“Michel Polnareff, un prince en otage” : la savoureuse biographie de l’insaisissable chanteur
CULTE. Lunettes noires pour nuits blanches : une savoureuse biographie rattrape l’insaisissable Michel Polnareff, à la veille de ses 80 ans.
Une histoire de fesses : ça débute comme ça. En relatant pour le JDD un concert de Michel Polnareff, au Zénith de Dijon l’an dernier, Ludovic Perrin a le malheur d’évoquer son auguste postérieur, immortalisé par la fameuse – et scandaleuse – photo de Tony Frank, affiche du spectacle « Polnarévolution » à l’Olympia en 1972.
Le journaliste effronté reçoit un appel courroucé de Polnareff, à qui il tente d’objecter : « Mais c’est vous qui avez commencé ! » Pour promouvoir sa tournée de 2023, le chanteur a en effet lui-même exhumé la photo mythique, mais, furieux, lui lâche : « Oui, moi, j’ai le droit ; pas vous ! C’est mon cul, pas le vôtre ! » « Sur ce point, on ne saurait donner tort à Michel Polnareff. Pourtant, son cul, c’est aussi un peu le nôtre », écrit l’auteur taquin, réfugié derrière le mythe.
Sans rancune pour ce Polnareff « descendu de son Olympe pour [lui] voler dans les plumes », Ludovic Perrin ouvre sa savoureuse biographie avec cette engueulade reçue comme un hommage.
Du temps des copains du Sacré-Cœur aux dernières tournées, on rembobine, allegro ma non troppo, la vie du phénomène. Fils d’un réfugié russe qui le battait – il en fera une chanson subliminale, L’Homme en rouge –, le jeune Michel, premier prix du conservatoire de piano, est un timide convaincu du destin de vedette qui l’attend. On découvre les secrets de fabrication de La Poupée qui fait non, premier triomphe, en 1966.
« Il lui a suffi d’ôter ses lunettes noires pour qu’on ne le reconnaisse plus »
Il a 22 ans ; le succès ne se démentira jamais, mais le jeune homme androgyne, dont la voix de tête couronne une tessiture stupéfiante, deviendra un « prince en otage » de ses fragilités et paradoxes. Ses lunettes emblématiques, fabuleuse trouvaille, couvrent sa peur panique de devenir aveugle – il passera tout près –, mais renversent son rapport à l’anonymat : « Il lui a suffi d’ôter ses lunettes noires pour qu’on ne le reconnaisse plus. »
Polnareff n’a cessé de conjurer sa peur du vide, analyse le livre aux accents d’essai. Tout en l’orchestrant : reclus, prisonnier de ses angoisses, de son agoraphobie, de ses pannes d’inspiration… D’exil inabouti en éclipses interminables et retours souvent triomphaux, il aura gagné, perdu, mais « toujours, il aura relancé les dés ».
La genèse de ses plus grands albums éclaire l’amplitude des styles explorés et rend justice à ses mérites de mélodiste. De parolier aussi, on l’oublie : il n’y a pas que Delanoë et Dabadie ! Des rodéos à moto dans son appartement aux ardoises pharaoniques laissées dans des palaces, le livre revient sur la vie rocambolesque de l’Amiral, ses amitiés de solitaire, ses ennuis avec le fisc ou son homme de confiance qui l’a plumé – à moins qu’il ne se soit remboursé de sa créance ? Le prix d’une vie d’artiste est lourd à payer.
Annie Fargue fut son amie, agent, amante pendant plus de vingt ans… Le récit de leur rencontre est émouvant. Sa fille Leslie s’exprime pour la première fois, contant la naissance de Lettre à France, peut-être la plus grande chanson de Polnareff. Annie, âme soeur maternelle, est « morte d’amour » en 2011, confie Nadine Trintignant ; la voix de Michel, au téléphone, a accompagné son dernier souffle.
Nourri de témoignages inédits et anecdotes méconnues, Ludovic Perrin trouve la note juste. On retrouve la fine plume des critiques éclectiques et entretiens percutants, son sens d’un détail éloquent glané dans une anecdote backstage ou une face B oubliée, son don des fils tirés pour mettre à jour un ressort inavoué ou établir une correspondance impromptue.
« Nous allons tous mourir, sauf les chansons de Michel Polnareff »
Ce goût pour les chemins de traverse, nourri de son ample connaissance de la chanson française dont, il le rappelle, Polnareff est un géant, lui permet d’en dresser un portrait pénétrant. Sans révérence, avec un brin de malice qui n’écorne pas un profond respect, il jette une lumière parfois crue sur celui qui la craint tant. Le « roi des fourmis » va fêter ses 80 ans le 3 juillet. Il est déjà dans la postérité. On ne sait pas si on ira tous au paradis, mais « nous allons tous mourir, sauf les chansons de Michel Polnareff ».
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