là à ce que ma tortionnaire jaillisse de mes cauchemars pour se retrouver devant moi avec le même visage qu'il y a douze ans...non, je ne m'étais pas préparée à ça. Je n'étais pas prête pour ça.

- Et voici votre appartement, lance joyeusement Julkya.

Je retiens un rire hystérique face au numéro inscrit sur la porte.

555.

Le destin a un sens de l'humour sacrément tordu.

Cass (Sf/romance)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant