L'ambassadeur de la République démocratique du Congo en Corée du Sud, Ileka Atoki, lors de l'interview accordée à l'agence de presse Yonhap dans les locaux de sa mission diplomatique à Séoul, dans l'arrondissement de Yongsan, le jeudi 16 novembre 2023.
SEOUL, 17 nov. (Yonhap) -- La république de Corée et la République démocratique du Congo (RDC) célèbrent cette année le 60e anniversaire de leurs relations diplomatiques. A cette occasion, l'ambassadeur de la RDC à Séoul, Ileka Atoki, dans le pays depuis octobre 2022, a accepté jeudi de répondre en français aux questions de l'agence de presse Yonhap à sa mission diplomatique située sur le flanc du mont Namsan.
Pour marquer cet anniversaire, le président congolais Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo avait envoyé le 7 avril au président Yoon Suk Yeol un message de félicitations dans lequel il renouvelait l'engagement du Congo-Kinshasa et de son peuple à «continuer à œuvrer au renforcement de l'état excellent des relations d'amitié et de la fructueuse coopération existantes entre les deux pays».
L'ambassadeur Ileka Atoki est revenu sur cette année marquante pour les deux nations et s'est exprimé sur divers sujets les concernant comme les liens diplomatiques, les échanges bilatéraux, la collaboration mutuellement bénéfique, les perspectives futures et la Corée du Nord. Selon lui, «les relations avec la Corée (du Sud) sont au beau fixe». Pour ce qui est de l'avenir, il se dit «serein» et aspire à ce que ces liens «se raffermissent davantage, surtout sur les plans économique et sécuritaire».
Le haut diplomate congolais a débuté sa carrière en 1985. Il a occupé divers postes à l'étranger (Grèce et missions pour l'ONU) et au sein du ministère des Affaires étrangères à Kinshasa avant de devenir représentant permanent de la RDC aux Nations unies (2001-2011) et ambassadeur en France (2011-2018). De retour au pays, il a été secrétaire général aux affaires étrangères (2018-2020), puis directeur de cabinet du vice-Premier ministre et du chef de la diplomatie (2021-2022) précédemment à sa nomination au pays du Matin-Clair.
Ses premières relations avec la Corée datent de sa période à New York. Aux Nations unies, il a été l'un des vice-présidents de la 56e Assemblée générale sous la présidence de Han Seung-soo, à l'époque ministre sud-coréen des Affaires étrangères. Son chef de cabinet n'était autre que Ban Ki-moon, avec qui l'ambassadeur a travaillé en étroite collaboration lors de son premier mandat de secrétaire général de l'ONU.
L'ambassadeur de la République démocratique du Congo en Corée du Sud, Ileka Atoki, dans son bureau à Séoul, le jeudi 16 novembre 2023.
- Cette année marque le 60e anniversaire des relations diplomatiques entre la république de Corée et la République démocratique du Congo. Quel est votre état d'esprit ?
▲ Les relations diplomatiques entre la république de Corée et la République démocratique du Congo ont été établies le 1er avril 1963. Effectivement, l'année 2023 marque le 60e anniversaire de ces relations diplomatiques. Les relations avec la Corée sont au beau fixe. Elles ont évolué positivement au fil des décennies, quoique parfois confrontées à des défis exogènes, et ont couvert divers domaines de coopération, y compris l'économie, la culture et la politique. Donc, je ne peux qu'être serein, tout en appelant de mes vœux qu'elles se raffermissent davantage, surtout sur les plans économique et sécuritaire.
- Comment avez-vous célébré cet anniversaire ?
▲ Nos chefs d'Etat, en l'occurrence Leurs Excellences Messieurs Yoon Suk Yeol et Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, ainsi que nos ministres chargés des Affaires étrangères, Leurs Excellences Messieurs Park Jin et Christophe Lutundula Apala Pen'Apala, ont échangé des messages de félicitations pour célébrer cet anniversaire. Le 1er avril 2023 à Séoul, la RDC a été à l'honneur, notamment par une campagne d'affichage de ses potentialités sur les grands écrans du centre de la capitale coréenne.
Le 27 avril 2023 à Kinshasa, une cérémonie a eu lieu, à laquelle ont pris part plusieurs personnalités congolaises, dont la ministre de la Culture, mon collègue de la république de Corée à Kinshasa, ainsi que le personnel de l'ambassade de Corée et celui de l'Agence coréenne de coopération internationale (KOICA). A cette occasion, une plaque commémorative pour marquer cet important évènement a été dévoilée dans le sublime cadre du Musée national de la RDC lequel, ne n'oublions pas, est le fruit de l'excellente coopération entre nos deux pays.
- Comment analysez-vous les 60 ans de relations diplomatiques entre la Corée du Sud et la RDC ?
▲ Je ne voudrais pas ici vous faire l'historique des 60 ans de relations diplomatiques entre la Corée et la RDC, nous pouvons toutefois les analyser à l'aune des domaines ci-après. Les relations diplomatiques ont donc été établies en 1963, soit trois ans après l'accession de mon pays à la souveraineté internationale et l'indépendance politique. Nous apprécions grandement que la Corée soit l'un des pays ayant rapidement reconnu le nouvel Etat indépendant.
Dans un passé encore récent, nos deux pays ont affiché des identités de vues sur les grandes questions internationales, notamment lors des deux premiers mandats de la Corée au Conseil de sécurité des Nations unies. La RDC souhaite poursuivre cette relation d'autant plus que la Corée vient d'être élue pour la troisième fois au Conseil de sécurité. Par ailleurs, je saisis l'occasion pour vous confier une petite anecdote. Savez-vous que le premier chef d'Etat que le secrétaire général Ban Ki-moon a accueilli à sa résidence de fonction est le chef de l'Etat de la RDC ? Son Excellence Ban Ki-moon est peut-être le secrétaire général qui, en cette qualité, a le plus visité la RDC.
- Quels sont les grandes orientations de la politique diplomatique de Kinshasa à l'égard de la Corée du Sud ?
▲ Les relations politiques et diplomatiques sont excellentes. Mais tant doit encore être accompli dans les autres domaines. Il sied en effet de savoir que l'économie de la Corée est celle d'un marché dont le PIB est le 13e plus élevé au monde (2022) avec un montant de plus de 1.500 milliards de dollars américains. Son modèle de développement s'est basé sur des liens étroits entre le gouvernement et les milieux d'affaires, y compris le crédit dirigé, les restrictions aux importations, le financement de certaines industries et un gros effort de travail. Le gouvernement a favorisé l'importation des matières premières et de la technologie aux dépens des biens de consommation et a encouragé l'épargne et l'investissement au détriment de la consommation. [...]
Ce bref rappel, en lui tout seul, justifie l'orientation de la politique de mon pays envers la Corée. La RDC se doit de hisser le niveau des relations entre nos deux pays à un degré appréciable. Elle poursuivra naturellement sa vocation de servir de vecteur pour l'implantation en RDC des entreprises coréennes. A cet effet, sur instructions de sa capitale, l'ambassade de la RDC veillera à : (1) Promouvoir la législation nationale visant le renforcement des mesures de protection des investissements étrangers en vue de favoriser le climat des affaires ; (2) Attirer ces investisseurs en présentant clairement les avantages contenus dans nos différents codes : code d'investissement, code forestier et code minier ; (3) Proposer aux autorités congolaises et coréennes une procédure efficace, dynamique, mais aussi, aisée et profitable à toutes les parties dans l'orientation, l'encadrement et la facilitation des dossiers des investisseurs étrangers désireux d'héberger leurs activités en RDC.
- Justement, concernant l'économie et le commerce, sur quels domaines le gouvernement congolais se focalise-t-il plus particulièrement lorsqu'il s'agit de la Corée ?
▲ Les priorités économiques et commerciales de la RDC vis-à-vis de la Corée varient en fonction des opportunités, des besoins nationaux et des développements internationaux. Voici quelques-uns des domaines d'intérêts possibles : (1) L'exportation de matières premières : la RDC est riche en ressources minérales, telles que le cobalt, le cuivre et les minéraux utilisés dans l'industrie électronique, tel le lithium ; (2) Les partenariats économiques : la RDC continue d'établir des partenariats économiques avec des entreprises coréennes, notamment dans les secteurs de l'énergie, de la construction, de l'infrastructure et de l'agriculture ; (3) Le secteur de la santé et de l'éducation : la RDC souhaite renforcer la coopération avec la Corée dans les domaines de la santé et de l'éducation en encourageant les échanges de savoir-faire et en recevant des programmes de formation ; (4) La coopération dans l'industrie électronique : étant l'un des principaux acteurs de l'industrie électronique, la Corée demeure un partenaire clé pour la RDC dans le développement de l'industrie électronique et des technologies de l'informatique.
L'ambassadeur de la République démocratique du Congo à Séoul, Ileka Atoki, pose pour l'agence de presse Yonhap à son poste diplomatique, le jeudi 16 novembre 2023.
- Quelle place a la culture dans les échanges bilatéraux ?
▲ Les échanges culturels existent avec des initiatives visant à promouvoir la compréhension mutuelle et le dialogue interculturel. La construction par la Corée du Musée national (construit avec des fonds de la KOICA) a été bien accueillie par la population congolaise. Mon ambassade travaille d'arrache-pied avec les autorités coréennes compétentes pour une démonstration de la culture congolaise en Corée. Nous avons fixé 2024 comme objectif. Voyons ce que cela va donner et produire.
- L'aide au développement est également un élément important de la relation.
▲ Oui, la Corée du Sud a fourni une assistance au développement à la RDC, notamment dans les domaines de la santé, de l'éducation et de l'agriculture. Celle-ci est hautement appréciée. Je voudrais ici reconnaître le travail combien louable de la KOICA en faveur du bien-être de la population congolaise. Je pense entre autres à la construction de l'usine de production d'eau potable de Lemba-Imbu ou encore à l'octroi de diverses bourses d'études et de perfectionnement.
- Il y a aussi des efforts militaires...
▲ La RDC et la Corée ne sont pas, à l'heure actuelle, des partenaires militaires majeurs, mais elles se rapprochent et comptent renforcer leur partenariat. Le gouvernement coréen ainsi que des sociétés coréennes ont été approchés en vue de la fourniture de matériel non létal en faveur de l'armée congolaise. La RDC s'est également montrée intéressée par divers autres équipements en faveur des unités terriennes, fluviales, maritimes et aériennes des Forces armées congolaises. Par ailleurs, en matière de coopération sur la cybersécurité ou contre le terrorisme, des propositions concrètes de coopération seront formulées à cet effet. Au niveau de la police, nous avons récemment signé, ici à Séoul, un projet d'appui par l'Agence nationale de la police coréenne (KNPA) à la Coordination nationale de la Police judiciaire de la Police nationale congolaise.
- Il y a une mission diplomatique nord-coréenne à Kinshasa. Pourriez-vous nous décrire les relations entre la RDC et la Corée du Nord ? Votre ambassade à Séoul défend-elle aussi les intérêts de la RDC en Corée du Nord ? Et quelle est la position officielle de Kinshasa vis-à-vis de l'Etat nord-coréen ?
▲ Il est important de savoir que la RDC reconnaît les Etats et non les gouvernements. Depuis son indépendance, la RDC entretient des relations diplomatiques sans exclusion avec tous les pays du monde, des relations empreintes du sceau du respect et de l'estime réciproques. A ce titre, par exemple, elle maintient des relations avec des pays voisins qui l'agressent militairement depuis près d'une trentaine d'années. La Corée du Nord a une présence diplomatique en RDC. Par contre, contrairement à d'autres pays, les relations entre la RDC et la Corée du Nord ne sont pas gérées à partir de notre ambassade à Séoul. Elles sont généralement gérées par le poste de Pékin.
D'une façon générale, la RDC a toujours soutenu toutes les initiatives visant la réunification de la péninsule coréenne. Elle a toujours plaidé pour une péninsule vivant dans la paix et la concorde. La RDC a soutenu sans réserve la proposition contenue dans le plan présenté en août 2022 par Son Excellence Monsieur Yoon Suk Yeol, en vue de créer un «environnement stratégique» destiné à aider la Corée du Nord à améliorer son économie en échange de sa dénucléarisation et pour favoriser le retour de la Corée du Nord à la table des négociations, justement dans la perspective de la réunification.
- Une visite du président de la RDC pourrait-elle avoir lieu dans un futur non lointain, par exemple pour le sommet Corée-Afrique 2024 à Séoul ?
▲ La république de Corée se prépare à accueillir en 2024 un sommet au plus haut niveau Corée-Afrique. Je souhaite que Son Excellence Monsieur Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo puisse y participer, d'autant plus qu'il s'agirait de sa première visite dans le pays. Cela est très important et constituera une réelle opportunité pour mon pays de renforcer et consolider ses relations avec la Corée, notamment dans les domaines de la coopération économique, de l'environnement et du développement durable, de la technologie, des communications, de la formation universitaire et professionnelle, de la culture, de la sécurité, pour ne citer que ceux-là. Et bien entendu, en ayant à l'esprit que la Corée sera membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations pour l'exercice 2024-2025, le renforcement des relations diplomatiques et politiques sera à l'ordre du jour.
- Avez-vous un message particulier à faire passer à l'intention du peuple coréen ?
▲ Je me dois de saluer le peuple coréen, un peuple digne et fort, un peuple fier de sa longue histoire et de sa si brillante culture. Un peuple résilient qui a su, grâce à la sagesse et la détermination de ses dirigeants, s'extirper de la plus grande des misères pour hisser la république de Corée parmi les plus grandes puissances de notre planète. Le peuple congolais a beaucoup à apprendre de la glorieuse expérience du peuple coréen. Le peuple congolais voudra comprendre et appréhender les philosophies qui ont permis au peuple coréen de bâtir un Etat riche et prospère. [...]
Je voudrais enfin inviter le peuple coréen à bien vouloir considérer la destination «Congo». Mon pays est certes béni en ressources naturelles, mais elle l'est également par la chaleur de sa population et ses immenses atouts touristiques. Nous voulons que les Coréens puissent massivement venir nous visiter et se sentir chez eux en République démocratique du Congo.
L'ambassadeur de la République démocratique du Congo à Séoul, Ileka Atoki, devant le portrait du président congolais Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, le jeudi 16 novembre 2023.
Propos recueillis par Xavier Baldeyrou
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