Chapitre 18

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Je n'ai pas le temps de lui répondre. Derrière moi, des murmures retentissent alors que les lourdes portes s'ouvrent. Erkel, le regard toujours aussi noir, se tourne et je l'imite. Et j'ai du mal à contenir ma surprise. Nous les rencontrons enfin. Leurs Majestés de Kelinthos.

Une femme s'avance, gracieuse et d'une élégance à en faire baver plus d'un. Elle est d'une beauté à couper le souffle. Ses longs cheveux noirs soyeux forment des boucles, quasiment identiques aux miennes mais les siennes sont plus épaisses, et ses mèches respirent la santé. Ses yeux noisette étudient d'un air amusé la foule devant elle. Sa peau bronzée brille sous les lustres ; ses mains se rejoignent en leur centre, fines et ornées de bijoux. Elle porte une longue robe rouge vin, cintrée à la taille, dévoilant une poitrine généreuse, des hanches saisissantes et des jambes élancées derrière la fente du tissu.

Je brûlerais presque de jalousie devant elle. Mais mon attention se reporte sur l'homme qui l'accompagne. Un peu plus petit qu'elle, ses cheveux bruns forment une queue de cheval derrière lui alors qu'un sourire enjôleur se dessine sur ses lèvres. Il porte la barbe courte, et un éclat malicieux brille dans ses yeux. Vêtu d'un veston rouge –accordé aux motifs de ce qui, paraît-il, est sa sœur– qui lui sied à la perfection, son corps semble plus fin qu'Erkel, la montagne de muscles qui m'accompagne. Et pourquoi diable, dois-je ressentir le besoin de comparer les deux hommes !

Quoiqu'il en soit, Leurs Majestés sont d'un charme indéniable. Et ils se dirigent tout droit vers nous. Je me liquéfie sur place. Erkel a sa place ici, il est imposant et a l'allure d'un roi. D'ailleurs, il ne semble pas le moins du monde impressionné par Leurs Majestés. Mais moi... je me sens honteuse dans cette robe. De quoi ai-je l'air face à cette grande reine ?

On se ressaisit, More. Tu n'es pas là pour faire un concours de beauté.

Je reprends ma respiration. Le roi et la reine s'approches, puis arrivent à deux mètres de nous. Erkel ne me touche pas. La sœur et le frère qui nous font face, eux, si. Lui, la prend par le bras et elle se contente de sourire d'une fausseté sans nom. Presque hypocrite.

— C'est un plaisir de vous recevoir... Puis-je vous appeler par votre prénom ? Cela sera sans doute plus convenable !

La reine laisse ses yeux posés sur Erkel et ne m'accorde aucun regard. Je la vois le dévisager avec une certaine curiosité.

— Enerkel. Appelez-moi ainsi, je vous prie.

Poliment, il lui saisit la main pour l'effleurer de ses lèvres. Je reste muette en dévisageant la scène.

— Je m'appelle Areena mais vous pouvez m'appeler Aree si vous le jugez bon, sourit-elle. Et voici mon frère, Maverick.

Areena ne quitte pas des yeux mon soi-disant fiancé. Les deux se bouffent du regard et mal à l'aise, je jette un coup d'œil autour de moi. La foule s'est dissipée pour continuer leurs beuveries. Enfin, des beuveries plutôt coincées puisque chacun sirote son verre en nous épiant.

Lorsque je reviens à nos hôtes, je surprends Maverick en train de me lorgner un peu trop longtemps. Je l'évite soigneusement en reportant mon attention sur Erkel qui se tourne enfin vers moi. Il était temps ! Areena semble alors me remarquer et son visage se refroidit. Je retiens un ricanement dans me gorge et me mets à toussoter.

— Je vous présente More, ma fiancée.

Les jumeaux me fixent tels des serpents prêts à attaquer. Je ne détourne pas les yeux alors qu'Areena hausse un sourcil.

— More ? Serait-ce un diminutif ?

Et merde. Erkel se tourne vers moi, dans l'attente du réponse. Méritent-ils de connaître mon réel prénom ? Non.

