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Poésies de Jean Froissart/Le Trettie de l’Espinette amoureuse

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Verdière (p. 183-325).

CI SENSIEUT

LE TRETTIE DE L’ESPINETTE AMOUREUSE.


Pluiseur enfant de jone éage
Desirent forment le péage
D’amours payer ; mès s’il savoient,
Ou si la cognissance avoient
Quel chose lor fault pour payer,
Ne s’i vodroïent assayer ;
Car li paiemens est si fes
Que c’est uns trop perilleus fès.
Nom-pour-quant gracieus et gens
Samble-il à toutes jones gens ;
Je m’i acord, bien ont raison ;
Mès qu’il le paient de saison
En temps, en lieu, de point et d’eure.
Et si c’est dessous ne deseure
L’éage qu’il leur apertient,
Folie plus que sens les tient.
Mes tant qu’au fait, j’escuse mieuls
Assés les Jones que les vieuls ;
Car jonece ne voelt qu’esbas
Et amours en tous ses esbas,
Quiert ceuls trouver et soi embatre
Entre euls, pour soi et ceuls esbatre.
En mon jouvent tous tels estoie ;

Que trop volontiers m’esbatoie,
Et tels que fui encor le sui ;
Mès ce qui fu hier n’est pas hui.
Très que n’avoie que douse ans,
Estoie forment goulousans
De véoir danses et carolles,
D’oïr ménestrels et parolles
Qui s’apertiennent à deduit ;
Et de ma nature introduit
Que d’amer par amours tous ceauls
Qui ament et chiens et oiseauls.
Et quant on me mist à l’escole,
Où les ignorans on escole,
Il y avoit des pucellettes
Qui de mon temps èrent jonettes ;
Et je, qui estoie puceaus,
Je les servoie d’espinceaus,
Ou d’une pomme, ou d’une poire,
Ou d’un seul anelet de voire ;
Et me sambloit, au voir enquerre
Grant proece à leur grasce acquerre ;
Et aussi es-ce vraiement ;
Je ne le di pas aultrement.
Et lors devisoie à par mi :
Quand revendra le temps por mi
Que par amours porai amer.
On ne m’en doit mies blasmer :
S’à ce ert ma nature encline,
Car en pluisours lieus on decline
Que toute joie et toute honnours

Viennent et d’armes et d’amours.
Ensi passoie mon jouvent ;
Mès je vous ai bien en convent
Que pas ne le passai com nices ;
Mès d’amer par amours tous riches ;
Car tant fort men plasoit la vie
Qu’aillours n’ert m’entente ravie,
Ne ma plaisance, ne mon corps.
Encor m’en fait bien li recors,
Et fera, tant com je vivrai ;
Car par ce penser mon vivre ai
Garni dune doulce pouture ;
Et s’est tele ma nouriture
De grant temps ; fuisse jà pouris
S’en ce n’euisse esté nouris.
Mès le recort et la plaisance,
Le parler et la souvenance
Que pluisours fois y ai éu
M’ont de trop grand bien pourvéu.
Nous n’avons qu’un petit à vivre,
Pourtant fait bon eslire un vivre
En troes, com est dou prendre en point
Qu’on ne faille à sa santé point,
Pour amer par amours, l’entens.
Mieuls ne poet employer le tems
Homs, ce m’est vis, qu’au bien amer ;
Car qui voelt son coer entamer
En bon mours et en nobles teches,
En tous membres de gentilleces,
Amours est la droite racine ;

Et coers loyaus qui l’enracine
En soi, et point ne s’outre-cuide
N’i poet avoir l’entente vuide
Qu’il ne soit gais et amoureus,
Et aux biens faire vertueus.
Car qui n’aimme ou qui n’a amé,
Quoi qu’on ait l’omme en ce blasmé,
Jà n’aura vraie cognoissance,
Ne en bonnes vertus puissance.
Mès les aucuns ensi opposent
Qu’il sont amé, puis qu’amer osent.
Nennil, Amours de celle part
Ne prendera jà au coer part
Qui le voelt par cuidier avoir ;
Oultre-cuidance est non savoir,
Et pour ce ne s’i doit nuls mettre
Qui d’amer se voelt entremettre.
Dont ensi, pour mieulz confremer
Le fait dont vous voeil enfourmer,
J’ai dit qu’amours est sens et vie
Qui s’i gouverne sans envie.
Ensi le croi, pour ce le pris
Tant à valour, honnour et pris,
Que, d’exposer tout son afaire,
J’auroie grandement à faire.
Nom-pour-quant dedens ce dittier
Mon fait tout plain et tout entier,
Qui sus l’estat d’amours se trette,
La vérité en ert retrette ;
Et tout pour l’amour de ma dame,

Que Diex gart et de corps et d’ame !
Amours et elle m’ont apris
Bien voie de monter en pris ;
Et se je n’ai pas retenu
Tout le bien dont il m’ont tenu,
À moi le blasme et non à euls,
Car grasces en doi rendre à ceuls
Dont proufis me vient et honnours,
C’est à ma dame et à Amours.
Moult convegnable en est l’usance ;
Or ai-je un petit d’escusance
De ce que lors trop jones ère
Et de trop ignorans manière.
Et moult me trouva foible et tendre
Amours, quant si hault me fist tendre
Comme en amer ; mès l’amour moie
De quoi lors par amours amoie
Tant qu’en enfance, pour ce fait,
Ne me portoit gaires d’effait.
Espoir, s’il m’euist plus viel pris,
J’euisse été trop mieuls apris,
Et cogneuisse mieulz son nom ;
Que je ne face, et espoir non ;
Car on dit : Qui voelt la saucelle
Ployer aise, il le prent vregelle.
Aussi Amours me prist ou ploi
De mon droit jouvent pour ce ploi,
Tout ensi qu’il me voelt ployer,
Car mieuls ne me voeil employer.
Mès quel éage, au dire voir,

Cuidiés vous que pevisse avoir
Dès lors qu’Amours, par ses pointures,
M’ensengna ses douces ointures ?
Jones estoie dans assés.
Jamès je ne fuisse lassés
À juer aux jus des enfans
Tels qu’ils prendent dessous douse ans ;
Et premiers, par quoi je m’escuse,
Je faisoie bien une escluse
En un ruissot d’une tieulette ;
Et puis prendoie une esculette
Que noer je faisoie aval ;
Et s’ai souvent fait en un val,
D’un ruissot ou d’un acoulin,
Sus deus tieulettes un moulin ;
Et puis juiens aux papelottes ;
Et ou ruissot laviens nos cottes,
Nos chaperons et nos chemises.
Si sont bien nos ententes mises
À faire voler aval vent
Une plume ; et j’ai moult souvent
Tamisié en une escafotte
La poudrette parmi ma cotte ;
Et estoie trop bons vallés
Au faire de terre boullés ;
Et pluiseurs fois me sui emblés
Pour faire des muses en blés ;
Et pour les papillons chacier
Me vosisse bien avancier ;
Et quant atraper les pooie,

D’un fileçon je les lioie,
Et puis si les laissoie aler
Ou je les faisoie voler ;
Aux dés, aux eschès, et aux tables,
Et à ces grans jus delitables,
Les jus ne voloie pas tels ;
Mès de terre à faire pastels,
Rons pains, flannes et tartelettes,
Et un four de quatre tieulettes
Où je mettoie ce mestier
Qui m’avoit adont grand mestier.
Et quant ce venoit au quaresme
J’avoie, dessous une escame,
D’escafottes un grant grenier
Dont ne vosisse nul denier.
Et lors, sus une relevée,
Avec l’escafotte travée,
Juoie avec ceuls de no rue.
Et tout ensi qu’on hoce et rue,
Je leur disoie : « Hociés hault.
» Car vraiement cape ne fault. »
Et quant la lune estoit serine,
Moult bien à la pince merine
Juiens. Aussi en temps d’esté
À tels jus ai-je bien esté,
Plus marris au département
Que ne fuisse au commencement.
Vis m’estoit qu’on me faisoit tort
Quant on m’avoit dou ju estort.
Puis juiens à un aultre jeu

Qu’on dist, à la Kevve leu leu ;
Et aussi au trottot merlot,
Et aux pierettes, au havot,
Et au piloter, ce me samble.
Et quant nous estions ensamble,
Aux poires juiens tout courant,
Et puis au larron Engerrant,
Et aussi à la brimbetelle,
Et à deux bastons qu’on restelle.
Et s’ai souvent, d’un bastoncel,
Fait un cheval nommé Grisel ;
Et souvent aussi, fait avons
Hyaumes de nos chaperons ;
Et moult souvent, devant les filles,
Nos bations de nos kokilles.
Aussi en cest avenement
Juiens nous au roy qui ne ment,
Aux bares, et à l’agnelet,
À Ostés-moi de Colinet,
À Je me plaing qui me feri,
Et, dedens chambre, à l’esbahi,
Et aussi aux adeviniaus,
À l’avainne et aux reponniaus,
À l’erbelette, et aux risées,
À l’estoet et aux reculées,
Au mulet, au sallir plus hault,
Et à la charette-michaut ;
Puis à la coulée-belée
Qu’on fait d’une carolle lée,
Au chace-lievre, à la clingnette,

Aussi à la sotte buirette,
À la corne de buef au sel,
Et au jetter encontre un pel
Ou deniers de plonc ou pierettes.
Et se faisions fosselettes,
Là ou nous bourlions aux nois ;
Qui en falloit, c’estoit anois.
De la tourpie aux amantins
M’esbatoie soirs et matins ;
Et j’ai souvent, par un busiel,
Fait voler d’aigue un buillonciel,
Ou deux ou trois, ou cinc ou quatre.
Au véoir me pooie esbatre ;
À tels jus, et à plus assés,
Ai-je esté moult souvent lassés.
Quant un peu fui plus assagis
Estre me convint plus sougis
Car on me fist latin aprendre ;
Et se je varioie au rendre
Mes liçons, j’estoie batus.
Siques, quant je fui embatus
En cognissance et en cremeur,
Si se changierent moult mi meur.
Nom-pour-quant ensus de mon mestre
Je ne pooie à repos estre,
Car aux enfans me combatoie ;
J’ère batus et je batoie.
Lors estoie si desrées
Que souvent mes draps deschirés
Je m’en retournoie en maison ;

Là estoie mis à raison
Et batus souvent ; mès sans doubte
On y perdoit sa painne toutes,
Car pour ce jà mains n’en féisse.
Mès que mes compagnons véisse
Passer par devant moi la voie
Escusance tos je l’avoie
Pour aler ent esbatre o euls.
Trop enuis me trouvoie seuls ;
Et qui me vosist retenir
Se ne me pevist-on tenir ;
Car lors estoit tels mes voloirs
Que plaisance m’estoit pooirs.
Mès il m’est avenu souvent,
Ce vous ai-je bien en couvent,
Selonc ce qu’encor il me samble,
Que voloirs et pooirs ensemble,
Quoique di que tant me valoient,
À mon pourpos souvent falloient.
Mès je passoie à si grant joie
Celi temps, se Diex me resjoie !
Que tout me venoit à plaisir,
Et le parler, et le taisir,
Li alers, et li estre quois ;
J’avoie le temps à mon quois.
D’un chapelet de violettes,
Pour donner à ces basselettes,
Faisoie à ce dont plus grand compte
Que maintenant dou don d’un conte
Qui me vaudroit vint mars d’argent,

J’avoie le coer lie et gent,
Et mon esperit si legier
Que ne le poroie eslegier.
En ceste douce noureture
Me nouri amours et nature ;
Nature me donnoit croissance,
Et amours, par sa grant puissance,
Me faisoit à tous deduis tendre.
Jà, eusse le corps foible et tendre,
Se voloit mon coer partout estre ;
Et especialment cil estre
Où a foison de violiers,
De roses et de pyoniers.
Me plaisoïent plus en regart
Que nulle riens, se Diex me gart !
Et quant le temps venoit divers
Qui nous est appellés yvers,
Qu’il faisoit let et plouvieus,
Par quoi je ne fuisse anvieus,
À mon quois, pour esbas eslire,
Ne vesisse que romans lire.
Especialment les trettiers
D’amours lisoïe volontiers ;
Car je concevoie en lisant
Toute chose qui m’iert plaisant.
Et ce, en mon commencement,
Me donna grant avancement
De moi ens ès biens d’amours traire ;
Car plaisance avoie au retraire
Les fais d’amours, et à l’oïr.

Jà n’en puissè-je joïr ;
Mès plaisance née en jouvent
Encline à ce le coer souvent ;
Et li donne la vraie fourme
Sus laquelle son vivant fourme.
En tele fourme me fourma
Amours, et si bien m’enfourma
Qu’il m’est tourné à grant vaillance,
Sans vantise, de ma plaisance ;
Car j’ai par ce tel chose empris
Que ne poroie mettre en pris,
Car tant vault la valeur qu’ai prise,
Et le tienc de si noble emprise
Que ne le poroie esprisier,
Tant le scevisse hault prisier.
Droitement, ens ou temps de joie
Que tous coers par droit se resjoie
Qui espoire ou pense à joïr
Dou bien qui le fait resjoïr,
Car lors joliveté commence.
Dont, n’es-ce pas raisons qu’on mence
D’une merveille, s’elle avient.
Et pour ce que il me souvient
D’une aventure qui m’avint
Quant ma jonece son cours tint,
Onques puis dou coer ne m’issi ;
Pour ce compte en voeil faire yci.
Ce fu ou joli mois de may ;
Je n’oc doubtance ne esmai
Quant j’entrai en un gardinet.
Il estoit assès matinet,

Un peu après l’aube crevant.
Nulle riens ne n’aloit grevant,
Mès toute chose me plaisoit,
Pour le joli temps qu’il faisoit
Et estoit apparant dou faire.
Cil oizellon en leur afaire,
Chantoïent, si com par estri.
Se liet estoient, n’en estri,
Car oncques mès si matin née
Ne vi si belle matinnée.
Encor estoit tous estelés
Le firmament qui tant estlés ;
Mès Lucifer qui la nuit chace
Avait jà entrepris sa chace
Pour la nuit devant soi chacier ;
Car Aurora ne l’a pas chier,
Ançois le tint en grand debat.
Et encores, pour son esbat,
Chacier faisoit par Zepherus
Les tenebres de Hesperus.
Et ensi, me voeille aidier Diex !
Se si bel temps vi onques d’ieuls ;
Et se, puis-ce-di ne avant,
Me vint tel pensée au devant
Que là, me vint, ne sçai comment.
Je me tendie en un moment,
Et pensoie au chant des oiseauls,
En regardant les arbriseaus
Dont il y avoit grant foison,
Et estoïe sous un buisson

Que nous appelions aube-espine,
Qui devant et puis l’aube espine ;
Mès la flour est de tel noblece
Que la pointure petit blece ;
Nom-pour-quant un peu me poindi,
Mès m’aventure à bon point di.
Tout ensi que là me séoie
Et que le firmament véoie
Qui estoit plus clair et plus pur
Que ne soit argent ne azur
En un penser je me ravi,
Ne sçai comment ; mès droit là vis
Trois dames et un jouvencel.
On ne l’appelloit pas Ansel,
Ains Mercurius avoit nom.
Moult est homme de garant renom ;
Il se scet bien de tout mesler ;
Les enfans aprent à aler,
Et lor donne l’abilité
De parler par soutieveté.
Jupiter si est son droit père,
Et dame Juno est sa mère.
Forment m’en plot la contenance
Et encores plus l’acointance.
Je ne sçai où il m’ot véu,
Mès il m’a trop bien cognéu,
Et par mon droit nom me nomma,
Ne onques ne me sournomma ;
Et me salua tout d’otel
Qu’on fait prodomme en son hostel.

Je fui lies de son salut prendre,
Et tous près aussi de lui rendre,
Et puis li dis : « Chiers sires douls,
» Ne vous cognois ; qui estes vous ?
» Et ensi vous me cognissiés
» Que dont que nouri m’euissiés. »
Lors me dist : « Bien te doi cognestre,
» Car puis quatre ans après ton nestre
» En gouvernance t’ai éu,
» Et si ne m’as pas cognéu.
» Si sui-je assès bien renommés,
» Car Mercurius sui nommés ;
» Et ces Dames que tu vois là
» Sont Juno, Venus et Pala ;
» D’armes, d’amours et de richesces
» Sont les souverainnes Déesses ;
» Mès ores sont un peu en tensce ;
» Car Paris rendi jà sentensce
» Que la pomme d’or devoit estre
» À Venus, que tu vois sus destre.
» À deus dames pas ne souffist
» Le jugement que Paris fist ;
» Mès dient que par ignorance
» Et par petite cognissance
» Acorda la pomme à Venus.
» Juno en parle plus que nuls ;
» Car, se à li l’euist donnée,
» Elle avoit jà tout ordonné
» Qu’il euist éu par puissance
» Des Grigois très belle vengeance.

» Si fu Paris nices et lours
» Quant il donna la pomme aillours,
» Et pour un peu de vanité
» Perdi proece et dignité.
» Mieuls li vausist éu avoir
» Possessions et grant avoir
» Que l’amour de la belle Helainne ;
» Ce ne prise-je une lainne.
» Son père, si frère et sa mère
» En furent mort de mort amère,
» Et bien vint mille chevalier
» En fist-on en armes taillier ;
» Et aussi tamaint millier d’omm ;
» Ce fut une trop male pomme,
» Et pour Troyens chier vendue ;
» Et amours povrement rendue
» Que Venus li guerre donna ;
» Car par ce la guerre donna
» Et une povre confiture
» Par mortele desconfiture
» Aux Troyens, qui li plus monde
» E li plus preuvèrent dou monde.
» Et tu, qu’en dis ? or respons ent. »
« — Ha ! chiers sires, di-je, comment
» Vous sauroi-je de ce respondre,
» Ne bien la vérité expondre,
» Car je sui de sens ignorans
» Et de peu d’avoir seignourans. »
Et Mercures lors me regarde
Et me dist : « Prens tu dont là garde ;

» Tant en poes tu mieuls dire voir,
» Car en éage et en avoir
» Sont malisce, hayne, envie.
» Et pour ce que de jone vie
» Te voi, selonc ce qu’il t’est vis,
» Je ten pri, di m’ent ton avis ;
» Et se Paris, qui on fist juge
» De la pomme, rendi bon juge.
« Volontiers, puis qu’il vous plaist dire
» Que j’en responde voir, chier sire.
» Quant les dames Paris trouvèrent
» Et son jugement li rouvèrent,
» Jà savoit Paris de certain
» Qu’à grant avoir ne faudroit grain,
» Car fils de royne et de roy
» Ne poet faillir à noble arroi ;
» Et s’il ne donna à Juno
» La pomme, de mains ne l’en lo ;
» Aussi n’i aconta pas là,
» Ne à la déesse Palla,
» Car jones et fors se sentoit,
» Et hardemens en li sentoit.
» Tout ce ne li pooit tollir
» Pallas, ne son corps afoiblir ;
» Car ce que Diex donne et nature
» Ne poet tollir nulle avanture.
« Elle l’evist bien fait plus préus,
» Et aux armes plus ewireus
» Qu’il ne fu. » — « Nom-pour-quant, par m’ame !
» Aux armes ne prist onques blasme.

» Si que je senc que, quant Paris
» Donna la pomme, à tous perils,
» Aux grans avoirs, ne aux fortunes
» N’aconta deus petites prunes.
» Vis li fu il avoit assés
» Avoirs et trozors amassés
» Et si estoit en son venir ;
» Si ot un joious souvenir,
» Tels que jones homs doit avoir,
» Liquels tient terre et grand avoir.
» Dont, la pomme bien ordonna
» Quant la Déesse le donna ;
» Car il s’enamoura d’Elainne
» Dont fist sa dame souverainne.
» Dont, son jugement à bon tienc,
» Et le tenrai, et le maintienc
» Où que je soie ne quel part. »
Mercures lors de moi se part
Et me dist : « Ce moult bien savoie
» Tout li amant vont celle voie. »
Atant Mercures me laissa ;
Dont noient ne m’esléeça,
Car volontiers euisse esté
Avec lui encor un esté,
S’estre pevist ; car mes pourfis
Y fust grans, je m’en tienc pour fis.
Et à ce qu’il s’esvanui.
Juno sa mère le sievi,
Et Pallas, je ne les vi plus ;
Mes dalès moi remest Venus,

D’amours la dame et la Déesse ;
Vers moi vint et dist : « Beaus fiulz, es-se
» Belle chose de bien ouvrer.
» Tu le poras yci prouver,
» Car pour ce que bon t’ai vu,
» Et que tu as si bien scéu
» À Mercurius bel respondre,
» Et sa parole au voir expondre,
» Tu en auras grant guerredon,
» Car je te donne yci un don.
» Vis tant que poes d’or en avant,
» Mès tu auras tout ton vivant
» Coer gai, joli et amoureus ;
» Tenir t’en dois pour ewoureus ;
» De ce te fai-je tout séur ;
» Tu dois bien amer tel éur.
» Pluisour l’auroïent volentiers ;
» Mès je n’en donne pas le tiers,
» Non pas le quart, non pas le quint,
» Jà aient cil corps friche et coint.
» Més quant tu m’as véu en face,
» C’est drois que grant grasce te face ;
» Et il te vault trop mieuls avoir
» Plaisance en coer que grant avoir.
» Avoir se pert, et joïe dure.
» Regarde se je te sui dure.
» Et encores, pour mieulz parfaire
» Ton don, ta grasce et ton afaire,
» Uvne vertu en ton coer ente :
» Que dame belle, jone et gente

» Obéiras et cremiras ;
» De tout ton coer tu ameras,
» Car amour ne vault nulle rien
» Sans cremour, je le te di bien ;
» Et tant t’en plaira l’ordenance
» Et la douce perseverance
» Que de foy, de coer et de sens
» Diras à par toi en ce temps,
» Plus de mille fois la sepmainne,
» Qu’onques tele ne fu Helainne
» Pour qui Paris ot tant de mauls.
» Or, regarde se plenté vauls
» Quand je te donne don si noble.
» Il n’a jusque Constantinoble
» Emperéour, roy, duc ne conte,
» Tant en doie-on faire de conte,
» Qui ne s’en tenist à payés.
» Mès je voeil que tout ce ayés,
» Et que perseverés avant.
» En tout ce que j’ai dit devant. »
Et je, qui fui en coer souspris
Et esbahis, à parler pris,
Moult simplement et tous donbtieus
Contre terre clinans mes yeuls ;
Ce fu raisons, car jones d’ans,
Estoie encor et ignorans,
Et si n’avoïe pas apris
À oyr chose de tel pris,
Ne à recevoir tel present
Dont Vénus me faisoit présent

Lors levai un petit la face
Et di : « Ma dame, à Dieu or place
» Que servise vous puisse faire
» Qui me vaille et me puist par faire,
» Car j’en auroïe grant mestier
» Pour ma jonece en bien haucier.
» Mès dittes moi, ains qu’en alliés,
» Puis que tel grasce me bailliés,
» Quel tompore m’arés en garde. »
Et Venus adont me regarde
Et me dit : « Dix ans tous entiers
» Seras mon droit servant rentiers ;
» Et en après, sans penser visce,
» Tout ton vivant en mon servisce. »
— « Dame, di-je, or me laist Diex faire
» En coer, en foy et en afaire,
» Chose qui vous soit agréable
» Et à mon jouvent bien véable ;
» Car je ne quier, ne voeil aler
» Contre vous ne vostre parler.
» Tant en vault la doulce ordenance
» Que grant joie en mon coer avance. »
Là ne repondi point Venus.
De moi parti ; ne le vi plus.
Sous l’aube espine remès seuls,
Pensans en coer et moult viseus
Qu’il me pooit estre avenu.
Mès il m’a trop bien souvenu
De la très grant beauté de lui,
Dont tout le corps m’en abelli ;

Et pensai à ce longement
Qu’il m’ert advenu, et comment
Venus m’ot dit, à sa plaisance,
Mon bien, mon preu et ma vaillance.
S’est raisons que je le retiegne,
Et que dou tout à li me tiegne.
Ossi fai, ne aultre ne voeil.
Dou tout je m’ordonne à son voeil,
Car elle m’a amonnesté
Franchise, sens et honnesté.
De moi le lairai convenir,
Car tous biens m’en poet avenir.
Ensi disoie en mon pourpos,
Et tous seulès, là ce pourpos :
« Par ma foi bien me doi amer,
» Quant Venus me dagne entamer
» Le coer de sa très grant valour.
» Diex ! comme est fresce sa couleur ;
» Maintien joli, corps friche et gent !
» Pas ne le monstre à toute gent ;
» Mès monstré le m’a-elle au mains.
» Et en ses douls parlers humains
» Mest son confort, ossi garis
» Com je fuisse li beaus Paris,
» Né de Troies la grant cité,
» Si com je vous ai recité
» Que d’Élainne elle enamoura.
» En tous ses fais grant amour a ;
» Sï les vodrai sievir et croire,
» Car sa paroile est toute voire,

» Et mieulz ne me puis avancier
» Mon nom, ne mon fait exaucier
» Que par estre vrais amourous
» Et à lui servir curious. »
Ensi à par moi devisoie
Et à Venus forment visoie,
Et concevoïe sa beauté ;
Sa parolle et sa loyauté ;
Mès de ce qu’elle esvanuie
Estoit de moi, forment m’anuie.
Trop ert de moi briefment partie.
Et se ne sçai en quel partie
Elle ert retrette ne tournée.
J’ai depuis tamainte journée
Alé aux champs mon corps esbatre,
Mès onques ne me poc embatre
À tele heure com lors je fis.
Dont puis, tenus m’en sui mains fis ;
Et ai dit depuis, pluisours fois,
En champs, en gardins et en bois,
Pour ce que point ne li véoie,
Vraiement que songié avoie.
Songes n’est fors que vinne chose ;
Fols est qui vérité y pose.
Mès quant j’avoïe tout visé,
Et ce pour songe devisé,
Et je pensoïe au temps présent
Dont Venus me faisoit présent,
Je disoïe, par salut François !
Que m’aventure estoit ançois

Averie à voir qu’à mençonge,
Et que pas n’en fesisse songe,
Mès une vérité très ferme ;
Raison pourquoi, dedens brief terme
Après cette mienne aventure,
Si com jones homs s’aventure
Et en pluisours lieus il s’embat
Par compagnie ou par esbat,
Je m’embati en une place.
Au Dieu d’amours mon trettié place
Car ma matère yci s’esprime.
Droitement sus l’eure de prime,
S’esbatoit une damoiselle
Au lire un rommant ; moi vers elle
M’en vinc, et li dis doucement
Par son nom : « Ce rommant, comment
» L’appellés-vous, ma belle et douce ? »
Elle cloï atant la bouche ;
Sa main dessus le livre adoise.
Lors respondi, comme courtoise,
Et me dist : « De Cléomadés
» Est appellés ; il fu bien fés
» Et dittés amoureusement.
» Vous l’orés ; si dires comment
» Vous plaira dessus vostre avis. »
Je regardai lors son doulc vis,
Sa couleur fresce et ses vers yeulx.
On n’oseroit souhedier mieuls,
Car chevelès avoit plus blons
Q’uns lins ne soit, tout à point lons ;

Et portoit si très belles mains
Que bien s’en passeroit dou mains
La plus friche dame dou monde.
Vrès Diex com lors ert belle et monde,
De gai maintien et de gent corps !
« Belle, dis-je, adont je m’acors
» À ce que je vous oë lire.
» N’est sons d’instrument ne de lire
» Où je prende si grant esbat. »
Et la demoiselle s’embat
En un lieu qui adonnoit rire.
Or ne vous saroi-je pas dire
Le doulc mouvement de sa bouche ;
Il samble qu’elle n’i atouche
Tant rit souef et doucement ;
Et non mies trop longement,
Mès à point, comme la mieulz née
Dou monde et tout la plus sencée,
Et bien garnie de doctrine,
Car elle estoit à point estrine
En regart, en parolle, en fait.
Li sens de li grant bien me fait.
Et quant elle ot lit une espasse ;
Elle me requist, par sa grasce,
Que je vosisse un petit lire.
Ne l’euisse osé contredire,
Ne ne vosisse nullement.
Adont lisi tant seulement
Des foeilles, ne sçai, deus ou trois.
Elle l’entendoit bien en trois

Que je lisoie, Diex li mire !
Adont laissames nous le lire
Et entrames en aultres gengles ;
Mès ce furent parolles sengles,
Ensi que jones gens s’esbatent
Et qu’en vuseuses il s’embatent,
Pour euls deduire et solacier,
Et pour le temps aval glacier.
Mès je sçai moult bien qu’à celle heure
Le Dieu d’Amours me couru seure,
Et me trest de la droitte fleche
Dont les plus amoureus il bleche ;
Et si conçus la maladie
Par un regard, se Diex m’aye !
Que la belle et bonne me fist.
Cupido adont se fourfist,
À ce que j’ai de sentement ;
Car pas ne test parollement
À ma dame si comme à moi.
Je l’escuse, et escuser doi,
Ensi c’on doit son seignour faire ;
Car sires ne se poet mesfaire
Aucunement vers son servant.
Espoir avoit-il jà devant
Trait sa fleche douce et joieuse
Sus ma dame, et fait amoureuse
D’autrui que de moi. Au voir dire,
Ne a mettre ne escondire
Ne l’en vodroïe nullement ;
Mès bien sçai que pareillement

Ne fu com moi la belle trette
Pour quelle amour ce dittié trette ;
Je m’en sçai bien à quoi tenir.
Or voeil au pourpos revenir
Dont je parloïe maintenant.
Il est vrai que tout en riant,
Quant ce vint là au congié prendre,
La belle, où riens n’a que reprendre,
Me dist moult amoureusement :
« Revenés-nous, car vraiement
» À vostre lire prenc plaisir ;
» Je nen vodroïe defallir. »
— « Belle, dis-je, pour nulle rien. »
Hé mi ! que ce me fist de bien !
Car, quand venus fui à l’ostel,
Je me mis en un penser tel
Qui onques puis ne me falli.
J’oc bien cause qui m’assalli ;
La beauté de la belle et bonne
Di-je. J’ai esté à Nerbonne,
Chercié la France et Avignon,
Mès je ne donroie un ongnon
De tous les voiages qu’ai fais
Vers cesti. Or sui-je parfais,
Ne onques nuls homs ne fu si.
Poroit-il jamès estre ensi
Que elle me dagnast amer ?
Ne l’en oseroïe parler ;
Car si je l’en parloïe, voir
Tel chose se poroit mouvoir

Que ses escondis averoie
Par quoi mon esbat perderoie,
Et plus n’iroie en sa maison.
Dont bien y a cause et raison
Que j’en vive et soie en cremour.
Mès tant sont sage et bon si mour
Que moult les doi recommender.
En ses fais n’a riens qu’amender.
Destourbier ne dure esperance
Pour moi n’i voi, fors grant plaisance.
Elle se jue à moi et rit.
Jà m’a-elle pryé et dit
Que je me voise esbatre o soi.
En tout ce grant bien je perçoi,
Et s’il y avoit nul contraire,
Que ses yeux me vosist retraire
Et que de moi ne fesist compte,
Si sçai-je bien, quant mon temps compte,
Que se pour s’amour je moroie
Millour fin avoir ne poroie.
En ce penser que je pourpos
Mis lors mon coer et mon pourpos,
Et mi embati si au vif
Qu’encor en cel esbat je vif
Et y morrai, et rendrai ame.
Escrisiés-le ensi sur ma lame.
Pas ne mis, saciés, en oubli
La parolle que j’oc de li
Mès songneusement y alai.
Hé mi ! depuis comparé l’ai.

Nom-pour-quant j’ai tout en gré pris
Tout quan qu’Amours m’en a apris.
Quant premierement vinc vers elle,
Ne losoïe que nommer belle,
Par Dieu ! pas ne le sournommoie,
Mès par son droit nom le nommoie ;
Car plus belle ne vi ains, Diex.
Si ai-je esté en pluiseurs lieus.
Une fois dalés li estoie ;
À je ne sçai quoi m’esbatoie ;
Et elle, par sa courtoisie,
Me dist : « Jones homs, je vous prie
» Qu’un rommanc me prestés pour lire.
» Bien véés, ne vous le fault dire,
» Que je m’i esbas volontiers,
» Car lires est un douls mestiers,
» Quiconques le fait par plaisance.
» Ne sçai aujourd’hui ordenance
» Où j’aïe mieuls entente et coer. »
Je ne li euisse à nul foer
Dit dou non, ce devès bien croire.
Mès li dis, par parolle voire :
« Certes, belle, je le ferai
» Et d’un livre vous pourverai
» Où vous prenderés grans solas. »
Tout en riant me dist : « Hélas !
» Je le vodroïe jà tenir. »
Congié pris sans plus d’abstenir,
Et m’en retournai en maison.
Cupido, qui de son tison

Tout en arse m’avoit féru,
M’a presentement secouru ;
Ce fu d’une pensée douce.
Errant me chéi en la bouche,
Et en la souvenance aussi.
Dont, pour lors, trop bien me chéi
Que dou Baillieu d’amours avoie
Le livre. Tantos li envoie
Au plus bellement que je poc.
Or vous dirai quel pourpos oc.
Avant ce que li envoiai
En un penser je m’avoiai,
Et dis à par moi : « Tu vois bien
» Que celle qui tant a de bien
» N’ose requerir de s’amour,
» Et vifs de ce en grant cremour ;
» Car tant doubte son escondire,
» Que pour ce ne li ose dire.
» Dont ferai-je une chose gente :
» Que j’escrirai toute m’entente
» En une lettre, et le lairai
» Ou livre ou quel je l’enclorai
» Elle le trouvera sans doubte. »
À ce pourpos mis errant doubte
Et dis : « Il poroit moult bien estre
» Qu’en aultres mains venroit la lettre ;
» Et je ne vodroie, à nul foer,
» Qu’en adevinast sus mon coer.
» Espoir tels ou tele l’aroit
» Qui trop fort grever m’i poroit.

» Si vault mieuls que je me déporte
» Qu’on m’i vée voïe ne porte.
» Mès ce moult bien faire porai,
» Dont encor nouvelles orai
» Sans peril, et sans prejudisce.
» N’est nuls ne nulle qui mal disce
» D’une chançon, se on le troeve
» En un romant qu’on clot et oevre
» Met-y donc une chançonnette ;
» S’en voudra mieuls ta besongnette
» Car aultre chose ne requiert
» À présent le cas, ne ne quiert.
» Il te convient dissimuler
» Soit en venir, soit en aler,
» Soit ou en parler ou en taire ;
» D’aultre chose n’as-tu que faire. »
Ensi en moi me debatoie,
Mès noient ne m’i esbatoie,
Car amours et cremour ensamble
Me faisoïent tamaint example
Pour moi mieulz en avis fourmer
Et pour mon corage enfourmer.
Toutes-fois à ce m’assenti ;
Et bonne amour le consenti,
Que une balade nouvelle,
Que j’avoie plaisans et belle
Fette de nouvel sentement,
Escrisi tout presentement.
Au plaisir d’amour qui me mainne
Fait l’avoie en celle sepmainne.

Or lisiés et vous verrez u,
Et comment elle fette fu.

Balade.

À très plaisans et jolie
Lié mon coer et renc pris.
Pris m’en croist sans villonnie.
Onnie est en bien de pris ;
Pris me renc en la prison
La belle que tant prison.
À ceste merancolie
Colie mon coer tout dis.
Dis en fai, car je mendie ;
Die qui voet c’est pour fis ;
Fis sui qu’aim sans mesprison
La belle que tant prison.
Dame l’appelle et amie.
Mie ne le fai enuis.
Vis m’est que l’aim sans envie ;
Vie m en croist et avis ;
Vis me renc pour le prison
La belle que tant prison.

En une cedule petite
Fu la balade bien escripte,
Et puis en ou rommanc le mis,
Et à celle je le tramis
Qui moult liement le reçut,
Et qui tout, ou de près, le lut.
Quant elle le me renvoia

Grandement m’en remercia.
Je reçus son bon gré tous liés ;
Et si fui moult tost consilliés
De regarder se ou rommanc
Est la balade que demanc.
Mès tout ensi, ne plus ne mains,
Que je li oc mis à mes mains
Le trouvai, sans avoir eschange.
« Ha ! di-je, veci chose estrange !
» La balade a laissié la belle
» Ou lieu où le mis au mains ; s’elle
» L’euist un petit regardée
» Moult fust bien la besongne alée.
» Se tenu l’euist, ne poet estre
» Que retourné n’euist la lettre.
» Or il me convient ce souffrir,
» Et mon coer à martire offrir,
» Tant est belle plaisans et douce
» De corps, de mains, d’yeuls et de bouche,
» Que mieuls m’en vault la pénitence
» Que de nulle aultre l’acointance. »
D’amours ce premerain assai
En très grant pensement passai.
Mès jonece voir me portoit,
Et amours aussi m’enortoit
Que je perseverasse avant.
Souvent me mettoie au devant
De elle ; car quant le véoie
Tout le jour plus lies m’en trouvoie.
Or avint q’un après-disner

En un gardin alai juer
Où ot esbatemens pluisours
De roses, de lys et de flours,
Et d’aultres esbas mainte chose ;
Et là une vermeille rose
Coeillai sus un moult vert rosier ;
Et puis m’en vinc, sans point noisier,
Tout liement devant l’ostel
De ma dame. J’oc l’éur tel,
Que d’aventure l’i trouvai.
À li vinc, et se l’i rouvai
Que par amours le vosist prendre.
Elle respondi, sans attendre,
Sus le point dou non recevoir,
Et me dist, par moult grand sçavoir
Et par parlers douls et humains :
« Laissiè-le, elle est en bonnes mains »
Et je li dis : « Prendés-le, dame,
» Car en millours ira, par m’ame ; »
Et elle doucement le prist,
Et en parlant un peu sousrist.
Ce me fist grant joie et grant bien
Quant je vi le bon plaisir sien.
Congié pris et de là parti ;
Mès au départ moult me parti
Grandement de son doulc espart.
Je m’en retournai celle part
Où la rose coeillie avoie,
Car plus bel lieu je ne savoie
D’esbatemens ne de gardins.

Là estoie soirs et matins,
Et moult souvent trestout le jour ;
Tant mi plaisoient li sejour
Que je ne vosisse aillours estre.
Et quant revenus fui en l’estre,
Par dessous le rosier m’assis
Où de roses ot plus de sis ;
Et droit là fis un virelay.
Tout otel que droit ci mils l’ay.

Virelay.

Coer qui reçoit en bon gré
Ce que le temps li envoie
En bien, en plaisance, en joie,
Son éage use en santé ;
Partout dire l’oseroie.
Comment qu’en la douce vie
D’amours les pluisours bien sont
Navré d’une maladie
Et ne scevent pas qu’il ont,
Mès leur coers de ce secré
Cognoist bien la droite voie.
He mi ! vrais Diex ! se j’avoie
Un seul petit de clarté
Trop plus liement diroie :
Coers qui reçoit en bon gré etc.
Plus plaisant ne plus jolie
N’a je croi en tout le mond
Que ma dame, qui me lie
Le coer ; mès en larmes font ;

Car, quant j’ai à tout pensé,
Ne sçai se li oseroie
Dire que ma vie est soie ;
Et s’elle n’en a pité
N’est drois que plus dire doie :
Coers qui reçoit en bon gré etc.

Le virelay fis en otant
D’espasse qu’on liroit notant,
Et puis si me parti d’illuec.
À mon département, avec
Moi estoïent en contenance
Douls pensers, espoirs et plaisance ;
Et grant compagnie me tindrent ;
Noef ou dis jours avec moi vindrent.
Et si m’avint un peu après
Qu’en un hostel, joindant moult près
De cesti où demoroit celle
Qui tant estoit plaisans et belle,
Nous cinc ou nous sis d’un éage
Y venimes de lie corage
Et mengames dou fruit nouvel
En solas et en grand revel
Là estoit ma dame avec nous
Dont le contenemens fu douls,
Mès ne li osai samblant faire
Dont on pevist penser estraire.
De la partesimes ensi.
Moi, toujours attendans merci,
Changeoie souvent maint pourpos

Et disoie : « Se tu n’es os
» De li remontrer ton corage,
» Je ne te tenrai pas à sage.
» Ce n’est pas vie d’ensi vivre.
» En ceste amour ton coer s’enivre,
» Et puis aultre chose n’en as
» Fors les regars et les esbas.
» Vrés Diex ! disoi-je, c’est assés.
» Se cils bons temps m’estoit passés
» Je ne sauroie où refuir.
» J’aim mieuls joiousement languir
» Que de faire chose, ne dire,
» Dont je soie occis à martire. »
Ensi passoïe la saison,
Tout par amours et par raison.
Raisons voloit que je souffrisse,
Et amours que mon coer offrisse,
Et que remonstrasse à la belle
Comment je vivoïe pour elle,
Et tout ce que je faisoie
Ce n’estoit que pour l’amour soie :
« C’est bon, di-je, que je li die,
» Et bellement merci li prie. »
Di-je : « Volontiers li dirai
» Si tretos que le lieu aurai. »
Sur ce ordonnai mon penser.
Une fois presins à danser ;
Là estions plus de nous doi ;
Je le tenoïe par le doi,
Car elle me menoit devant.

Mès tout bellement en sievant,
Entrues que le doi li tenoie,
Tout quoïement li estraindoie ;
Et ce si grant bien me faisoit,
Et telement il me plaisoit
Que je ne le sauroie exponde.
S’elle chantoit, de li responde
Moult tost estoie appareilliés.
Hé mi ! com lors estoie liés !
Puis nous asséins sus un sige.
Et là tout bellement li di-je,
Ensi que par parolle emblant :
« Certes, belle, vo doulc semblant,
» Vo gent maintien, vo corps legai
» Me font avoir le bien que j’ai.
» Je ne le vous puis plus celer.
» Se temps avoïe dou parler,
» Et que ci fuissiemes nous doi,
» Je le vous diroie par foi. »
Et elle un petit me regarde,
Ensi qu’on ne s’en presist garde,
Et me dist seulement : « Feriés ?
» Es-se à bon sens que me voudriés
» Amer ? » Et à ces cops se lieve
Et dist : « Dansons ; pas ne me grieve
» Li esbatemens de la danse. »
Lors entrames en l’ordenansce
De danser une longe espasse.
Il n’est esbanois qui ne passe.
De cesti là nous partesins

Et de son bel ostel issins ;
Mès au partement congié pris
À la belle et bonne de pris
Qui le me donna liement.
Ne le sceuist faire aultrement,
Car elle a si très lie chière
Qu’on l’en doit bien tenir pour chière.
Tout ensi passoïe le temps.
Une heure je venoie à temps
De li véoir, et l’autre non.
La belle et bonne de renom
M’avoit le coer saisi si fort
Que point n’avoïe de confort
Le jour, se véu ne l’avoie.
Et quant à la fois je savoie
Qu’en aucun lieu aloit esbatre,
Pas n’i fausisse de l’embatre,
Mès que sa paix véoir y peusse.
Jà aultrement ale n’i eusse.
Or entrai en merancolie,
De ce qu’elle estoit ossi lie
Aux aultres gens qu’elle ert à moi ;
Et je, qui de fin coer l’amoi,
En disoie souvent : « Hé mi !
» Celle a fait un nouvel ami.
» Elle jue et rit à cascun ;
» Si regard sont trop de commun. »
Ensi disoïe moult pensieus,
Et souvent d’uns moult piteus yeus
Le regardoïe. En ce regard

Looie moult, se Diex me gard !
Sa bonté, sa beauté, ses fais,
Et disoïe : « S’un pesant fais
» M’a Amours envoyé pour elle
» Ne m’en chaut ; pour tele pucelle
» Deveroit-on mort recevoir ;
» Mès qu’elle scevist bien de voir
» Que mors je fuisse en son servisse
» Ne le tenroïe pas pour visce. »
Qui est en pensée nouvelle.
Peu de chose le renouvelle.
Souvent pensoïe sus et jus ;
Et à la fois à aucuns jus
Aux quels s’esbatent jone gent.
Juoie de coer lie et gent,
Mès que ma dame y fust pour voir,
Ou qu’elle m’i pevist véoir ;
Et pour très petite ocquoison
Passoïe devant sa maison,
Et jettoïe mes yex vers elle ;
Et quant il plaisoit à la belle
Que de li un regart euisse,
Tout erramment en coer sceuisse
S’il estoit amoureus ou non.
Tels demande souvent grant don
Auquel pas on ne li otrie
Sitos qu’il vodra quand il prie ;
Je m’en sçai bien à quoi tenir.
Il m’a convenu soustenir
Moult de grief, dont petit don ai.

En ce temps que mon coer donnai,
Sans departir, tout à ma dame,
Par amours qui les coer entame,
Une heure si très lies estoie
Qu’à toute chose m’esbatoie,
Et une aultre si très pensieus
Qu’en terre clinoie mes yeuls,
Et ne faisoïe de riens compte
S’il ne me portoit blasme ou honte.
Je m’avisai à très grant painne
Que ma dame très souverainne
Ses venirs et alers avoit
À une femme, qui savoit
De ses secrés une partie ;
Je me très vers celle partie.
Car aillours ne m’osaisse traire
Pour ma nécessité retraire.
Ensi di, quant je fui venus :
« Damoiselle, nulle ne nuls,
» Fors vous, ne me poet conseillier,
» Se vous y voliés travillier.
» Et ve-me-ci, vo valeston,
» Pour entrer en un baneston
» Se le me commandiés en l’eure. »
Et celle qui me volt sequeure
Me respondi tout erramment :
« Or me dittes hardiement
» Tout ce que il vous plaist à dire ;
» Et, foi que doi à nostre sire,
» Là metterai, à mon pooir,

» Conseil et confort, tout pour voir. »
— « Ahi ! di-je, vostre merci !
» En vérité dont tout muir ci
» Pour celle. Nommer li alai ;
» Voirs est qu’un petit l’en parlai
» L’autre fois. Mès depuis sans doubte,
» Si com elle euist de moi doubte,
» Elle ne se met plus en voie
» De parler à moi, ains m’envoie
» De regars amoureus trop mains
» Qu’elle ne soloit faire. Au mains,
» Ensi que dire li porés,
» Et sus ce sa response orés,
» Que point dure chière ne face ;
» Car je, qui prie à avoir grasce
» Et merci, quant il li plaira,
» En tel dangier mon coer mis a
» Que sus le point dou desconfire,
» Ensi que vous li porés dire. »
Ceste qui ot pité de moi
Me respondi : « En bonne foi,
» Je vous dirai que vous ferés.
» En une chançon escrirés
» Une grant part de vostre entente,
» Et je vous di que, sans attente,
» Del envoyer ne vous conviegne.
» Ensi c’on ne scet dont ce viegne
» Elle l’ara et le lira,
» Et aucune chose en dira ;
» Puis li dirai que fait l’avés

» Pour s’amour, au mieulz que savés. »
Di-je bien : « Oil, damoiselle ;
» N’ai oy parolle si belle ;
» Et je le ferai tout errant. »
Adont, de coer lie et joiant
Une balade maçonnai
Où nulle rien ne mençongnai.

Balade.

Très plaisans et très honnourée,
En qui tout grant bien sont compris,
Mon coer, m’amour et ma pensée
Avés par vos douls regars pris ;
Or vous suppli, dame de pris,
Que vous me voeilliés faire otri
Dou gracieus don de merci.
Je n’ai toute jour ajournée,
Ne toute nuit, nul aultre avis
Que de moi loyalment amée
Soyés ; ensi serés tout dis.
Et s’envers vous sui trop petis,
Pour Dieu que ne m’ayés bani
Dou gracieus don de merci.
Loyautés doit estre comptée
En fais, en oevres et en dis.
Or vous plaise d’estre enfourmée
De moi, car vos servans m’escris ;
Et se j’ai en ce riens mespris
Pardonnés le moi, car je pri
Dou gracieus don de merci.

La damoiselle alai baillier
La balade escripte en papier ;
Et ceste, qui Jhesus honneure,
Le garda bien, tant que vint l’eure
Que ma dame et elle à seulet
Estoïent, ensi qu’on se met.
Adont la damoiselle sage
Qui d’amours savoit bien l’usage,
Car batue en avoit esté
Plus d’un yver et d’un esté,
Li dist par trop belle raison :
« J’ai ci escript une chançon ;
» Par amours voelliés le moi lire. »
Et ma dame prist lors à rire
Qui tost pensa dont ce venoit
Et dist : « Ça ! » Quant elle le voit
Souef en basset le lisi ;
De sa bouche riens el n’issi ;
Fors tant, par manière de glose :
« Ce qu’il demande, c’est grant chose ! »
Onques riens el n’en pot avoir.
Ce me compta-elle, pour voir.
Or fui-je forment courouciés.
Deus jours ou trois, tous embronciés
Et le chaperon sur les yex
Me tenoie, trop fort pensieus,
Et à la fois me repentoie
Pour tant que grant dolour sentoie
Quand je l’avoïe véu onques ;
C’est ma destruction. Adonques

Reprendoïe tost ce parler,
Ne le laissoïe avant aler
Et disoïe : « Par Saint Denis !
» Se pour l’amour de li finis,
» Le corps en terre et à Dieu l’ame
» Je ne puis avoir millour lame.
» Aussi fist jadis Léander
» Pour Héro, fille à Jupiter,
» Et Acilles, qui preus regna,
» Pour la belle Polixena,
» Et Actéon li damoiseaus.
» Si je suis comptés avec ceauls
» Qui sont pour loyalment amer,
» Mort ou péri dedans la mer,
» Je le tendrai à grand victore
» Et le me compterai à glore. »
En cel estat que je vous di,
Si com j’ai sentu puisse-di,
Estoïe lors appareillies
D’estre une heure ireus, l’autre lies.
Mès quant Amours venoit en place
Et le souvenir de la face
Ma dame, simple et gracieuse,
Et sa contenance amoureuse
Toute dolour mettoïe arrière,
J’en avoïe bonne manière.
Avec les amoureuses gens
Estoïe hetiés, lies, et gens,
Et devisoïe à faire festes
Et tous esbatemens honnestes,

Chanter, danser, caroler, rire,
Bons mos oyr, parler et dire.
Et quant je pooie véoir
Ma dame, ce fust main ou soir,
À par moi disoïe : « Ve-la
» Celle qui si bel m’aparla
» Quant je parlai à li premiers.
» Son corps n’est mie coustumiers
» Fors que d’onnour et de bien faire.
» Cascuns prise son bel afaire
» Son maintien, son estre et son sens ;
» Pour ce, dou tout à li m’assens. »
Par heures je me confortoie.
À par moi, et me deportoie ;
Et à la fois venoit une heure
Que me venoïent courir seure
Les mauls d’amours en abandon.
J’en avoïe si grant randon
Que j’estoïe plus dolereus
Que ne soit uns cops colereus.
Mès trop grant confort me portoit
La damoiselle, qui estoit
Assés secrée de ma dame.
Onques mès ne vi millour fame.
À l’ame li voeille Diex rendre !
Pluiseurs fois m’a fait elle entendre
Grans confors, dont il n’estoit riens.
Je prise moult bien tels moyens
De sçavoir de nécessité
Ouvrer et faire auctorité,

Quoi qu’on y voïe le contraire.
Mès amours ont moult bien à faire
Qu’on soit à la fois resjoy,
Et, soit gengle ou voir, conjoy ;
Aultrement les coers amourous
Seroïent trop fort dolerous.
Et j’estoïe lors en tel point
Que sus l’estat et sus le point,
Auques près sus le marvoyer.
Et pour moi en bien ravoyer
Et pour estaindre l’estincelle,
Je venoie à la damoiselle,
Qui auques mes secrés savoit
Et qui de moi pité avoit.
Pour ce que tant de mauls portoie,
En li comptant me deportoie,
Et alegoie la dolour
Qui m’apallissoit la coulour.
Or avint qu’une fois li dis :
« Damoiselle, peu me tienc fis
» De l’amour celle que tant aime,
» Que ma très souverainne claimme,
» Car je n’en puis avoir raison
» Dedens ne dehors sa maison,
» Ne aler vers li plus je n’ose ;
» Dont c’est une trop fière chose
» Car vous savés de quel pointure
» Je sui poins, par tele aventure
» Qui soudainnement me poindi ;
» Et se n’ai nul confort de li.

» Encore voi-je à sa manière
» Qu’elle me monstre crue chiere.
» Je saroie trop volontiers
» Pourquoi c’est ; et, se m’est mestiers.
» Si aurai avis si je puis
» Sus mes mauls et sus mes anuis. »
Et celle lors me repondi
Tout bas, et me dist : « Je vous di ;
» Il vous fault changier vo corage.
» On parle de son mariage. »
— « De son mariage ! » — « Par Dieu
» Voire, dist ceste, et s’est en lieu
» Qui est bien taillés de venir. »
Or ai-je bien le souvenir
Comment je fui appareillies.
Se j’avoie esté petit lies
En devant, encore le fui
Cent fois plus, et en grant anui.
Doubte et cremour si m’assalirent
Que le viaire m’apallirent,
Les yex et la bouche et la face.
N’est contenance que je face,
Fors que de desconforté homme.
Adont infortunés me nomme ;
Et me part sans nul congié prendre ;
Et tous seulés, sans plus attendre,
En une chambre m’encloy.
Je ne sçay se nuls homs m’oy ;
Mès je fis là des beaus regrés,
Ensi com loyal amant vrés,

Plain de jalousie et de painne,
Et que amours à son gré mainne.
Ensi à par moi je m’argue :
« Haro ! di-je, je l’ai perdue !
» Pourquoi l’aim, ne oncques l’amai ?
» Or sui-je entrés en grant esmai.
» Que ferai s’elle se marie ?
» Foi que doi à Sainte Marie !
» J’ociroie son mari ains
» Que il mesist sus li les mains.
» Auroi-je tort ? quant la plus belle
» Et qui de mon coer dame est-elle
» Lairoie aller par tel fortune.
» N’ai à morir d’une mort q’une.
» Ve-le-ci ; elle sera preste.
» Fortune pour moi le m’apreste,
» Puisqu’on voelt ceste marier
» À qui mon coer se voelt tirer.
» Je ne le poroie souffrir. »
Lors m’alai si dou tout offrir
À anois, à merancolies,
Et à toutes aultres folies,
Que j’en fui en peril de perdre.
Les fievres m’alèrent aherdre ;
Je m’alai acoucier au lit
Où je n’oc gaires de delit ;
Et fuisse mors dedens briefs jours,
Se ne m’euist donné secours
La damoiselle qui là vint.
Le chief me mania et tint.

Bien senti qu’en peril estoie.
Adont me dist, la merci soie
Pour moi aidier si bons consauls
Q’un petit cessa mes travaus.
Mès depuis trois mois tous entiers
Fui je à la fievre tous rentiers ;
Et adont en la maladie,
C’est bien raisons que le die,
Fis-je une balade nouvelle.
Au desespoir d’amours fu celle.
Je ne sçai scelle vous plaira
Mès tele est qui bien le lira

Balade.

Pluiseur amant vivent bien en espoir
D’avoir merci et d’estre encore amé,
Mès ma vie est tournée en desespoir,
Car on m’a jà tant de fois refusé,
Tant eslongié, tant monstré de samblans
Durs et crueuls, et contre moi nuisian,
Que je n’ai fors painne, mauls et dolours.
Je finerai ensi que fist Tristrans,
Car je morrai pour amer par amours.
Las ! que briefment puisse la mort avoir.
Plus le desir cassés que ma santé ?
Car ma dame, qui tant a de savoir,
No voelt avoir ne merci ni pité
De moi, qui sui son cremetous servans ;
Ains me refuse et grieve et nuist tous tamps.

Se m’en fault dire, et par nuit et par jours,
Je finerai etc.
Et si scet bien, ansi com je l’espoir,
Com longement j’ai jà pour li porté,
Taint le viaire et pale et mat et noir ;
Mès point n’i vise on le m’aien compté ;
Ains est tout dis en ses pourpos manans.
Et quant je sui bien à tout ce pensans
Dire m’en fault en cris, en plains, en plours,
Je finerai, etc.

Chief enclin et moi moult malade
Ordonnai-je ceste balade ;
Et quand je poc je l’escrisi.
Bien me plot quant je le lisi.
Nom-pour-quant pas n’en fu estainte
La maladie, qui destainte
M’avoit la couleur et la face.
Or est drois que memore face
Comment vivoïe nuit et jour
Sans avoir gaires de séjour.
Je me tournoie et retournoie.
Et en tournant tels m’atournoie
Que je ne vous saroïe dire
De cent parts le mendre martire
Que j’avoïe lors à porter.
Mès pour moi un peu conforter
J’en laissoïe bien convenir
D’amours le très doulc souvenir ;
Et ce grandement me valli.

Mès toutes fois il me falli
Estre trois mois trestous entiers
À la fièvre certains rentiers ;
Et homs qui vit en tel meschief
À par droit dolerous le chief.
Je l’avoïe lors si endoivle,
Et le coer si mat et si foible
Qu’à painnes pooïe parler,
Ne moi soustenir, ne aler ;
Et la calour si m’ataingnoit,
Et si très fort me destragnoit
Que je n’avoie aultre desir
Que tout dis boire et moi jesir ;
Mès deffendu on le m’avoit,
Uns médecins, qui bien sçavoit
Quel maladie avoie el corps.
Pour moi traire de calour hors
Avoit à mes gardes bien dit
Qu’on ne laissast entours mon lit
Nul buvrage, ne pot, ne voire,
Car trop contraire m’estoit boire,
Et on m’en garda bien aussi.
Dont une fois m’avint ensi
Que j’avoie calours si grans
Que de riens je n’estoie engrans
Fors de tant que béu euisse ;
Et me sambloit, si je peuisse
Boire, que j’estoie garis.
Adont di-jou tous esgaris :
« Ha ! pour Dieu ! qu’on me donne à boire

» Ou je muir ! » On ne m’en volt croire,
Ains mes gardes se teurent quoi ;
Et je, par grans desir dis : « Quoi !
« Me laïran de soif morir ! »
En cel ardour, en ce desir,
M’ala souvenir de ma dame ;
Lors m’alai acoisier, par m’ame !
Et pris fort à penser. Nient-mains
Sus mon orillier mis mes mains.
En ceste ardour qui me tenoit
Mains pensers devant me venoit.
Là ordonnai une complainte
D’amours, dont en veci la plainte.

La complainte de l’amant.

À boire ! à boire ! le coer m’art.
Car ferus est d’un ardant dart ;
Pour ce desire tempre et tart
Boire à foison ;
Car la flame par tout s’espart.
Jà est bruïs plus que d’un quart,
Et se n’i sçai voïe ne art
De garison,
Ne medecine, ne puison,
Car touchiés est dou droit tison
Dont Cupido, une saison,
Se Diex me gart
Feri Phebus en l’oquison
De Dane à la clere façon.
Or ai juste comparaison
Pris pour ma part,

Dane si fu une pucelle ;
De Diane estoit damoiselle,
Que Phebus enama ; mès celle
Point ne l’amoit,
De quoi Phebus, pour l’amour d’elle,
Reçut mainte dure estincelle
Vive et ardans, sous la mamelle,
Et à bon droit,
Car pour s’amours si prit estoit
Qu’il le prioit et requeroit ;
Mès celle tout dis le fuioit.
Ensi la belle
Que mon coer crient, sert, aime et croit
Me tient en ce méisme endroit ;
Com plus li prie et mains reçoit
De ma querelle.

Au mains se j’en avoie otant
Que Phebus ot en son vivant,
J’en viveroïe plus joiant
Que je ne façe,
Comment qu’il n’en ot pas trop grant
Deduit au coer ; mès nom-pour-quant
Les Diex qui le virent amant
Li firent grasce,
Et encores il s’en solace ;
Et se l’acole et se l’embrace,
Mès véoir ne le poet en face,
Ne son semblant

Et se poursieut tousjours la trace
De sa très amourouse chace ;
Mès Dane au coer ne li pourchace
Joie noiant.

Or vous dirai raison pourquoi
Phebus chéy en tel anoi.
Il y ot bien cause, je croi,
Veci comment :
Un jour ert en son esbanoi
Cupido, d’amours Dieu et roy.
Avint que Phebus vint sus soi
Soudainnement,
Et li dist orguillousement :
« L’arc de quoi tu très rent-moi, rent,
» Et la fleche tout ensement,
» Car envers moi
» Tu ne seès traire de noient.
» J’ai occis Python le serpent
» Qui de longueur ot un arpent,
» C’est trop pour toi. »

Et Cupido qui fu plains d’ire
Li prist, tout en pensant, à dire :
« Voire ! Phebus, Phebus, beau sire,
» Estes vous tels
» Que mon arc et la droite vire
» Dont je m’esbas et dont je tire
» Me volés ores contredire,
» Et vous vantés
» Que mieulz de moi trayés assés.

» Je ne suis mies si lassés ;
» Car ains que li ans soit passés,
» Pour vo mestire
» Contre moi, ne vous garirés ;
» Car ma fleche si sentirés
» Que mieuls trai que vous, ce dirés,
» Doit il souffire ! »

Bien li tint ce qu’il li promist,
Si com Ovides le descript ;
Car en brief termine il s’assist
Dessus le mont
Que de Supernascus on dist.
Son arc et ses deus fleches prist ;
L’amourouse ou coer Phebus mist
Si très parfont
Que là où li vrai amant l’ont,
Ce fut pour Dane, qui adont
Estoit la plus belle dou mont.
Ensi l’esprit.
L’aultre fleche dou cop secont,
Traist à Dane. Trop loing se vont
Ces deus cops, car contraire sont
Et plain d’estrit.

Li une fleche est amoureuse
Et li aultre si haynouse
Que plus ne poet. De la plommouse
Fu lors attainte
Dane la simple et graciouse.

Pour ce se tenoit orguillouse
Contre Phebus et peu pitouse
D’oyr sa plainte.
Nom-pour-quant proyere tamainte,
Maint souspir et mainte complainte
Fist Phebus, qui vie en ot tainte
Très dolerouse ;
Dont la face avoit pale et tainte.
Souvent disoit à vois destainte :
« Dane, pourquoi m’es-tu si fainte
» Ne si nuisouse

» Quant tu ne me dagnes amer ?
» Si n’a deçà ne delà mer,
» Dame qui on devist blasmer
» Pour moi chierir.
» Je ne le di pas pour vanter ;
» Mès pour ce que d’amour sans per
» Je t’aim, et si ne puis trouver
» Ne en toi vir
» Grasce qui me puist resjoir.
» Ne tu ne me daignes oyr,
» Mès eslongier et defuir,
» Et moi donner
» Aperte cause de morir ;
» Car longuement ne puis souffrir
» La vie où il m’estoet languir,
» Et cest tout cler. »

Ensi faisoit Phebus ses plains,
D’amours et de dolours tous plains ;

Mès Dane n’acontoit deus pains
À ses anois,
Ains s’esbatoit pour ce nient-mains
Que Phebus fust pour li d’estrains.
Avint qu’un jour chaçoit aux dains.
Dont celle fois
Regarde et voit Dane ens el bois.
Vers li s’en vint, et com courtois
Se le salue ce fu drois
Et joint ses mains ;
Et quant Dane en oy la vois,
Elle ne dist pas : « Je m’en vois. »
Mès tantos s’en fui en vois,
Quanque pot ains,

Parmi le bois tout le grant cours.
Moult li sembloit li termes cours
Qu’avoir peuist aucuns secours
De la Déesse
Dyane, à qui elle tous jours
Prioit et faisoit ses clamours ;
Et li disoit : « Tous mes retous,
» Dame et maitresse,
» Sont en vous. Dont par vo noblece
» Ne consentés que jà me blece,
» Phebus, car je en suis en esce ;
» Trop m’est en tours ;
» Et se je fui tout pour lui es-ce
» Car onques d’amer n’oc la tece,
» Ne onques ne senti la flece
» Au Dieu d’amours. »

En fuiant disoit Dane ensi.
Et tant ala qu’elle a fui
Sus les ombres de Penéi ;
Là s’aresta,
Car sa force moult a foibli ;
Et Phebus de priès le sievi.
Quant Dane le vit dalès li
Li s’escria
Et dist : « Dame, que m’avenra ?
» Se ne m’aidiés trop mal m’ira
» Car Phebus de moi joïra. »
Sa vois oy
Dyane qui forment l’ama ;
Aidier le volt. Adont droit là
En un lorier le transmua
Vert et joli

Or est Dane en lorier muée
Et Phebus à cui pas n’agrée
Ne s’en poet trop en sa pensée
Esmervillier.
En estant jette sa visée
Que celle qu’il a tant amée
Que Dame et amie clamée
Est un lorier ;
Pas ne le voelt pour ce laissier,
Mais le va doucement baisier
Et acoler et embracier,
Et dist : « Riensnée
» Ne me puet au coer tant aidier

» Que toi honnourer et prisier,
» Douls arbres, car Dane och moult chier
» Qui m’est emblée.

» Dyane en lorier le m’a mis.
» Et pour ce que je ses amis
» Sui et voeil demorer tout dis
» Un don li donne
» Qu’en tous temps iert vers et jolis,
» Et tout Roi qui conquerront pris
» D’onneur et d’armes tant le pris
» Une couronne
» Aront de lorier belle et bonne
» Et le portera la personne
» Qui victore aura ; je l’ordonne
» En tous pays
» Souef flairra et foeille et gonne »
Ensi ala com je vous sonne,
Si com Ovides l’araisonne
En ses escris.

Pour revenir au droit propos
De mon plaint de quoi je propos,
Di que Phebus en garant repos
Vint de sa Dame
Quant elle fut muée en bos.
Raison pourquoi dirai tantos.
El nen avoit que crueuls mos.
Qu’est de la fame
Qui le coer d’un amant entame

Et puis n’en voelt oïr esclame
Ne receveir en pité larme
Que li devos
Die ne fait, ançois l’enflame.
Trop mieulz vaudroit celi, par m’ame !
Estre pelerine à Saint Jame
Qu’en tel compos.

Plevist ore au roy de lassus
Que ma dame, qui de refus
S’esbat à moi et fait ses jus
Fust devenue
Un beau lorier vert et foellus ;
Au mains je ne seroie plus
En doubte de moi traire en sus
De sa véue ;
Mès ce qu’elle se rit et jue
À moi donner response nue,
Ce me taint la couleur et mue ;
S’est mes argus.
S’en un lorier estoit vestue
Ma dolour auroit grand ayewe
Car elle seroit secourue.
De la Phebus.

N’ama Pymalion l’image
De quoi il fist taille et ouvrage ;
Et Candasse, qui tant fu sage,
De pourtretture
Fist ouvrer le droit personnage
D’Alixandre, corps et visage,

Et enama de bon corage
Celle painture.
J’en sçai mainte belle figure.
Se ma dame, qui tant m’est dure,
Est aussi muée en verdure.
Ni voi damage
Dont je fesisse trop grant cure,
Mès quant je vise à l’aventure
J’ai dit, au regarder droiture,
Un garant oultrage,

Quant j’ai ma dame souverainne
Sous hedié par pensée vainne
Que sa façon doulce et humainne
Et son gent corps
Fust mués en fourme villainne.
De la merveille je me sainne
Comment j’oe onques sanc en vainne
De penser lors
Si grant oultrage. Abors, ahors !
Certes je ferai tirer hors
Le sanc de moi qui s’est amors
Et mis en painne
À moi donner tous desconfors.
Se ma dame ooit telz recors
Mieulz me vauroit à estre mors
Qu’en leur demainne

Mès qui m’a fait tels souhès faire ?
Il ne me sont pas nécessaire
Car de petit me poet-on traire

En grant peril.
Trop me voelt estre secretaire
Fortune, qui a tous voelt plaire ;
Se j’ai mesdit je m’en voeil taire.
De li vient-il.
Trop sont ses las fors et soubtil
Prendre me voelt, je croi, au bril ;
Elle m’a mis en grant péril
De moi deffaire,
Mès quoi qu’elle me tienne vil,
Ma dame à le coer si gentil
Que jà ne m’en vodra nennil
Chose contraire.

Aussi j’escuse le coer mien
Qu’onques ni pensai mal engien.
Amours le scet, qui cognoist bien
Ce que je pense,
Comment j’aimme sus toute rien
Ma dame, car c’est tout mon bien
Mon souverain Dieu terriien
Tant qu’en loquensce
C’est m’onnour, c’est ma reverensce ;
C’est ma très plaisant residensce
Où je prenc confort et prudensce
Sans nul moyen ;
Si le voeil en obediensce
Servir par bonne diligensce
Et recevoir en pascience
Le plaisir sien.

Et se fortune plus m’assault
Qui de mon coer fait son bersault,
Pour que le chose il tressault
En mainte fourme,
Si me vodrai-je tenir baut
Car courous en coer riens ne vault.
Mès par nécessité il faut
Aidier coer mourme.
Las ! mès se ma dame on enfourme
Que je l’aie, par langage ourme,
Souhedié ne lorier ne ourme,
Un moult bel sault
Ferai, et aurai grant sens d’omme
Se je me puis, ce est la somme,
Escuser ; car pour mains on nomme
Homme ribaut.

Quant je m’avise, j’ai dit mal,
Car je voeil mettre en general
Ce qui est en especial
Chose commune.
Ce scevent juge official
Comment fortune boute aval
Ceuls à pié et ceuls à cheval
Et les desjune
À la fois en droit temps c’on june
De jalousie et de rancune.
Encores fait trop pis fortune
En principal.
Dont s’il est aucuns ou aucune

Qui s’en plaint, elle est à tous une ;
Mès jou aurai, malgré l’enfrune,
Le coer loyal.

Si m’est vis que je me puis mieuls
Escuser par droit en tous lieus
Que de son fait estre doubtieus
Ne moi doloir.
De fortune voeil-je estre esquieus
Et penser aux douls plaisans yeus
De ma dame, vairs et gentieus,
Et concevoir
Comment elle fait son devoir
De sagement apercevoir
De donner et de recevoir
Regars soubtieus.
Cils pensers me met main et soir
En tel frefeil, au dire voir.
Que je ne cognois blanc à noir
Si m’ayt Diex.

Et m’est vis qu’à coisir ou monde
Si grans qu’il est à la réonde
On ne trouveroit pas plus monde,
C’est chose vraie.
Toute bonté en li habonde
Et moult grant beauté li souronde
Simple et plaisans, vaire est et blonde,
Jolie et gaie ;
Son bel maintien forment m’esgaie ;
Car si courtoisement me paie

D’un regart, dont elle me plaie.
Pour ce une onde
De pité convient-il que j’aie,
Ou aultrement la mort m’adaie,
Car j’ai pointure au coer sans plaie
Grande et profonde.

Qui ne poet à garison prendre ;
Car elle est si foible et si tendre
Que de trop petit elle engendre
Painne et doulour.
Un seul regard me fait entendre
Que je doi et puis bien attendre
Grasce en ma dame où je voeil tendre
Par bonne amour.
Or ai-je à la fois grant paour
De fallir et de lointain jour ;
Et pour ce qu’en peril sejour
Je voeil aprendre
Comment trouver poroie un tour
Salve sa paix et son honnour
Que je peuisse à sa douçour
Plus brief descendre.

Mès je ne sçai qui m’en conseille
Car ma vie n’est pas pareille
Aux aultres, ains est despareille
Plus qu’aultre chose ;
Car quant je dors ou quant je veille
Tousjours m’est présente en l’oreille
Ma dame, qui blanche et vermeille
Est com la rose ;

Et lors, à par moi je propose
Les grans biens de li et les glose ;
Et quant en ce penser repose
Moult tost m’esveille
Amours qui m’est au coer enclose ;
Mès je voi bien quelle me pose
Car à ma dame dire n’ose
Ceste merveille.

Ains d’un tout seul regart s’esbat
Mon coer, il n’i prent aultre esbat ;
Mès longuement en cel estat
Vivre ne puis ;
Car mon coer tient en grant debat
Cremeur qui dedens soi s’embat,
Et Jalousie qui abat
Tous mes deduis.
Cuidiés vous que je soie vuis
De durs jours et de povres nuis ?
N’ennil ; j’en ai bien quatre muis
De bon acat ;
Et ai éu le plus de puis
Que je mis le pié dedens l’uis
De l’ostel où confort ne truis ;
Ce me rent mat.

Et ne sçai où garant je quiere,
Car c’est mieulz drois que j’en requiere
Ceste qui me poet mettre arrière
De joie ou ens
Qu’autrui ; mès trop crienc sa manière ;

Car je sçai bien combien l’ai chiere.
Mès elle fait trop millour ciere
À pluisours gens
Qu’à moi qui ai mis tout mon temps,
Mon coer, mon corps, m’amour, mon sens,
À li amer. Hé mi dolens !
Or m’est plus fiere
Qu’aux aultres, ce m’est durs contens ;
Je ne m’en tienc pas pour contens
Car je li samble un droit noiens
En ma proyere.

Elle y aconte ensi que nient ;
C’est ce qui en soussi me tient
Dont, se mon coer s’esmaie et crient
Et se complaint
Bien y a cause ; il apertient ;
Car toutes fois qu’il me souvient
Comment ma dame me maintient,
Mon coer se taint
Diversement en plus d’un taint ;
Car chalour et froideur l’attaint,
Et si n’est douçour qui l’estaint,
Dont s’il n’avient
Que Franchise Pité ramaint,
Je sçai moult bien où la mort maint,
Et se je muir, aussi font maint ;
Morir convient.

J’aim’mieulz morir, jà ne demeure,
Puisque Fortune me court seure

Et que la mort pour moi labeure
Qu’estre entrepiés.
Il n’est confors qui me sekeure,
Ne qui pour moi aidier akeure
Et mon las coer quï tous jours pleure
Si est playés
D’un ardant dart qui fu forgiés
D’un douls vairs yex, plaisans et lies.
Or n’est boires, tant soit heties
Qui me saveure
Ne par qui soit assouagiés
Le soif que j’ai, qui m’est si griés.
Boire me fault, dame ; or m’aidiés
Il en est heure.

Or ai-je demandé à boire
Et que ma demande soit voire
On m’en poet loyalment bien croire,
Que grant soif j’ai.
Mais ce n’est pas de vin d’Auçoirre
De saint Poursain ne de Sansoirre,
Tant soit clers ne frians en voire
Ne de goust gai ;
Ains est d’un simple parler vrai
Qui viegne dou coer. Je n’aurai
Bien jusqu’à tant que je verai
Venir bon oirre
Ce parler qui m’oste d’esmay
Et lors le soif estinderai
Que j’ai si grant. Certes je fai
Bien à concroire.

Car qui desire, il n’est pas aise,
Ains vit en painne et en mesaise.
Pour ce reçoi, par Saint Nicaise !
Grief penitance
Il n’est nulle riens qui me plaise
Ni qui mon povre coer apaise ;
Fortune m’acole et me baise
À sa plaisance,
Elle a sus moi trop grant puissance
Elle me toit la cognissance
De manière et de contenance
Qui s’en taise.
Se ce n’estoit seule espérance
Qui me tient en ferme ordenance
Je ne voudroie la montance
D’une Frambaise ;

Mès elle bon confort me baille
Et garant contre la bataille
Qui nuit et jour au coer m’entaille
Pensers divers
Dont je m’estenc, frémis et baille.
Il n’est nulle riens qui me vaille.
Ne je ne sçai comment jou aille
Nus ou couvers ;
Car soit esté ou soit yvers
Je senc mon corps, mon sanc, mes ners
Tous afoiblis, pales et pers.
Ensi sans faille
Sui-je de par fortune ahers.
N’ai fors le coer qui gist enfers

Mès jà à lui ne sera sers
Vaille que vaille

Me poet-on croire à ma parolle ?
Oïl, car on dist à l’escole
Que la bouche dou coer parolle.
Certes ce fait.
Vois de la mienne n’ist ne vole
Que mon coer ne le jette en mole,
Et sent bien s’elle est sage ou folle,
Ains le retret ;
S’elle est bonne en avant le met,
Se non par derrière le let ;
Mès je sçai bien tant qu’à ce fait
Qui me console
Dou millour dou coer l’ai estret
Tout ce que j’ai dit et retret,
Et bien paroie dou parfet
Emplir un rolle ;

Comment je vif, comment je sui,
Comment je senc painne et anui,
Et si n’en sçai pas bien à qui
Prendre conseil.
À ma dame, non à autrui,
Deuisse monstrer mon annui,
Car premiers par li mis je fui
En ce travel,
Ne Phebus, le Dieu dou soleil,
Pour Dane n’ot ains le pareil
Que je reçoi. Si m’esmerveille

Moult au jour d’hui
Comment tant dure en tel esseil.
En tel soussi, en tel frefeil,
J’ai seul espoir ; là me conseil,
C’est mon refui.

C’est assés peu, car longe attente
Fait bien fallir l’omme à s’entente.
Il est avenu à euls trente
Qu’il n’ont éu
De leur queste nulle aultre rente,
Fors tele qu’amours me presente ;
Mès assés peu je me contente
De ce salu
Car s’aucun ont leur temps perdu
Je vodroie avoir despendu
Le mien en grasce et en vertu.
Las or me tempte
Desespoir qui onques ne fu ;
Mès dedens moi qui me sent nu
De confort, simple mat et mu
Ce me tourmente.

Et si ne sçai où garant querre.
Il n’a si sage clerk en terre
Qui me scevist de ceste guerre
Mettre à la fin.
Mon coer voelt que tout di je erre ;
Et com plus voi et plus m’enserre
En estat où ne puis conquerre
Un seul frelin.

S’en reçoit-je soir et matin
Maint froit maint chaud et maint hustin
Qui me font tenir chief enclin.
Or voeil requerre
Ma dame au gent corps féminin
Que par son doulc plaisir benin
Je puisse, dedens brief termin ;
Sa grasce acquerre ;

Et se je fail, ma joie est morte ;
Et se je l’ai, je me deporte ;
Ensi voi devant moi la porte
Ample et ouverte
Qui joie et destourbier m’apporte.
Voies y a, li une est torte,
Mès sievir vodrai la plus forte
Et plus aperte.
Plaisance s’est à moi offerte
Et m’a dit à la descouverte :
« Sert loyalment car de ta perte
» Ne desconforte
» Tu seras, selonc ta detserte
» Payés, je te dit tout à certe ;
» Et se Fortune te perverte
» Si te conforte. »

Ensi Plaisance m’amonneste
Que je me tiegne en vie honneste,
Et trop bien me poet sa requeste
Faire tout riche.
Croire le voeil et servir ceste

Pour qui je sui entrés en queste.
Or doinst que sa grasce conqueste
Car je m’afiche
Que se j’estoie roi d’Aufriche,
Duc de Baivière et d’Osteriche,
S’en feroi-je ma dame friche
Honneur et feste.
Las ! mès je croi qu’elle, à trop nice
Tient mon langage et mon servisce ;
Et pour ce sus moi, quoi qu’en dice
Si peu s’arreste.

Je ne sui pas de taille digne
Pour amer chose si benigne
Com est ma dame feminine,
Mès j’en accuse
Amours qui a mis la racine
Dedens le coer et qui m’encline.
À s’amour or en determine ;
Car je m’escuse
Par lui ; ci ne fault nulle ruse.
Je sçai bien comment mon temps use.
On me debat, on me refuse,
On me hustine ;
C’est ce pourquoi je pense et muse.
Trop est pités pour moi repuse.
Pour moi m’est-elle si rencluse
Ne si estrine.

Quant et que loyauté ne voeil
Servir et cremir bel acueil,

Et obéir à tout son voeil.
Pas n’i prent garde
Ma dame, Hé mi ! dont je recueil
Plus de grieftés qu’avoir ne soeil
Et Cupido, dont je me doeil,
Si me regarde
Fellement de sa haulte garde,
Trait m’a de l’amourouse darde,
Mès de celle, que mal fu arde !
Plainne d’orgueil,
Qui est haynouse et couarde
Atrait ma dame la gaillarde.
Bien le voi, car elle me tarde,
Son doulc accueil,

Et ne sçai comment m’en chevisse ;
Car se mespris vers li éuïsse,
Vraiement je me rendesisse
En l’eure mas.
Mes nennil ; pourquoi je deuïsse
Recevoir si grant préjudisce
Que je reçoi ? ne pourquoi g’isse
De tous solas ?
He ! Cupido, navré tu m’as
De la fleche dont jà navras
Phébus pour Dane. Or ne voi pas
Qui me garisse.
Ma dame me fuit le grant pas.
Et se m’ont donné ce trespas
Ses douls vairs yex fais par compas
Simple et propisce.

Car, quant premiers me regardoient,
Vis m’estoit que bien me pooient
Conforter, pour ce qu’il estoient
Doulc, simple et vair.
En ce regard qu’il me fesoient
Tout plainnement me conquéroient,
Car en regardant me perçoient
Sens, corps et coer,
Or voeil requerre à Jupiter,
Et à Venus sa belle soer,
Et à Juno déesse en l’air
Qu’il me desloient
De ce très dolerous enfer,
Et ostent de mon coer le fer
Qui me tolt le goust et le fier
Que mi œil voient ;

Car je voi ce que je n’ai mie,
Grasce en ma dame à qui prie.
Dont se ma proiyere est oye,
Et que li Dieu
L’exaucent par leur courtoisie,
Faire me poeent grant aye.
Car quant Phébus n’ot point d’amie,
Dalès un rieu
Un beau lorier vit en son lieu.
Or pri Jupiter de coer pieu
Que mon fait face plus hastieu
Et qu’il m’aye,
Car je mec tout ou plaisir sieu.

Ma dame me fait trop pensieu,
Et pas ne li di en Ébrieu
Ma maladie,

Mais en langage cler et plain
Quand je puis ; mès tant fort je l’aim
Que quand li voeil dire en certain
Et en apert
Comment pour li sui soir et main,
Je n’ai bouche, coer, oeil ne main,
Qui puist dire ne monstrer grain
Quel chose il quert.
Or ne sçai de quoi ce fait sert,
Car simplement et en couvert
Se tiennent mes yex tout ouvert,
Et ont grant fain
Que mon coer dice : « j’ai souffert
» Tous griefs pour vous, dame or ; dessert
» Mort ou merci ; il le requert
» Au pardarrain. »

Mès nennil mon coer pas ne poet
Dire tout ce qu’il pense et voet,
Et pour ce souffrir l’en estoet
Tamaint grant grief
Car Desirs ardamment le moet,
Par Plaisance qui le promoet.
Et puis q’un tel assaut s’esmoet
Dedens mon chief
Il convient que je traie à chief
Ma penitance et mon meschief.

Mès je voi bien que de rechief,
Ensi qu’il soet,
Mon coer je senc si fort blechief
D’un dard, qui est escris ou brief,
Dont Phébus fut navrés en brief
Que ce le doelt.

Car la plaie n’est pas petite
Qui m’est dedens le coer escripte ;
Pas ne m’i nuist, ains m’i proufite ;
Car elle est faitte
D’un penser qui moult me delitte ;
Et quant je senc nul oppositte,
En pensant, à par moi, recite
Qui li attrette
Uns regars, une douce attrette,
De la belle, bonne et parfette
Qui de toute honnour est estrette.
Or soit benite
La plaie, et aussi la sajette
Qui me tient en si douce debte
Que mon traveil et ma souffrette
Tienc pour merite.

C’est mon bien, c’est toute ma joie ;
C’est le penser qui me resjoie
Et lequel nuit et jour m’envoie
Grasce et confort.
À la fois, quant le plus m’annoie
Et que par souhet je vorroie
Qu’à moi venist la droite voie

Amère mort,
Et je imagine bien fort
Le gens corps et le bel deport
La manière et le doulc ressort
Ma dame quoie,
Je prenc en moi grant reconfort,
Et m’est vis que j’auroie tort
Se par cause de desconfort
Je m’occioie

Lanscelos, Tristrans, Lyonnel,
Porrus, le Baudrain, Caffiel,
Paris, et tamaient damoisel
N’ont pas esté
Amé pour seul dire : « il m’est bel
» Dame c’or prendés ce chapel
» Et me donnés sans nul rappel
» Vostre amisté.
Nennil ; ains en ont bien livré
À grant martire leur santé,
Et maint y ont, ains qu’estre amé
Laissié la pel.
Or sui-je lies en vérité
Et prenc la mort en grant chierté
Quant je ai compagnon trouvé,
Il m’est moult bel.

Au mains ne puis-je morir seuls,
J’ai des compagnons plus de deus ;
Mès en fin de mon plaint piteus
Je te delivre,
Amours, tous mes fais temporeus,

Car tu es mon Dieu Corporeus,
Et te pri tres affectueus
Que livre à livre
Poise les biens ; car je me livre
Tels a toi, ne plus ne voeil vivre :
Scés tu pourquoi ? trop fort m’enyvre
Li ardans feus
Qui le coer languereus fait yvre,
Mès je t’en pri, escrime ou livre
Où on troeve, qui bien s’arive
Les amoureus.

Dame, cent clauses despareilles,
Pour vostre amour n’est pas merveilles,
Ai mis en rime. Or crienc moult celles
À mal dittées,
S’ensi est, encoupés les belles,
Vos simples et plaisants masselles,
Qui à point blanches et vermeilles
Sont coulourées,
Car ce m’ont souvent mes pensées
En pluisours pourpos transposées ;
Et se bien ne les ai posées,
Si m’en conseilles,
Amours, car je t’ai moult d’anées
Servi, et mon service grées ;
Mes scés-tu de quoi tu m’effrées :
Trop me traveilles.

En souspirs, en plours et en plains
Prist un peu d’arrest mes complains,

Et nom-pour-quant en mon gisant
Ce complaint aloie disant
Plus d’une fois le jour sans doubte ;
Là estoit mon entente toute,
Et le souvenir de ma dame,
Que Diex gart et de cors et d’ame !
Ce me faisoit entroublyer
Assés mon mérancolyer.
À ce m’esbatoie à par mi.
Au chief de trois mois et demi
Se cessa la fievre qu’avoie ;
Je me mis au raler la voie.
Je sambloie bien demi mors.
Moult de fois le mau puis remors.
Et ma dame en parla à celle :
« Cils jones homs est moult, dist-elle,
» Empirés, dont ce poise moi,
— Dist la damoiselle : « je croi
» Qu’il se prendera à santé. »
« Ce seroit bien ma volonté
Dist ma dame, par Saint Remi ! »
Tout ensi le resdit à mi
La damoiselle, Diex li mire !
C’est drois qu’en tels parlers me mire,
Car ce m’estoit uns grans confors.
Or me prist voloirs d’aler fors
Dou pays, et oultre la mer,
Pour moi un petit refremer
En santé et pour mieulz valoir.
Je ne mis pas en noncaloir

Mon pourpos, ains perseverai.
Et que fis-je ? je le dirai.
À la damoiselle m’en vins
De mon aler parlement tins ;
Et elle le me loa bien
Pour ma santé et pour mon bien :
« Car d’un homme tout-dis avoir
» À l’ostel, ce n’est pas savoir.
» Et entroes que vous serés hors
» Ne poet estre qu’aucun recors
» Ne seront de vous, moi à elle. »
« Voire, di-je, ma damoiselle !
» Mes entroes que hors je serai
» Et que ceste point ne verai
» Dont tant me plaisent li regart,
» Que ferai-je ? se Diex me gart !
» Il faut que vous me conseillés. »
« Ha ! dist-elle, ainçois qu’en ailliés
» Tel chose arés, se Diex m’avance !
» Où vous prenrés tres grant plaisance. »
S’elle le dist pas n’en falli.
Lendemain je revinc à li ;
Mès elle m’ot tout pourvéu,
Ce dont gré li ai puis scéu.
« Tenés, dist elle, je vous baille
» Ce miroir ; et saciés sans faille
» Que ceste qui n’est pas irée
» Si est jà par trois ans mirée ;
» Si l’en devès plus chier tenir. »
— Donc li di : « Diex vous puist benir,

» Car moult valés et moult vous pris ! »
Le miréoir liement pris ;
Si le boutai dedens mon sain,
Près dou coer que j’en tinc plus sain.
Ne l’euisse rendu arrière
Pour le royalme de Baiviere.
De la damoiselle parti
Lies et joious, je le vous di.
Et puis ordonnai ma besongne.
De trestout ce qu’il me besongne ;
Dou pays parti quant fu tamps,
D’amours le droit arroi sentans.
Et pource qu’un petit vi l’ombre
De la belle dont je fai nombre,
Ordonnai au departement,
Amours m’en donna hardement,
Un virelay gai et joli
Que je fis pour l’amour de li.

Virelay.

Au departir de vous, ma dame,
Le coer ne scet se le cors part,
Car tous jours tire à vous, par m’ame !
Par le grant desir qui m’enflame
Pour vostre amour, bruist et art.

Mès je vous lais, ma dame chiere ;
Tenés ma foi, m’amour entiere
Sans departir ;
Or le prendés à lie chiere,

Car vous en estes droisturiere
Dou pourvéir.

Mon corps se part, le coer se pasme ;
Car vo vair oeil qui son droit dart
L’ont si attaint que, sans la flame
Qui nuit et jour l’art et enflame,
N’aurai séjour tempre ne tart
Au departir.


Dou virelay lors plus ne fis ;
Dont je croi que je me mefis,
Car encor y deuïst avoir
Dou mains un ver, au dire voir.
Mès quant accompagnié on est
Avec les gens, tel fois il n’est
Aucun parler ou aucun compte
Dont il convient c’on face conte,
Et que son penser on delaie.
Ce me fist faire la delaie
Dou virelay que n’en fis plus ;
Car ne voloie là que nuls
Sceuist que je fuisse en penser,
Car donné euisse à penser
À ceuls qui tout à paix estoient
Et qui avec moi s’esbatoient.
Nous chevauçames tant adont
Le jour premier et le secont,
Et ceuls qui nous embesongnierent,
Qu’onques cheval ne ressongnierent,
Que nous venins à une ville

Ou d’avolés a plus de mille ;
Et illoec nous mesins en mer
En volenté d’oultre rimer,
En une nef grant, gente et fors.
Mès ançois que je fuisse fors,
Oc vers ma dame maint souspir,
Maint pensement et maint espir,
Qui me fisent lie et courtois.
Et là ordonnai jusqu’à trois
Rondelès, en otele fourme
Qu’Amour en moi aidant-n’enfourme.

Rondel.

Dou corps qui sans coer n’a vie,
Douce amie, en celle nef
Souviegne vous, je vous prie
Dou corps etc.
Car soit à mort soit à vie
Je vous en laisse la clef
Dou corps etc.


Depuis n’ai gaires attendu
Que j’ai au second entendu ;
Et le fis par manière tele
Que là faisons, qui moult ert bele.
Le requeroit tant qu’à ceste heure
Car qui nage en mer il labeure.

Rondel.

Diex doinst que brief vous revoie,
Ma droite dame, en honnour

Car je muir pour vostre amour
Et en quel part que je voie
Diex doinst etc.


Depuis nagames une espasse ;
Et ensi qu’une wage passe
Par la force dou vent divers,
No nef fist tourner à revers.
Les mariniers crierent lors,
Car li aigue entroit ens ès bors.
Le single abati-on aval.
Moult y valirent li cheval
Qui estoient ou bas estage,
Car il nous fisent avantage ;
Entre les ondes et le vent
Valent au marinier souvent.
Bien me souvient de l’aventure,
Mès qu’onques j’en fesisse cure,
Ne qu’as cordes la main mesisse,
Ne de riens m’en entremesisse,
Ensi me voeille Diex aidier !
Quant j’en aurai plus grant mestier ;
Mès à mon rondelet pensoie
Et à par moi le recensoie ;
Lequel je fis et ordonnai
Tout ensi que puis le donnai
À ma dame, pour quele amour
Je sentoie mainte langour.

Rondel.

On doit amer et prisier

Joiouse merancolie
Qui tient la pensée lie
Et le temps fait oublyer
Sans soussi et sans envie ;
On doit amer etc.
Et moult souvent souhedier
Qu’on soit avec son amie
Pour maintenir gaie vie ;
On doit etc.


Ce rondel recordai-je assés.
Entroes fu le lait temps passés.
Dieu merci ! à bon port venimes
Par vent, par singles et par rimes,
Et arrivans en une terre
Qui plus het la paix que la guerre.
En ce pays n’i venoit nuls
Qui ne fust le très bien venus,
Car c’est terre de grant deduit ;
Et les gens y sont si bien duit
Que tout-dis voelent en joie estre.
Dou temps que je fui en leur estre
Il m’i plot assez grandement,
Je vous dirai raison comment :
Avec les seignours et les dames
Les damoiselles et les fames
M’esbatoie très volontiers ;
De ce n’estoie pas ratiers ;
Et aussi saciés qu’à ma dame
Pensoie si souvent, par m’ame !

Que je n’avoie nul sejour.
De me mettoit et nuit et jour
Une heure en joie, et l’autre non.
De moi tenoie près le don
Que m’ot donné la damoiselle
Au partir, Dieu merci à elle !
Car moult me plaisoit à véoir ;
C’estoit le plaisant miréoir.
Ce me donnoit joie et confort,
Et pensement aussi moult fort ;
Car quant ou miréoir miroie
Sus ma dame pas ne miroie,
Ançois disoie : « En ceste glace
» Se miroit ceste qui me lace
» Le coer, et tient sougit sous soi,
» Las ! son douc vis plus ne persoi.
» Pluisours fois s’est yci mirés ;
» Mès de ce suis-je moult yrés
» Que je ne le puis percevoir.
» De tout ce ensi es-ce voir
» Par figure, pour vérité,
» Qu’un ombre qui vient sus clarté
» Ci est lumière, et puis vient ombre
» Qui le temps fait obscur et sombre.
» Las ! pourquoi de madame chiere
» Quant je regarde la maniere
» Dou miréoir, n’ai le regart
» De la façon. Se Diex me gart !
» Je vodroie qu’il peuist estre
» Que je ressamblasse le mestre

» Qui fist le miréoir à Romme
» Dont estoïent véu li homme
» Qui chevauçoïent environ.
» Se le sens avoie ossi bon
» Que cils que le miréoir fist
» En cesti ci, par Jhesu-Crist !
» En quelconques lieu que g’iroie
» Ma dame apertement veroie. »
Ensi devisoie à par mi.
Dont pluisours fois, par saint Remi !
Prendoie en parlant tel plaisance
Qu’il m’estoit avis, par samblance,
Que je véoie, au dire voir,
Ma dame ens ou mien miréoir.
Tamainte consolation
Me fist l’imagination
Dou miréoir et de la glace
Où ma dame ot miré sa face,
Et le tenoïe moult proçain
Tant de mon coer que de mon sain
Jamais je n’en fuisse senoec,
Que tout dis ne l’euisse avoec
Moi, en quel part que j’estoie ;
Car au regarder m’esbatoie ;
C’estoit mon bien et mon delit.
De quoi il avint qu’en mon lit
J’estoie en une nuit couchiés,
Des pensers d’amours atouchiés,
Sous mon orillier je l’oc mis.
En pensant à ce m’endormis.

Dont vis me fu, en mon dormant,
Qu’en une chambre bien parant,
Bien aournée et bien vestue
De tapisserie batue,
Tous seules illoec m’esbatoie ;
Et ensi qu’en la chambre estoie,
Ceste par vinc, et ens regarde ;
De mon miréoir me prenc garde,
Que g’i vois l’impression pure
De ma dame et de sa figure
Qui se miroit au miréoir,
Et tenoit d’ivoire un treçoir,
Dont ses chevelès demi lons
Partissoit, qu’elle ot beaus et blons.
J’en fui esmervilliés forment ;
........
Je ne vosisse estre aultre part.
Adont dou miréoir me part,
Car d’encoste moi le cuidoie.
Qui bien aime, c’est drois qu’il doie
Regarder à ce qu’il desire ;
Je n’oc ne maltalent ne ire ;
Ains di : « Ma dame, où-estes vous
» Pardonnés moi, fins coers très douls
» Ce que sus vous suis embatus. »
Lors le cuidai véoir, sans plus
Dire à li lors ne mos ne vers ;
Mès il m’en fu tout au revers,
Car en fourme ne le vi pas.
Si fis-je en la chambre maint pas
Et le quis à bon escient

Par tout, mès ne le vi noïent.
Puis m’en revins au miréoir
Et encores l’alai véoir ;
Lors di : « Veci chose faée !
» Certes, dame, forment m’agrée
» Quant piner vous voi vos cheviaus ;
» Se vous jués aux reponniaus
» Faites au moins que je vous troeve,
» En nom d’Amour je le vous roeve. »
Adont les fenestres ouvri
Et tous les tapis descouvri
Pour savoir s’elle s’i mettoit,
Mès vraiement pas là n’estoit.
Nom-pour-quant ens ou miréoir
Le pooie pour voir véoir.
Là disoie en moi : « Cest fantomme
» Non est ; car jà avint à Romme
» De deux amans luerre pareille ;
» Tele si n’est pas grant merveille
» De ceste ci, quant bien m’avise,
» Ensi qu’Ovides le devise.
» Il y ot jadis dedens Romme
» Le fil d’un sage et d’un noble homme ;
» Cils estoit Papirus nommés.
» En pluisours lieus est renommés,
» Car le sens de li moult vali.
» À dame amer pas ne falli ;
» Aussi fu bien amés de celle.
» Ydorée ot nom la pucelle.
» De Papirus et d’Ydorée

» Est l’istore tres bien dorée,
» Car si loyalment s’entramerent
» Qu’onques loyauté n’entamerent.
» Ains furent leur coer tout uni.
» Avint de Papirus ensi
» Que li Rommain si l’eslisirent
» Pour un grant besoing, et li dirent :
» Papirus, il t’en fault aler
» Au roy de Cecille parler.
» Li chemins y est grans et lons.
» Pour ce envoyer ti volons
» Qu’on te tient à Romme à moult sage
» Et que bien feras le message. »
» — Papirus n’osa dou non dire.
» Mès son coer fu moult remplis d’ire ;
» Et quant ce dist à Ydorée,
» Si en fu forment esplorée,
» Et dist : « Papirus, amis douls,
» De moi dont vous partirés vous ?
» J’en ai au coer si grant effroy ;
» Jamais ne me verés, ce croi. »
» — Et Papirus, qui grant sens ot,
» Dist ensi quant Ydorée ot :
» Belle, il fault que tout ce se face,
» Mès tous jours me verés en face
» Et je vous ; or vous confortés
» Et de tous doels vo coer ostés,
» Car je serai lors revenus. »
» — Deus miréoirs fist Papirus,
» Je ne sçai pas sus que le englume,

» Mès il furent tout d’un volume
» Et fait par tel nigromancie
» Que ce fu trop belle mestrie,
» Car quant il venoit en agrée
» Que ens se miroit Ydorée,
» Elle y véoit son ami chier,
» Papirus, pour li solacier ;
» Et Papirus otretant bien
» Véoit Ydorée ens ou sien.
» Tel durèrent au dire voir
» Le voiage li doi miroir.
» Encores en voit-on l’exemple
» À Romme, de Minerve ou temple.
» Dont se lors pooie véoir,
» Ma dame, ens ou mien miréoir,
» Croire le doi et forment plaire,
» Car j’ai figure et exemplaire
» Qui est toute chose certainne ;
» Aussi, dame tres souverainne,
» Quant je vous voi forment m’agrée,
» Car c’est chose trop plus faée
» Que dou miréoir Papirus ;
» Car je vous voi et sus et jus
» Tout parmi ceste chambre aler.
» Au mains que vous daigniés parler,
» Et un petit ouvrir vo bouche,
» Je n’ai main qui sus vous atouche
» Ne qui y puissent atouchier.
» Parlés, car je me voeil couchier
» Droit ci, dalès mon miréoir,

» Et vo contenance véoir ;
» Car mieulz ne puis manoir ne estre. »
Lors m’assis dalès la fenestre
Et m’apoie dessus ma coute,
Main à m’asselle, et si escoute,
Et entenc la vois de ma dame.
Ne m’osai remuer, par m’ame ;
Car espoir, se remués fuisse,
Trop grant plaisir perdu euisse.
Ains me tinc quoi et regardai
Ou miréoir que bien gardai.
La figure vi qui me touche
Q’un petit entrouvri la bouche
Dont dessus moi la vois oy
Qui grandement me resjoy.

Le confort de la dame

Se pour moi es tristes et angoisseus
Mas, esplorés, et en coer dolereus,
Et de complains dire et faire songneus,
Tres dous amis, certes, tu n’es pas seuls,
Car mon las coer povres et languereus
Est envers toi fins, vrès et amoureus,
Ne il ne poet nuit et jour estre wiseus
Qu’adies ne pense
Comment te soit en toute bonnour piteus ;
Ne te vodroit point estre despiteus,
Car lyés est d’Amours, d’ossi drois neus
Que pour Tristran en fu la belle Yseus
Et Genevre pour Lanscelot le preus.
Et tout aultre non pas seul de ces deus.

Mès pour les fauls mesdisans hayneus
Fault abstinence,

Car leur parler, leur oeuvre et leur loquense
Est si plainne de toute violense
Qu’on doit cremir d’estre en leur audiense ;
Et se pour toi est grans la differense
Mon coer en a ossi dure sentensce,
Car bonne amour l’atise et lime et tensce
Qui ne le lait, homme, jour ne dimensce
De dire ensi.
À ton servant grasce un petit dispense,
Parquoi sus toi nullement ne m’espense
Car mal payés se tient en consciensce
De ce qu’à li fais si longe silensce.
Ensi Amours nuit et jour me recense ;
Je me tienc bien contente de la cense,
Et te suppli en nom d’obediensce
Soies ossi

Tels envers moi com je sui envers ti,
Et que no coer soient vrai et uni,
Car je te tienc pour mon très doulc ami,
Loyal, secré, discré, humle et joli ;
Ne onques mès tant ne t’en descouvri.
Avise toi sus ce que je te di
Et à oultrage ne le tient, je t’en pri.
Se plus avant
Que n’as éu je te presente ci,
Car se de ce t’avoie enorgilli,

Morte m’auroies, je le te certefi.
Mès en ton bien telement je m’affi
Que quant g’i pense assés m’en glorefi.
La loyauté de toi m’a enhardi
De toi donner confort, grasce et l’otri
De ton demant.

Voires mès, c’est par un tel convenant
Que, se ton bien aloit amenrissant,
Et voloies user de fauls samblant,
Morte m’auroies pis que dou dart trençant
Dont Action occist sa dame, quant
Elle l’aloit parmi le bois quérant ;
Car de bon coer la belle l’amoit tant,
Qu’en un buisson
Repuse estoit, pour véoir en passant
Action qui les dains aloit chaçant,
Car elle en ert en jalousie grant.
Cilz trait son cop après un dain alant.
Ceste feri par meschief ignorant
Et le navra dou cop. La belle errant
Piteusement li dist en escriant
« Ha ! Action,

» Le dain s’enfuist, morte mas sans raison. »
Li damoiseaus entendi bien le son ;
Son arc mist jus ; au tret vint dou bougon.
Celle acola qui pale ot la façon,
Car de la mort n’i avoit garison.
Et quant il vit que par tele occoison
Morte l’avoit, si en ot grant friçon.

Je le raporte
À celle fin, entent bien ma leçon,
Qu’entrer ne voeil de toi en souspeçon,
Car je t’aim plus que Hero Léandon,
Ne Medée n’ama le preu Jason.
Mon coer, m’amour te donne en abandon.
Or en use sans nulle desraison.
Aies tout dis loyal entention
Et te conforte

À loyauté maintenir te deporte ;
Je ne te voeil estre enfrune ne torte ;
Mes justement de mon bon coer t’enorte
Que je voeil que no coer tout d’une sorte
Soient, et se nuls nul mal nous raporte,
Jà n’entera jalousie en no porte.
De ce serai vraie ententieve et forte,
Je le te jure.
Mès je te pri qu’un petit te susporte
Pour mesdisans que male mort en porte.
De ce que vois riens ne te desconforte
Segurement sus ce que di endorte,
Un temps vendra qu’encor diras : « Ressorte
» Joie en nos coers qui ores se transporte.
» À tout le bien que tu poes te ramorte
» Et t’assegure ;

» Ensi que di, je te serai segure,
» Et se je t’ai esté un peu plus dure
» Que ne vodrois, de tout ce ne fai cure,
» Car la pitouse vie maint en l’obscure.

» D’or-en-avant te serai douce et pure
» Et osterai de ton las coer l’ardure.
» Je voeil sentir tout ce que tu endure
» Es-ce or assés ?
» Figuré m’as au lorier par figure
» Et à Dane qui tant fu dure et sure
» Contre Phebus, ce dist li escripture
» Qu’onques amer ne le volt par droiture ;
» Muée en fu de Dyane en vredure,
» Ce fu pour Dane une gries aventure.
» Certes, amis, au lorier me figure
» À tous bons grés

» Car le lorier est uns arbres loés
» Vers en tons temps prisiés et honnourés.
» Onques ne fu ne enfrains ne mués.
» Ensi sera ferme en moi loyautés.
» Ne changerai soiés asségurés ;
» Mes je te pri, car tu es moult discrés,
» Obéissans, humles vrès et secrés
» Que bellement
» Soit li estas amourous gouvrenés ;
» Car je te jur, et s’est ma volentés
» Que se deus ans, trois ou cinc, la prendés
» Et l’aportast ensi nécessités
» Tu avoies à l’ensus de moi més
» Se serois tu tous jours en moi entés
» Et en mon coer escris et figurés.
» Veci comment :

» En ton maintien, en ton gouvrenement,
» En ton parler, en ton contenement,

» En ton regard garni d’atemprement
» Prenroie nuit et jour esbatement.
» Et s’eslongié m’avoies un gramment,
» Si me seroit tous jours tout ce présent.
» Par un très doulc souvenir seulement
» Qui m’est propisce.
» À ceste amour dont je t’aim ardamment,
» Mès je te pri, et pour plus longuement
» No vie avoir joie et deportement
» Voeillés user de tout ce bellement.
» Pour mieulz sallir on s’arreste souvent ;
» En trop haster n’a nul avancement ;
» Qui souffrir poet, il vient à ce qu’il tent.
» Se je peuisse,

» Dou temps passé eslecié t’euisse
» Et puis qu’Amours voelt que de mon coer isse
» Confort pour toi, et c’un peu te garisse
» Ce n’est pas drois que je te renquierisse.
» M’amour te donne ; il n’i fault nul permisse
» Salve m’onnour ; là tient le prejudisce
» Si mieuls peuisse faire je le fesisse
» De coer entier.
» Or te requier qu’à présent te souffisse
» S’ensus de moi, amis, je te véisse,
» Pour ton proufit liement t’esczisisse,
» Et à savoir par lettres te fesisse
» Comment mon coer voelt que te resjoïsse
» Et que jamais nostre amour ne finisse ;
» Mès on en voie l’ardeur et l’edefisse
» Mouteplyer.

» Je ne doi pas haïr ce qui m’a chier,
» Ne cé fuir qui me doit approcier
» Quant je ni voi qu’onnour sans reprocier
» Et loyauté sans mentir ne trechier.
» Par pluisours fois t’ai poü assayer
» Par refuser sans toi riens octroyer,
» Par toi monstrer samblant cruel et fier
» Plain de rigour
» Dont pluisours fois t’ai véu fretillier,
» Trembler, fremir, sanc muer et changier.
» Onques trop dur ne furent mi dangier ;
» Je t’ai véu tout dis humilyer
» Et bellement pryer et supplyer :
» Dont vraiement, je l’ose bien jugier.
» Assés te doit ta loyauté aidier.
» Or tien m’amour ;

» Je le t’acorde, amis, en toute honnour ;
» Mès aultrement n’en prias onques jour
» Car garnis es de sens et de valour,
» De cognissance et de gentil atour,
» Que ne vodrois pour riens ma deshonnour.
» Ce bon renom te portent li pluisour ;
» Ceste vertu a en toi grand vigour
» Et bien m’agrée
» Quant j’ai mon coer enté en un sejour.
» Et si me voi amée dou millour
» Que véisse ains ; pour ce t’aim et aour.
» Et pour ester de ton las coer l’ardour,
» Je te requier en joie et en douçour
» Que tout espoir te soient de favour.

» N’est nulle riens qui ne viegne à son tour.
» Se ta pensée

» Est en amours mise et enracinée
» Il ne sera ne soir ne matinée
» Que ne te soit toute joie ajournée.
» Onques ne fu t’amour en riens fraudée ;
» Mès je tous jours bel servie et loée,
» Cremue en foi, prisie et honnourée.
» Or t’en sera l’uevre guerredonnée
» Sans nul delay ;
» Ne me veras de ce pourpos muée
» Pour parolle de créature née,
» Pour fortune qui mal est avisée ;
» Car en ton bien telement il m’agrée
» Que chose que je voie riens ne m’effrée ;
» Car en la vie amourouse et discrée,
» Ai mis mon coer et toute ma pensée,
» Saces de vrai.

» Conforte toi en ce que te dirai.
» Secretement tous les jours amé t’ai,
» Mes onques mès de ce ne te parlai.
» D’or-en-avant je le te monsterai ;
» Et croi ensi que je le te dirai.
» Si tretos comme je parler t’orai ;
» Car je t’ai mis en tamaint grant assai
» Par mainte fois ;
» Mès onques jour, certes, ne te trouvai
» Fors très loyal. La vois t’en porterai
» Et le renom quel part que je serai.
» Tu te dois bien donques ester d’esmai,

» Car onques coer fors que le tien n’amai,
» Ne à nul jour jamais je n’amerai.
» Trestout ensi en mon coer escript l’ay
» Com tu le vois.

» Soit à la ville, aux champs, aux prés, aux bois,
» En dis, en fais, en parlers et en vois
» Seras de moi nommés li tres courtois
» Pour qui mon coer est tristes et destrois,
» Quant plus souvent ne te vois et c’est drois ;
» Et tout ensi m’aye Sains Elois
» Que je jurrai
» Dessus les sains sacrés et benéois,
» Se mesdisant ne tendoient leurs rois
» De quoi il font aux amans tant d’anois,
» Pour un confort je t’en donroie trois ;
» Mes je te pri qu’en bon gré tout reçois,
» Car en un jour avient bien, or m’en crois,
» Qu’il n’avenra souvent en trente mois.
» Or ne t’esmai. »


Lors se tint la vois quoie et mue,
Et la figure se transmue.
Ou miréoir plus ne le vi,
Car son propos ot assouvi.
Dont me sambloit que je disoie
Et dementroes que là gisoie :
« Veci merveilles et fantomme. »
En ce penser perdi mon somme.
Et lorsque je fui esvilliés,
Grandement fui esmervilliés.

Nom-pour-quant à mon orillier
M’alai erramment conseillier
À savoir se g’i trouveroie
Mon miréoir, ne li veroie.
Oïl voir ! droit là le trouvai,
Où je l’oc mis ; lors le levai,
Et le baisai moult doucement.
Puis pensai en mot longement
Que j’avoie véu ma dame
Et oy parler : mès, par m’ame !
Ce n’estoit que derision
De toute mon avision
Et qu’elle me feroit à dur
Pour mon confort si garant éur.
Croi fermement que le contraire
Oras tu temprement retraire.
Je ne sui pas tous seuls au monde.
Selonc ce que j’ai de faconde
À qui le doulc dieu de dormir,
Morphéus, que si bon remir
À en dormant fait grasce vainne,
Ceste ci m’est assés lointainne ;
Mès toutes fois, soit fable ou voir,
Je li en doi grant gré savoir,
Quant en dormant m’a monstré celle
Pour qui l’amourouse estincelle
Senc, et parquoi que peu redoubte
Mis m’a en paix et en grant doubte.
Je vodrai retourner en brief
Que ma dame n’ait aucun grief ;

Se saurai comment il li est.
Je croi que fortune me pest
D’aucune douce melodie
Qui me tourra à maladie ;
Car, se la belle au corps vaillant
Pour qui je me vois travillant
Trouvoie mariée ou morte,
C’est le point qui me desconforte,
Par le digne corps Jhesu Cris !
Mon testament seroit escrips ;
Je vodroie morir sans faulte.
N’ai pensée basse ne haulte,
Fors à ma dame que tant ains.
Dont joindi humblement les mains
Vers le ciel et fis ma proyere
Que ma très douce dame chiere
Peüisse à santé revéoir.
Adont baisai mon miréoir
Tout pour ma dame et pour s’amour
À qui Diex doinst joie et honnour !
Et laissai mon penser ester.
Je ne m’i volc plur arrester,
Et pris en bon confort le tamps.
Dieu merci je fui plus sentans
Finalment de bien que de mal.
Peu de chose en espécial
Reconforfe le coer d’amant
À toute joie me ramant
Mon songe, et bien y a raison.
Adont m’anoia la saison

Pour ce que là tant sejournoie,
Et qu’ens ou lieu ne retournoie
Où j’avoie layé ma dame
Pour qui j’ai fait tamaint esclame,
Et sui encor près dou sentir
Sans moi de noient alentir.
Mès ou lieu et ens ou pays
Où je n’estoie pas hays
Avoie lors tant d’esbanoi
Que ce me brisoit mon anoi.
Nom-pour-quant, quant bien m’avisoie
Et à ma dame je visoie,
Moult bien aillours estre vosisse.
Lors dis en moi : « Il fault que g’isse
» De ce pays ; trop y demeure ;
» R’aler m’en voeil ; il en est heure
» Et c’on voie que ci m’anoie.
» C’est bon qu’un petit m’esbanoie
» À faire un virelay tout ample
» Ensi que j’en ai bien l’example. »

Virelay.

Moult m’est tart que je revoie
La très douce simple et quoie
Que j’aim loyalment
Et pour qui certainnement
Ce séjour m’anoie.

Lonc temps a que ne le vi
Ne que parler n’en oy

S’en vic en tristoir,
Car, en son maintien joli
Et ou plaisant corps de li
Garni de valour
Tous esbatemens prendroi ;
Et par ensi je vivoie
Très joieusement,
Or me fault souffrir tourment
Ens ou lieu de joie.
Moult m’est tart, etc.

Amours, dittes li ensi :
Qu’oncques amans ne souffri
Si forte labour
Que j’ai souffert pour li ci
Et souffrerai autressi
Jusqu’à mon retour ;
C’est raisons quelle m’en croie
Car, quelque part que je voie
Tant l’aim ardamment,
Il m’est avis vraiement
Que tout dis le voie.
Moult m’est tart, etc.

Or sont grief plour et grief cri,
Regret, anoi et soussi,
En moi nuit et jour,
Car sus l’espoir de merci
De li au partir parti
Et par bonne amour
Dont s’a li parler pooie,

Au mains je li mousteroie
Ce que mon coer sent ;
Mès bien voi, tant qu’en présent
Nuls ne m’i renvoie.
Moult m’est tart, etc.


Lorsque j’ai fait le virelay,
À ma dame baillié je l’ai
Qui me tenoit en ce pays
Dont je n’estoie pas hays.
Elle voit bien par la sentensce
Que mon coer aillours tire et pense.
Assez bien m’en examina
Et de moi tant adevina
Que fort estoie enamourés.
Or dist-elle : « Vous en irés.
» Si aurés temprement nouvelles
» De vo dame qui seront belles.
» D’or en avant congié vous donne :
» Mes je le voeil, et si l’ordonne,
» Qu’encor vous revenés vers nous. »
Et je qui estoie en genous
Li dis : « Madame, où je serai
» Vostre commandement ferai. »
Et là à mon département
Me donna dou sien grandement,
Se tant vous en volés savoir,
Chevaus et jeviaus et avoir
Qui puis me fisent moult de bien.
Je m’en revinc au pays mien

En bon estat et en bon point.
Dieu merci il ne falli point.
Et lorsque je fuis revenus,
À painnes fui-je descendus,
Quant devers celle je me trai
Qui de nos coers sçavoit l’atrai,
Laquelle moult me conjoï.
Ma venue le resjoy,
Et me demanda, merci soie,
Comment dou corps je le fesoie,
Et avoie aussi depuis fait.
« Certes, di-je, s’ai maint souhet
» Fait au lès, deça puis ce di
» Que me parti, et que vous vi.
» Et toutes fois, que fait madame ?
» Moult bien le voeil-je voir, par m’ame !
» Car en li est ma santé toute.
» S’ai depuis éu mainte doubte
» De li et mainte souspeçon,
» Je vous dirai par quel façon.
» Je m’estoie couchiés un soir
» Dessous mon chief le miréoir
» Que me donnastes au partir.
» Mès en dormant, sans point mentir,
» En un tel songe me ravi
» Que ma dame proprement vi ;
» Et liement la simple et douce
» Par trop beaus parler de sa bouche
» Me reconfortoit doucement ;
» Et fui assés et longement

» En grant joie par son parler.
» Et si tos que l’en vi raler,
» Je m’esvillai, lors tressalli !
» Car la vision me falli
» Après la joie fui en painne.
» Nom-pour-quant, en celle sepmainne
» Fis un virelay ; tout nouvel.
» Veleci ; dont ce m’est moult bel. »
Ce respondi la damoiselle :
» — Ce sera chose moult nouvelle,
» Dou virelay ; je li donrai,
» Et croi bien que je li dirai
» Une response pourvéue
» De tout bien à vo revenue ;
» Car depuis vostre departie
» Avons en yceste partie
» Parlé de vous par pluisours fois,
» Plusque ne le faisions ançois
» Que vous vos partistes de ci.
» Encor porés avoir merci ;
» Pas ne vous devés esbahir.
» Amours ne voelt nullui trahir ;
» Servés loyalment sans sejour,
» Car longe debte vient à jour. »
Le temps passoie ; ensi avint.
Des jours ne demora pas vint
Que de ma dame oy nouvelle
Qui lors me fu plaisans et belle ;
Car elle devoit une nuit
Estre en esbat et en deduit

Ciés une sienne grande amie.
On me dist « Or n’i falés mie,
» Et s’on poet par nulle raison,
» Vous entrerés en la maison. »
Pas n’i falli ; ançois y vins ;
Mès par dehors l’ostel me tins.
N’osai noient touchier à l’uis.
Ains regardai par un pertuis.
En solas et en esbanoi
Avec aultres ma dame voi ;
D’un bel corset estoit parée ;
Lors dansoit. Hé mi ! com m’agrée
Sa manière et sa contenance !
À grant dur fis là abstenance,
Et toutes fois n’osai emprendre
D’entrer pour doubte de mesprendre ;
Car il se fait bon abstenir
De chose dont mauls poet venir.
En ceste nuit, se Diex me gard !
Je n’en oc el que le regard
Par le pertuis d’une fenestre.
Di-je en moi : « Qui te fait ci estre ?
» On se truffe moult bien de toi.
» C’est commencemens de chastoi.
» Jusques au jour droit ci seroies,
» Aultres nouvelles tu n’oroies.
» Mès cuides-tu qu’il lor souviegne
» Que ci tu es et qu’on te viegne
» Querre, pour là dedens entrer ?
» On y scet bien sans toi ouvrer ;

» Encor te tien-je pour kokart
» Quant tu te tiens yci si tart.
» Va toi couchier. » Lors me parti.
Peu de repos la nuit senti,
Et encores mains lendemain,
Car on me dist : « Par Saint Germain !
» Où avés-vous anuit esté ?
» Vous eussiés moult conquesté
» S’on vous euist trouvé à point ;
» De ce n’éussiés falli point
» De parler à la bonne et belle
» Qui n’est pas ores trop rebelle :
» De vous, ains vos voit volentiers
» Trop plus que ses cousins en tiers. »
Je respondi : « Soie merci !
» Vraiement je passai par ci
» Et fui grant temps ens ou regard ;
» Mès je n’osai, se Diex me gard !
» Faire signes que hors estoie
» Pour celles que laiens véoie. »
On me dist : « Ce fust trop bien fait. »
Ensi avint de puis ce fait
Que j’estoie en celle maison
Où ma dame avoit grant raison
D’aler. Car ycelle et la rente
Estoit une sienne parente
En une chambre bien parée,
Et très joliement arrée
Tant d’orelliers com de tapis,
De courtines et de beaus lis.

