Chapitre 19 :

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J'englobe du regard le total manque d'organisation de Laaja. Sa chambre est le reflet de son esprit : complètement désordonnée et très colorée. Des vêtements et des livres traînent un peu partout et des plantes rampantes ou en pot ou envahissent chaque mètre carré de sa chambre, jusque sur son lit. J'évite une tâche humide sur le sol provenant sans doute de la dernière fois qu'elle a arrosé les plantes et referme la porte. Dans la pièce règne toujours la même odeur réconfortante et fraîche, mélange de plantes et de... Laaja. Assises sur le lit, Kaïcha et Laaja tournent la tête vers moi, la première en levant un sourcil, son katana appuyé sur son épaule, la dernière en s'exclamant avec une sombre réjouissance :

- Hé hé, vu ta tête, ça sent les nouvelles fracassantes !

Je les balaye du regard en silence.

- T'imagines même pas...

Je leur ai donné rendez-vous ici pour leur demander s'ils avaient déjà entendu parler de "Brazil" et surtout, leur raconter ma rencontre avec les doubles-âmes. Et puis, la nature de ce que je suis aussi, en passant. Personne d'autre que moi-même n'est au courant. C'est quelque chose que j'ai caché très profondément en moi, que je n'ai permis à personne de voir. C'était censé resté comme ça jusqu'à ma mort, mais la découverte de leur existence m'a mis un pied dans le passé. J'en ai marre d'avoir le cul entre deux chaises. Je vais faire un choix. Mais je veux leur avis avant. Je sais qu'elles m'aideront, sauf que pour ça, il va falloir que je leur raconte tout. J'ai besoin du pragmatisme de Kaïcha et de l'énergie de Laaja. Je m'assois avec lenteur à côté d'elle, fermant le cercle. Toutes les deux restent silencieuses, même Laaja. L'air semble s'être épaissi. Elles ont senti quelque chose dans mon attitude, elles se tiennent prêtes à tout. Tout ne suffit pas encore. Je transpire. Je leur jette un rapide coup d'oeil. Agacé. Plus vite ça sera fini, plus vite on pourra passer à autre chose.

- Bon, ce que je vous dis reste entre nous, j'ordonne d'une voix un peu sèche.

C'est ridicule, mais j'ai peur qu'elles me rejettent. Que ce ne soit plus jamais comme avant. Qu'il y ait un malaise, une distance. Qu'est-ce que j'en sais ? je n'ai jamais avoué cela à haute voix, je ne sais pas comment elles réagiront. Je serre les dents, refoule ma peur et replonge loin, très loin, dans des souvenirs que j'avais enterré quelque part dans le souhait de ne plus jamais les revoir. Il est temps. J'ouvre la bouche.

Je leur raconte tout. Tout. De ma naissance à ma rencontre avec les doubles-âmes et l'apparition d'Ash à l'incendie, le stylo et le vêtement d'Aron. À la fin, Laaja siffle entre ses dents, lançant négligemment un de ses couteaux-papillon en l'air, que je rattrape d'une main. Un sourire un peu fou relève ses lèvres.

- Ben dit donc ! Et moi qui pensais avoir une histoire compliquée... elle ironise.

Je souris et lui renvoi son couteau-papillon. Uns bosse dans ma poitrine se dégonfle. Je respire plus facilement. C'est ça que j'aime avec elles : elles ne jugent pas, elles se contentent d'accepter les choses comme elles viennent et font avec. Comme la plupart d'entre nous à l'Atrium, leur enfance n'ont pas été faciles non plus et elles ont appris à ne pas poser de question.

Kaïcha est orpheline depuis quasiment sa naissance. Sa mère l'a abandonnée près d'une poubelle et on l'a retrouvé le lendemain en train de brailler dans les ordures. On l'a conduite à l'hôpital où les infirmiers se sont occupés d'elle avant de l'envoyer dans un orphelinat aux règles peu familiales d'où elle s'est enfuie. À partir de là, elle a traîné et volé dans les rues des mois entiers jusqu'à se faire repérer par l'Atrium. Elle a échappé de peu à une vie très courte. Pour le concours de l'histoire la plus effroyable, il y a aussi Laaja en course. Son histoire est simple, mais peut être encore plus horrible que celle de Kaïcha. Elle dépeint l'horreur des conditions de survie des petites filles seules dans les quartiers les plus pauvres de Braçalia. Et à côté, il y a moi. Des fois, j'ai l'impression que mon passé n'est pas réel, comme si j'étais sortie d'un mauvais conte de fée qui n'aurait jamais dû être imprimé.

La Guéparde Dorée - Double-âme [1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant