le remède et la maladie

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#1


Le tintillement du carillon de la porte d'entrée du café résonne, attirant mon attention pour la troisième fois en quelques minutes. Mais ce n'est toujours pas le visage que je souhaite voir qui apparaît. Elle est en retard, comme d'habitude. Pour une fois je ne m'impatiente pas. Au contraire. Je crois que je voudrais qu'elle n'arrive jamais.

Mon café est en train de refroidir, posé face à moi depuis bientôt dix minutes sans que je n'y ai touché. J'ai les yeux rivés sur cette fichue porte, presque prêt à partir avant qu'elle ne soit là. Il m'a fallu un courage fou pour me déplacer jusqu'ici. Je ne l'aurais fait pour personne d'autre qu'elle, parce que j'ai beau me refaire la scène en boucle dans ma tête, il n'y a pas un seul scénario où je ne repars pas de ce café le cœur en miettes. J'ai la nausée rien que d'y penser, sûrement à cause de l'anxiété qui ne cesse de monter.

Perdu dans mes pensées, je perds la notion du temps. Ce n'est que quand mon ami m'appelle que je me reconnecte à la réalité et remarque qu'elle a désormais presque une demi-heure de retard. Lassé, je laisse un soupir m'échapper avant de répondre au téléphone.

— Allô ?
— On est tous chez moi. Tu sais quand t'arrives ?
— Ah merde, j'avais pas vu l'heure. Le temps que je me prépare et que je fasse la route. Je vous redis.

Le silence qui résonne me laisse deviner que mon ami ne croit pas un seul mot de ce que je lui raconte.

— Ok, ça marche. Prends le temps qu'il te faut.
— Merci.

Je mets fin à l'appel, reconnaissant qu'il ait choisi de ne pas me poser plus de questions. Il sait déjà sûrement ce que je suis en train de faire. Et je ne saurais même pas lui dire ce que je fais là, ce que j'attends de ce rendez-vous. Comme je n'ai pas su lui expliquer le but des dix derniers. Parce que c'est irrationnel ce que je ressens, ce qu'il se passe dans ma tête. C'est empreint d'un amour à m'en faire perdre la raison, frappé d'une colère en perpétuelle croissance, coloré d'une douceur contrastante et foulé par le manque de cette femme que je connais par coeur mais que j'ai l'impression de ne plus comprendre.

Le bruit d'un pas que je pourrais reconnaître parmi des milliers d'autres me tire de mes songes. Je tourne légèrement ma tête sur la gauche pour la regarder à travers la fenêtre faire le chemin jusqu'à l'entrée. Il y a si peu de monde que je l'entends alors qu'elle est encore dehors. Elle jette son mégot dans le cendrier, souffle sa dernière taffe, recoiffe légèrement sa frange et le carillon résonne enfin pour elle. Je sens mon cœur perdre sa cadence, déboussolée par sa présence malgré tout le temps passé. Elle salue chaleureusement le barman, me lance un rapide regard et lui commande deux cafés avant de venir jusqu'à moi. Je ressens la fraîcheur extérieure lui coller à la peau lorsqu'elle m'embrasse chastement, juste là, au coin des lèvres. Si peu et déjà tellement.

Elle retire son long manteau, s'assoit face à moi et plonge ses mains gelées entre les miennes, sans attendre. Un léger sourire s'installe au coin de mes lèvres tandis que je caresse doucement ses doigts. Sa manucure est toujours parfaite. C'est peut-être bien la seule chose qui l'est chez elle. Le silence s'installe, m'apaise et me torture à la fois. Je n'ose pas la regarder. Je connais l'effet qu'elle a sur moi. Je sais que je vais perdre toutes mes convictions et remettre à demain la conversation que je veux avoir depuis des semaines à l'instant où mes yeux se poseront sur son visage. Je sais très bien à quel point je suis impuissant face à elle, et ce regard si envoûtant que je m'en suis fait prisonnier malgré tous les signes me suppliant de fuir.

— Tu m'as manqué.

Sa voix chasse mes pensées intrusives aussitôt qu'elle résonne à mes tympans. Et comme le chant des sirènes, elle m'appelle avec tant de désir que je ne sais lui résister.

still, the world keeps turning - one shot storiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant