Chapitre 7

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    Je pensais que ma situation ne pouvait pas empirer, et pourtant. Me voilà coincée avec Ross dans une impasse sombre, accroupie derrière une rangée de poubelles. Cela fait près de trois heures que nous attendons dans cette position, en silence. J'ai les jambes engourdies à un point presque douloureux. D'après Junon et de mystérieuses "sources", la revente des médicaments volés est censée avoir lieu ici. Nous ne sommes pas très loin des limites de la ville, et la pollution enveloppe tout d'un brouillard gris. J'ai un masque filtrant sur le nez et la bouche, mais il ne suffit pas à m'épargner la puanteur des détritus, et j'ai les yeux qui piquent.

    Oh, ça ne m'avait pas manqué.

    Dès que nous avons mis pied à terre sur Zanko 10, j'ai pensé à m'évader. Ne vous y trompez pas : je n'ai aucune intention de rester au service de l'Organisation, quel que soit le salaire. Je ne suis pas du genre à apprécier que l'on me force la main et que l'on m'injecte un tracker dans le bras. Dans l'immédiat, cependant, fuir ne me servirait à rien. A cause de ce fameux tracker, Junon me retrouverait, et je dois à tout prix m'en débarrasser avant de tenter quoi que ce soit. Peut-être, finalement, n'est-ce pas une si mauvaise chose que je me trouve à Trekyon. Je connais des gens ici qui pourraient m'aider-en espérant qu'ils se révèlent plus dignes de confiance que Tyler.

    - Un type arrive, m'informe justement celui-ci dans mon oreillette.

    Il est resté dans la navette, où il peut garder un œil sur les images des caméras de surveillance.

    - C'est un zoonite, un tigre. Il a un manteau noir et une mallette, je n'arrive pas à voir s'il y a un logo.

     Je me raidis. C'est sans doute notre homme. Il finit par atteindre l'impasse, et je l'observe à travers une fente entre deux poubelles. Il est chauve, sa peau rouge-orangé est striée de noir. Les zoonites sont nombreux sur Zanko 10, leur planète d'origine. Ils ressemblent beaucoup aux humains, mais possèdent en plus certaines caractéristiques animales : fourrure, crocs, griffes, moustaches...

    L'homme-tigre hume l'air et mon cœur s'affole. Je sens monter en moi l'excitation du combat. J'ai presque envie qu'il nous repère, je n'en peux plus d'attendre. Il faut que j'évacue l'énergie qui bouillonne sous ma peau. Mais les poubelles masquent notre odeur, et il nous tourne le dos pour surveiller l'entrée de l'impasse.

    Je jette un coup d'œil interrogateur à Ross ; il secoue la tête. Pas encore, me dit-il en silence. Je retiens à grande peine un grognement de frustration. Ma main glisse vers l'un des pistolets cachés sous mon blouson et mon doigt tressaute sur la gâchette.

    Quelques minutes plus tard, une femme arrive. Elle pourrait passer pour humaine, sans l'unique œil noir et brillant qui occupe son large front. Une cyclope. Je ne la connais pas, mais j'identifie aussitôt le tatouage dans son cou : deux couteaux entrecroisés. Elle appartient au gang des Lames.

    La cyclope s'approche du zoonite. Un signe de Ross, et on s'élance tous les deux. Dès qu'elle nous voit, la femme disparait dans un éclair de lumière verte. Je lâche un juron. Elle devait avoir un téléporteur.

    L'homme-tigre rugit et se jette sur moi. Sans hésiter, je brandis mon pistolet et presse la gâchette, trois fois. Je l'atteins en pleine poitrine. L'éclat des tirs laser illumine l'impasse.

    L'homme ne s'arrête pas.

    Je plonge sur le côté un instant avant qu'il ne me percute. Il doit porter un gilet protecteur. Je roule sur moi même, me redresse juste à temps pour le voir m'attaquer à nouveau. Impossible de l'éviter, cette fois. Il me plaque au sol. Je lui balance un coup de genou dans l'entrejambe. Il grogne mais ne lâche pas prise. D'aussi près, je vois qu'il a les yeux jaunes, des pupilles en fente, et des crocs. De longs crocs effilés qui claquent à quelques centimètres de mon visage.

    Puis, soudain, il est tiré en arrière et projeté avec violence contre le mur. Je jette un regard ébahi à Ross. Est-ce qu'il vient de lancer dans les airs un zoonite d'au moins cent kilos, comme s'il ne pesait pas plus lourd qu'un sac de plumes ?

    Je n'ai pas le temps de poser la question, parce que l'homme-tigre est en train de se relever. Un bond et je suis sur mes pieds, prête pour une autre attaque.

    Le zoonite se met alors à changer. Des poils poussent sur sa peau, son corps se tasse, des griffes jaillissent de ses doigts. Quelques secondes plus tard, un tigre se tient devant nous, les babines retroussées, les yeux brillant d'une lueur meurtrière. Des lambeaux de vêtements pendent encore sur son corps.

    Ma mâchoire se décroche. Les zoonites ne sont pas censés pouvoir faire ça. Pas du tout.

    Ross dégaine à son tour son pistolet, la même arme antique qu'il a utilisée contre moi. Les coups de feu résonnent avec force dans l'impasse. Le tigre se ramasse sur lui-même, prêt à bondir, puis s'écroule avec un gémissement de douleur. Mon coéquipier lui a tiré une balle dans chaque patte.

    Sous mon regard incrédule, le zoonite se métamorphose à nouveau. La bête disparaît, laissant à sa place un homme nu et tremblant, recroquevillé au sol. Des plaies sanglantes percent ses mains et ses pieds.

    Sans un mot, Ross enjambe le blessé et va récupérer la mallette, tombée à terre au début de l'affrontement. Je m'empresse de le rejoindre.

    - Cass ? Ross ?

    - On a les médocs, Tyler. Il faut juste qu'on vérifie...

    Je m'arrête en pleine phrase. A l'intérieur du coffret sont alignés quatre seringues remplies d'un liquide vert fluorescent. Chacune d'entre elles est ornée d'un "A" noir.

    Je connais ce logo. Il a détruit mon enfance, il hante toujours mes cauchemars.

    Ma vision se brouille ; j'ai la tête qui tourne, le sang bourdonne à mes oreilles. C'est impossible. Absolument impossible. Le projet Akhilleús a pris fin il y a douze ans, quand la PI a fait irruption dans leurs laboratoires, libéré les prisonniers, arrêté les scientifiques. Le jour où le Prof m'a emmenée.

    Je me force à respirer, lentement, à apaiser les battements erratiques de mon cœur, jusqu'à entendre de nouveau la voix de Tyler dans mon oreillette.

    - ...Junon vous ordonne de rentrer immédiatement. Oubliez la mallette, abandonnez la mission.

    - Quoi ? m'exclamé-je. Pourquoi ?

    - J'en sais rien, Cass. C'est les ordres, c'est tout.

    Les ordres. Je n'ai jamais aimé les suivre, et je ne vais pas commencer aujourd'hui. J'arrache mon oreillette et l'écrase sous mon talon. Peu importe le tracker : je ne partirai pas maintenant-pas s'il est question d'Akhilleús.

    Je lance un regard de défi à Ross.

    - Tu fais ce que tu veux, mais moi je reste. J'irai au bout de cette histoire.

    Il me regarde, plus impassible que jamais. Puis il arrache à son tour son oreillette, et sans un mot, s'approche du zoonite à terre.

    - Mais qu'est-ce que tu fabriques ?

    - Il va falloir qu'on l'interroge.

    - Tu ne pars pas ?

    - Je ne laisse jamais une mission inachevée, Jackson. Peu importe les ordres. Il y a quelque chose de pas net ici, et je veux savoir ce que c'est.

Cass (Sf/romance)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant