Chapitre 7

                                    

                                          
Cara
Juillet

Un rideau de pluie tombe sur la ville, tandis que Yaël et moi sommes allongés l'un contre l'autre. Je me relève précipitamment, observant les gouttes s'échouer dans le lac. Autour de nous, quelques voitures passent en vitesse, laissant derrière elles un bruit de fond plus intense que d'ordinaire.
Alors que je m'apprête à partir, Yaël ne semble pas décidé à se relever.
— Qu'est-ce que tu fais ? insisté-je en voyant qu'il ne bouge pas d'un pouce.
— Arrête de stresser et reviens ici.
— Quoi ? Mais il pleut des cordes !
— Et alors ? Ça va te tuer ?
Étonnée par sa réflexion, je reste silencieuse. Quelle mouche l'a donc piqué ?
— Allez Cara, ne sois pas dans le contrôle en permanence. Ce n'est que de la flotte.
— Oui, je m'en rends bien compte.
Il se marre en redressant légèrement la tête vers moi. Cette vision de lui me semble plus sensuelle que jamais. Alors qu'il prend appui sur ses coudes, son t-shirt trempé laisse transparaitre les muscles que le tissu collé à son torse révèle légèrement.
— Allez, ne te fais pas prier, ça vaut de l'or pour la peau. Et puis respire, j'adore cette odeur qui charge l'atmosphère !
— T'es complètement dingue, lui assuré-je en éclatant de rire.
— Ça fait du bien, sois-le toi aussi. Lâche prise, on ne vit qu'une fois, merde.
Je regarde autour de moi, personne ne nous voit vraiment là où nous sommes, ce qui me rassure. Je me replace au sol et m'allonge à ses côtés. Il attrape ma main en m'intimant de fermer les paupières. Je m'exécute.
Au point où j'en suis... autant la vivre à fond son expérience farfelue.
— Mon grand-père était un homme très étrange, mais il a eu un impact sur ma vie comme personne.
— Étrange comment ?
— Il était du genre à s'allonger à l'extérieur quand il pleuvait. Il disait que la pluie nettoyait l'âme et qu'elle purifiait le corps. Je me laissais prendre au jeu sans me poser de questions, mais en grandissant j'ai tout de même fait quelques recherches.
– Et qu'est-ce que ça a donné ?
– J'ai appris qu'il avait raison. La pluie détient de nombreux bienfaits.
— Je l'ignorais... laissé-je échapper.
— Les odeurs d'après ondée ont le pouvoir de réduire le stress.
— C'est intéressant.
— Oui. Depuis, il m'arrive souvent de me balader quand il pleut.
Je me tourne vers lui, ouvrant faiblement les paupières, juste assez pour découvrir l'immense sourire qu'il a lorsqu'il parle de tout ça.
— Garde les yeux fermés et respire.
J'obéis tout en me demandant comment il a pu faire pour voir que je le regardais.
— On ne risque pas de tomber malade ?
— Tais-toi et contente-toi de respirer.
Je lui balance un petit coup de coude, l'éclat de son rire s'échappe, fusant dans l'atmosphère. Un large sourire prend place sur mes lèvres et je décide de lâcher mes barrières et de partager avec lui cette pratique atypique qui ne peut que nous rapprocher.
— Prends de profondes inspirations et expire doucement.
Une fois de plus, je suis ses indications. Cependant, malgré mon envie de me donner à fond, c'est un peu compliqué de faire abstraction du bruit ambiant. J'ouvre un œil en entendant une voiture se rapprocher. En tournant la tête vers lui, je réalise que ça ne le perturbe pas le moins du monde. Sa main serre la mienne un peu plus fort et à nouveau, je plonge dans la pénombre.
— Calque-toi à mon souffle.
Je me concentre, tends l'oreille et après quelques tentatives, je finis par adopter son rythme. Au fur et à mesure je me laisse aller, bercée par le son des averses. Une sensation si forte m'envahit dans tout le corps, une béatitude que je ne pourrais décrire. Je n'ai pas la moindre notion du temps qui passe, mon esprit est si calme que je ne prête même plus attention à la vie qui s'active autour de nous.
Ce qui me sort de ma transe, ce sont les lèvres de celui qui m'a guidée vers cette exploration nouvelle. Je réponds à son baiser et ouvre les yeux. Yaël me détaille, un peu comme s'il s'apprêtait à fouiller mon âme.
— Alors ?
— Merci, chuchoté-je en plongeant dans son regard.
Pour la première fois, je réalise que je suis littéralement en train de succomber à cet homme. Il est si différent de tout ce que j'ai connu jusqu'à présent. Sa simplicité, sa créativité, sa folie... toutes ses qualités amènent une bouffée d'air frais dans ma vie et je meurs d'envie de me laisser embarquer avec lui.

Aujourd'hui

— C'est à ce moment-là que vous avez pris conscience que vous étiez amoureuse de lui ?
— Avec le recul, je dirais plutôt que j'ai été attirée par l'idée qu'il pourrait me rendre heureuse. J'étais convaincue d'être folle de lui à cet instant, mais aujourd'hui je crois plutôt que je voyais ça comme une porte de sortie à la vie redondante que je menais. J'avais vingt-cinq ans et jamais un homme ne m'avait paru si... parfait.
Faux, entièrement faux. Je l'ai aimé intensément et mon cœur ainsi que mon âme sont encore aujourd'hui prisonniers de cet amour.
Elle prend appui sur la table, avant de me dévisager.
— Qu'est-ce qui vous permettait de le qualifier ainsi ?
— Il était doux, avenant, patient.
— Dans quel sens ? insiste-t-elle.
— Il n'essayait pas de coucher avec moi dès les premiers jours. Par exemple, je ne voulais pas que ce soit trop rapide, j'avais besoin de temps et il me l'accordait.
— Ça vous rassurait ?
— D'une certaine façon, ça me permettait d'en déduire qu'il n'était pas que de passage. Je n'avais pas encore pansé toutes mes blessures.
J'avale une lampée de mon Canada dry avant de reprendre.
— Il semblait vraiment sincère... est-ce qu'on peut rester là aujourd'hui ? J'aimerais remonter dans ma chambre.
— Bien sûr.
L'agent Sky m'accompagne jusqu'à l'étage avant de me confier au personnel soignant. Je me mure à nouveau dans le silence d'une pièce sans vie. Ici, il n'y a aucune évasion possible, si ce n'est que par les médicaments que j'avale une fois de temps à autre. La plupart du temps, j'arrive à m'en débarrasser. Je ne veux pas devenir une poupée malléable, un légume ambulant. Ce que je désire c'est être libre.