— Non, Votre Majesté, c'est bien mon vrai nom.

J'ai le sentiment qu'elle cache un jeu. Elle se contente de sourire, et d'un air bienveillant, me questionne :

— Vous n'êtes pas de sang royal, More, détrompez-moi ?

— Effectivement, je ne le suis pas.

Cela semble l'intéresser alors que Maverick prend enfin la parole, sa voix de velours résonnant comme un chant mélodieux à mes oreilles :

— Comment vous êtes-vous rencontrés alors ? Si ce n'est pas trop indiscret, bien sûr...

Un silence retentit. Un mètre me sépare toujours d'Erkel et je sais pertinemment qu'il n'a pas l'intention de me toucher. Il s'en fiche, et je m'en fiche aussi. Il peut aller se faire cuire un œuf s'il le veut, je n'en aurais rien à faire !

— J'organisais une réception dans mon palais, explique Erkel, quand cette douce créature m'a renversé son verre de champagne sur mon veston –appartenant à mon arrière-arrière-grand-père mais oublions ce détail– ! Nous avons commencé à discuter et l'alchimie entre nous était immédiate.

Quel excellent menteur ! On y croirait presque. Il daigne enfin me toucher et s'approche pour glisser un bras autour de ma taille. Areena et Maverick en face de nous nous observent, méfiants, curieux mais aussi admiratifs. Ils ont l'air inoffensifs pour le moment, j'espère ne pas me tromper...

— Formidable ! Digne d'une vraie scène de film, s'exclame Maverick en apportant la coupe à ses lèvres.

— Comment avez-vous su qu'elle serait la bonne pour vous ? s'enquiert Areena. De notre temps, il est si difficile de trouver l'amour !

J'ignore la façon dont elle bat des cils et tente d'accaparer l'attention d'Erkel sur elle, ni ses questions qui n'ont ni queue ni tête à mon goût. Erkel resserre sa prise et son odeur arrive jusqu'à mes narines. Dieu, qu'est-ce qu'il...

— J'ai vu dans son regard une détermination qui m'a immédiatement fait tomber sous le charme, déclare Erkel. Et puis, je dois avouer que peu importe le rang de ma bien-aimée, More est brillante et d'une beauté à en perdre ses mots. Des femmes comme elle, on n'en rencontre qu'une seule fois dans sa vie.

Je lis dans les yeux d'Areena une jalousie sans nom, brûlante et incendiaire. Je n'ai pas le temps de voir plus qu'Erkel me saisit par le menton pour me faire relever la tête. Ses joues sont colorées, ses lèvres plus rougies qu'avant. Un millier d'étoiles brillent dans son regard. Et étrangement, je croirais presque ses mots. Je ne devrais pas. Tout ça n'est qu'un jeu, une comédie. Un vulgaire spectacle de clowns.

La magie s'estompe. Areena claque dans ses mains et s'exclame :

— Tout cela est très romantique mais il est temps pour nous de rejoindre nos citoyens ! Être au contact du peuple est quelque chose d'important, vous le savez vous même Enerkel.

Elle lui adresse un dernier sourire effronté et je le surprends en train de la reluquer. Et étrangement, cette idée m'énerve au plus au point. Alors lorsqu'elle et Maverick s'éloignent pour aller saluer les invités, je me tourne vers lui.

— Puis-je y aller ou dois-je donc encore subir votre horrible présence ?

Il m'imite. Et me fixe un certain temps avant de répondre :

— Un problème, More ? Qu'est-ce que je t'ai fait ?

— Réfléchissez, je suis sûre que vous trouverez la réponse !

Il ouvre la bouche puis la referme. Puis il finit par me dire d'un ton hargneux :

— Tu peux partir, je m'en fiche.

Et il me tourne le dos. Dans une autre vie, j'aurais presque fondu en larmes. Mais c'est la rage au ventre et le cœur battant à vive allure que je sors de la salle. Je me retourne une dernière fois, dans un espoir vain. Je le regarde se diriger vers Areena et j'ai le sentiment que quelque chose en moi se fissure.

Je me déteste pour réagir de la sorte.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant