Festival de Gstaad : quand le classique se veut écologique
AUDACE. Le festival de Gstaad offre une programmation riche et sensibilisée aux questions climatiques dans l’îlot bucolique des Alpes suisse.
Lui aussi souffre-t-il des écarts de température dus au dérèglement climatique ? « Parfois, en Asie, je sens qu’il est plus difficile à jouer en raison des forts taux d’humidité. Mais, en trois siècles, il en a vu d’autres ! » L’objet de la conversation, alors que la violoncelliste Anastasia Kobekina savoure encore les dernières notes du magnifique concert à teneur écologique qu’elle vient de donner, est un Stradivarius de 1698.
Chez cette fille d’une pianiste et d’un compositeur venue de l’Oural décrocher les plus prestigieux prix internationaux comme autant d’étoiles déposées au pied d’une carrière déjà riche en promesses, l’instrument s’impose comme un membre naturel de la famille : le dialogue s’installe dans une proximité accueillant une sensualité animale dans ses mouvements rebelles.
Accompagnée par l’Orchestre de chambre de Bâle, la demi-finaliste du Concours Tchaïkovski en 2015 (elle avait 21 ans) présentait mardi en l’église moyenâgeuse de Saanen le projet qui l’emmène sur les routes cet été : Venezia and Beyond, transposition scénique de Venice ; son premier album Venice, paru en début d’année chez Sony Music, s’inscrit bien dans la thématique « Music for the Planet » défendue par le festival fondé par Yehudi Menuhin. Dominé par Vivaldi, ce répertoire baroque s’autorise des écarts contemporains avec Britten ou plus encore, Caroline Shaw. « Ce projet est né alors que je découvrais Venise pendant le confinement. Toutes ces musiques m’ont accompagnée dans cette atmosphère oscillant entre le rêve et la réalité. Elles ont fixé mes souvenirs de manière quasi photographique. »
Poignante vision crépusculaire d’un monde bientôt englouti sous les eaux
Mis en image par le vidéaste berlinois René Liebert, ce spectacle hommage à la Cité des Doges en voit les utopies se fracasser sur le mur des inquiétudes écologiques. Projetées sur une voile de bateau, des images montrent comment l’ancien port de commerce devenu destination touristique a pu se vider de son âme au fil des siècles, victime de sa notoriété. Au-dessus du chœur, un décompte du nombre de ses habitants défile alors depuis l’érection de la ville au Ve siècle, tandis que le dialogue entre Marco Polo et Kubilai Khan apparaît sur la toile. Après un ultime tableau composé d’une multitude de selfies comme l’achèvement d’une époque gagnée par un narcissisme dévastateur, le spectacle se termine sur l’Adagio de Bach tiré de son concerto en ré mineur, poignante vision crépusculaire d’un monde bientôt englouti sous les eaux.
Quand Menuhin crée son festival en 1957, seules quelques stars hollywoodiennes connaissent ce coin de paradis, devenu aujourd’hui la destination emblématique des familles les plus fortunées. Mais être riche n’exclut pas d’avoir un cœur. Et si l’on se réfère à l’ouvrage de Christopher Lasch, La Révolte des élites, ce sont les premiers à convaincre pour tendre vers un développement solidaire et durable.
« Le droit des gens au calme, à un air et une eau purs est inscrit dans la Constitution de tous les États »
Sans le formuler aussi frontalement, c’est le pari que semble avoir fait son directeur artistique, Christoph Müller, avec son cycle triennal inauguré en 2023 sous l’intitulé Humilité (avant Transformation en 2024 et Migration en 2025) répondant à l’injonction visionnaire de Menuhin : « Le droit des gens au calme, à un air et une eau purs, aux prairies et forêts, et à une alimentation saine, est inscrit dans la Constitution de tous les États. »
Si les stars répondent présentes, de Julia Fischer à Hélène Grimaud en passant par András Schiff, l’avenir du festival, aujourd’hui audacieuse alternative à son voisin de Verbier avec sa soixantaine de concerts se déployant sur sept semaines en onze lieux distincts, était loin d’être assuré quand Christoph Müller en reprit la direction. Après la débâcle de Gidon Kremer dont les choix ont fait fuir le public comme les mécènes, Eleanor Hope, ancienne secrétaire de Menuhin, l’a maintenu sous respiration artificielle. « C’était courageux de faire appel à un jeune directeur artistique, même si, du haut de mes 30 ans, j’étais déjà doté d’une expérience en tant que manager de l’Orchestre de Bâle et programmateur à Lucerne. Ma vision stratégique était simple : renouer avec l’esprit de Menuhin. » Lui-même violoncelliste professionnel, Christoph Müller retrouve la confiance des artistes.
Renouveler le public afin qu’ils ne finissent pas comme Venise sous les eaux
Alors qu’il s’apprête à passer la main à Daniel Hope (le fils d’Eleanor), il a conscience du chantier qui les attend : renouveler le public afin qu’ils ne finissent pas comme Venise sous les eaux. C’est le sens des académies proposées par le Gstaad Menuhin Festival, dont celle des directions d’orchestre. Bar Avni, 34 ans, chef israélienne tout juste lauréate du concours de la Maestra à la Philharmonie de Paris, en incarne l’un des succès. C’est le sens aussi des formations d’amateurs se produisant sous la grande tente de Gstaad, vouée à devenir une salle en dur, comme des concerts en montagne, enchaînant classique, improvisation et DJ set.
Ou du virtuose japonais Hayato Sumino que l’on découvrait mercredi en l’église de Saanen. Ne comptant pas moins de 330 000 abonnés sur Instagram, ce pianiste jette de manière éblouissante des ponts entre le passé et l’avenir, quand ce demi-finaliste au concours Chopin, parrainé par Jean-Marc Luisada, empoigne littéralement un classique dans un cheminement à la lisière du jazz. En cet instant, il se peut que certains ne se soient pas encore remis de son Boléro.
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