Et ensi com illoec estoie
Et qu’au parler je m’esbatoie,
Ma dame d’aventure y vint.
Contre li lever me convint.
Quant je le vi je fui tous pris.
Toutes fois assés bien compris
Qu’un petit coulour changea-elle.
Et là estoit la demoiselle
Dont je m’ai à loer moult fort,
Qui nous fist séoir par accort
Et nous dist, encor nous estant ;
« Par foi, vous estes tout d’un grant ;
» Ce seroit une belle paire,
» Et Diex doinst qu’amour vous apaire. »
Lors nous commença à galer ;
Et je cuidai trop bien parler
Et li remonstrer mon desir
Où s’amour me faisoit jesir.
J’en avoie bien temps et lieu ;
Mès, par la foi que je doi Dieu !
Je fui plus souspris en peu d’eure
Que tel que pour mort on court seure.
En parlant ma dame regarde.
Mon coeur dist : « Parle, qui te tarde ? »
— « De quoi ne scai et aussi n’ose. »
Dient mi oeil, « c’est fière chose !
» Tu le vois et n’as hardement
» De li monstrer ton sentement. »
Un grant temps euisse esté là
Sans parler, mès elle parla,

Soie merci ! moult doucement ;
Et si me demanda comment
J’avoie fait en ce voiaige,
Et je li di : « Ma dame, s’ai-je
» Pour vous éu maint souvenir ; »
» — Pour moi ! Voire ! Et dont poet venir ?
» — De ce, dame, que tant vous aim
» Qu’il n’est heure, ne soir ne main,
» Que je ne pense à vous tout dis ;
» Mès je ne sui pas bien hardis
» De vous remonstrer, dame chiere,
» Par quel art ne par quel maniere
» J’ai éu ce commencement
» De l’amourous atouchement. »
Et ma dame lors me regarde ;
Un petit rit, et puis me tarde
Son regard ; et aillours le met.
D’autres parolles s’entremet
De parler à la damoiselle
Qui dalès moi estoit. Dist elle :
« Ce jone homme qui siet yci
» N’est pas empirés ! Dieu merci,
» Ens ou voiaige qu’il a fait. »
Et la damoiselle à ce fait
Respondit : « Diex en soit loés !
Dist elle, « il fault que vous oés
» Un virelay plaisant et bel
» Qu’il a fait de là tout nouvel
» Dont vous estes matere et cause. »
Lors me requist sans mettre y pause

Que je li vosisse otroyer.
Je ne m’en fis gaires pryer
Car j’avoie plaisance au dire.
Je li dis et baillai pour lire,
Et elle m’en sot trop grant gre
Tant saciés bien de mon secré.
Nous fumes en esbatement
Droit là, non pas si longement
Que je vosisse, bien saciés ;
Car mon coer qui estoit lachiés
Et est d’amours certainne et ferme
Ne peuist avoir trop lonc terme
D’estre toujours avec ma dame.
Pluisours fois fumes là, par m’ame !
Et ensi nous esbations.
Vraiement je croi qu’il n’est homs,
Se bien aimé, qu’il ne soit tous
Une heure amers et l’autre douls.
Pour moi le di, lors tels estoie
Que moult liement m’esbatoie
À la fois ; et quant jalousie
Me batoit de son escorgie,
J’estoie mournes et pensieus
Et clinoie en terre les yeus.
C’est l’estat et si est l’ardure
Que vrai amant par droit endure.
Et nom-pour-quant les contençons,
Les assaus et les souspeçons
En sont si gaies à souffrir
Qu’on se doit liement offrir

Et tout prendre en plaisance lie :
Car tant en plaist la maladie
Nourie d’amourous desir
Que nul aultre estat ne desir,
Ne ne ferai, ne ne fis onques.
J’avoie grand solas adoncques.
Ne sçai se jamès revendra
Le temps aussi qu’il m’avendra.
Nom-pour-quant au coer et au corps
M’en font moult de biens les recors.
Jà assés parlé n’en auroie.
En l’ostel où je repairoie
Un lieu y avoit pourvéu
Où un tapis longement fu ;
Coussins et orilliers aussi
Y avoit-on mis ; et ensi
Que là venoit pour soi esbatre
Ma dame, s’i aloit esbatre
Et séoit dessus le tapis ;
Là estoit, ses mains sus son pis
Et son chief sus les orilliers.
N’i ot roses ni violiers
Mes j’appelloie ce, par m’ame !
Le Vregier de la Droite Dame.
Je hantoie là tempre et tart
Dont frois, dont chaux, navrés d’un dard
D’amours ; et lors de flours petites,
Violetes et margherites
Semoie dessus le tapis
Qui dedens la chambre estoit mis ;

Là me séoie et reposoie
Et aux deux fames exposoie
Quel joie le lieu me faisoit
Et com grandement m’i plaisoit.
Elles en avoient bon ris.
Pour nous fu layés li tapis
En cel estat et en ce point,
Tant com il avint un dur point
Contre moi ; he mi ! las dolens !
Celle qui estoit tout mon sens,
Mon bien, ma joie et mon confort
La très dure et cruele mort
Qui n’espargne roy ne bergier,
La fist en terre herbergier.
Pour s’amour plorai mainte larme.
Vraiement aussi fist ma dame.
Ceste mort li toucha forment,
Car elle me dist tendrement :
« He ! mi ! or sont bien desrompues
» Nos amours et en doel chéues ! »
Le regret de ma dame aussi
Me fist avoir tamaint soussi.
N’est doels ne conviegne onblyer.
Riens ne vault merancolier ;
Tout passe coers et tout endure.
Ceste mort qui nous fu moult dure
Passames nous en la saison
Encor aloie en la maison.
Où ma dame avoit son retour.
G’i fis mainte voie et maint tour,

Maint aler et tamainte faille,
Ensi qu’amours ses servans baille ;
Mès tout en bon gré recevoie
Le bien et le mal de ma voie.
Le temps si se passoit ensi.
Ma droite dame, Dieu merci !
Estoit lie, gaie et hetie.
Or me dist-on une nuitie,
Dont il fu lendemain Dimence :
« Ce n’est pas raison c’on vous mence.
» À demain est no voie prise
» En un gardin que moult on prise ;
» Nous y devons aler esbatre ;
» Vous vos y porés bien embatre. »
Et je respondi tous délivres :
« Je n’en fauroi pas pour vint livres. »
Lendemain, droit après disner,
Sans leur pensée decliner,
Esbatre en un gardin en vindrent
Celles qui compagnie tindrent
À ma dame, et là m’embati ;
Point on ne le me debati.
Ma dame s’estoit asseulée
Dalès rosiers, près d’une alée
Qui se tournoit sus la riviere
Qui bien l’enclooit par derriere.
Quant je vi le donoiement
Je me très vers li quoiement,
Et doucement le saluai ;
Mes la coulour rouge muai.

Elle mon salu me rendi
Moult bel, noient n’i attendi,
Liement et en sousriant ;
Et je, qui fui merci criant,
À loer moult grandement pris
Le gardin et tout le pourpris,
Et aussi la belle journée
Qui nous estoit là ajournée,
Et li di : « Ma dame, je croi
» Que Diex a mis ou temps arroi
» Pour ce que vrai amourous sons. »
Et celle, dont douls est li sons,
Respondi : « Avec bonne amour
» Fault que loyauté ait demour,
» Ou aultrement amour sans faille
» Ne poet venir à riens qui vaille. »
— « Ensi le voeil-je, dame, entendre ;
» Et se plus hault puis ores tendre
» Que de valoir dignes ne soie
» S’ai-je coer, se dire l’osoïe,
» Que pour vous loyalment servir
» Et mon petit corps asservir
» Dou tout à la vostre ordenance. »
Ma dame adont un peu s’avance.
S’a coeillie jusqu’à cinc flourettes ;
Je croi ce furent violettes ;
Trois m’en donna et je les pris.
Et adont ma dame de pris
S’en vint séoir dessous un ombre
D’un noisier où vert fist et sombre.

Et je, par le bon gré de li
Je m’assis, dont moult m’abelli ;
Car à la fois le regardoie ;
Mais en regardant tous ardoie
Dedens le coer, car si regard
Meperçoient, se Diex me gard !
Et se ne li osoie dire
La doulour et le grand martire
Que j’avoie lors à sentir.
Mon coer si vrai et si entir
Avoie tout-dis en s’amour,
Car ne m’estoit droite douçour
Et grans confors à mes anois,
Quant un peu de ses esbanois
Je pooie avoir en ma part.
Il ne m’estoient pas espart,
Mes les tenoie à bons voisins
Trop plus que mes germains cousins ;
Pour ce le di, car, à ceste heure
Ma dame qui Jhesus honneure
Me regardoit, ce m’estoit vis,
Si liement que tous ravis
Estoie en soi seul regardant ;
Mes tous m’aloie acouardant ;
Non que ce fust faute ou faintise ;
Mès amours, qui les coers atise,
Me tenoit le coer si serré
Que quanque j’avoie enserré
Et que bien cuidoie avant mettre
Je ne m’en savoie entremettre,

Ains me tenoient mu et quoi.
En ce gardin, en ce requoi,
Y avoit lors deus pucelettes
Auques d’un éage jonettes.
Cestes aloient flours coeïllier
De violier en violier ;
Et puis si les nous aportoient,
Et dessus nos draps les jetoient.
Ma dame si les recoeilloit
Qui bellement les enfiloit
En espinçons de grouselier,
Et puis le mes faisoit baisier.
Dont en baisant m’avint deus fois
Que li espinçon de ce bois
Me poindirent moult aigrement.
Et ma dame, qui liement
S’esbatoit adont avoec moi,
Me dist en riant : « Assés croi
» Plus tost avés ce cognéu
» Cui matin le jour percéu. »
Et je li responc : « Il est voir. »
Lors me dist. « Porions avoir
» Une balade. » Et je respons :
« — Oil, dame, car en lieu sons
» Où j’ai moult bien matere et cause
» Dou dire ent une, veci clause.

Balade.

D’un doulc regart amoureusement tret

Se doit amans en coer moult resjoir ;
Car quant il voit dame où désir l’attret
Qui bellement le daigne conjoir
Et sus li ses yex ouvrir
Liement, par manière d’acointance,
Gais et jolis et lies, s’en doit tenir
Riches d espoir, vuis de toute ignorance.

Car le regart que sa dame li fait
Li accroist sa plaisance et son desir,
Et grandement le nourist et le met
En volenté de son fait poursiévir
De cognoistre et de sentir
Que c’est de bien d’onnour. Ensi s’avance
Un vrai amant et si voelt devenir,
Riches, etc.

Pour ce ne poet amans par droit souhet
Pour son pourfit mieulz prendre ne cuesir
Que d’un regart, mes que telement let
Qu’on doit tels biens donner et départir
À point sans outrage y vir
Car, quant il sont pesé à la balance,
Dame s’acquitte et amans voelt servir
Riches, etc.


Lorsque j’ai la balade dit
Ma dame, sans nul contredit,
Y répliqua deus mos ou trois,
Et me dist, par parler estrois :
« À quel pois les doit-on peser

» Ces regars, sans lui abuser.
» Je le sauroie volontiers. »
— « Il ne vous est mie mestiers
» Dame, di-je, que le vous die,
» Car sans mettre y vostre estudie
» Vous en savés là et avant.
» J’en parolle par convenant
» Si com cils qui en vos regars
» Prenc grant solas quant les regars.
» Mès ce n’est mie si souvent
» Que je vodroie par convent.
» Toutes fois il me fait grant bien
» Quant par vo grasce et par vo bien,
» Mon coer qui est si mehagniés
» Un petit conforter dagniés. »
Et ma dame, tout en riant,
Me dist : « Tels va merci criant
» Qui n’est mie si dolerous
» Com il se monstre languerous. »
De tels mos et d’aultres aussi,
Qui n’atouchoient nul soussi
Ains estoient plain d’esbanois
De chiens, d’oiseaus, de prés, d’erbois,
D’amourettes, tant que sans compte,
Fesimes nous adont grant compte
En grant joie et en grant revel.
Il nous estoit tout de nouvel,
Le temps, les foeilles, les flourettes,
Et otant bien les amourettes.
Moult me plaisoit ce qu’en avoie,

Et quant elle se mist à voie,
Li congiés y fu si bel pris
Qu’encor je ce lieu aime et pris,
Et le gardin et la maison ;
Tousjours l’amerai par raison,
Maint solas et maint esbanoi
Avec ma dame en ce temps oi,
Tant que de venir et d’aler,
De véoir et d’oïr parler.
Aultrement n’aloit ma querelle,
Mès il me sembloit qu’elle ert belle,
Puisque par le gré de ma dame
Je pooie, tant qu’à mon esme
Avoir par sa discrétion
Un peu de recreation,
Mès c’estoit assés à escars
De parolles et de regars
Car je ne m’osoie avancier,
Ne où madame estoit lancier,
Si ce n’estoit tout en emblant,
Paourous et de coer tremblant
Pluisours de mes esbas faisoie ;
Car pour ma dame je n’osoie,
Se l’eure n’avoie et le point,
Et on le m’avoit bien enjoint
Aussi que tout ensi fesisse,
Si que s’autre estat je presisses,
Que cesti qu’on m’avoit apris
J’euisse esté trop dur repris.
Si me convenoit ce porter

Et moi bellement conforter,
Et le plaisir ma dame attendre
Où par bien je pooie tendre.
Et aultrement ne le fis oncques.
Elle le savoit bien adonques,
Aussi je li monstroie au mains.
Mès, par Dieu ! c’estoit sus le mains.
Par parolles ne li pooie
Monstrer l’amour qu’à li avoie,
Forsque par signes et par plains
De quoi j’estoie lors moult plains.
À l’entrée dou joli may,
Ceste que par amours amai
Un jour esbatre s’en ala.
De son alée on me parla,
Et de celle qui o li furent.
Je soc bien l’eure qu’elles murent.
Moi et un mien ami très grant,
Pour faire mon plaisir engrant
Nous mesins en cesti voiage ;
Et par ordenance moult sage
Mon compagnon nous fist acointe
De celles dont j’oc le coer cointe ;
Car sans ce qu’on s’en perçuist
Et que nulles d’elles sceuist
Au mains celle que je doubtoie,
Avec elles fumes en voie.
Diex ! que le temps estoit jolis,
Li airs clers et quois et seris,
Et cil rosegnol hault chantoient

Qui forment nous resjoissoient !
La matinée ert clere et nette.
Nous venins à une espinette
Qui florie estoit toute blanche
Haulte bien le lonc d’une lance ;
Dessous faisoit joli et vert.
Bien fu qui dist : « Cils lieus ci sert
» Droitement pour lui reposer.
» Le desjun nous fault destourser. »
À la parolle s’acordan
Et le desjun là destoursan
Pastés, jambons, vins et viandes
Et venison bersée en landes.
Là ert ma dame souverainne.
N’estoit pas la fois premerainne
Que je ne l’osoie approcier.
Trop doubtoie le reprocier ;
Et encores tant qu’à ceste heure,
Se Jhesus me sault et honneure !
Je le regardoie en grant doubte ;
C’est drois que tels perils on doubte,
Car pour faire le soursalli
A-on moult tost souvent falli
À renom et à bonne grasce.
Tous quois me tins en celle espasce
Et parfis le pelerinage
Avecques celle dou linage
En grant solas et en grant joie ;
Encor tout le coer m’en resjoie
À toute heure qu’il m’en souvient.

N’est aventure qui n’avient
À un amourous qui poursieut
Sa besongne ; trop bien sensieut
Que, quant il ne s’en donne garde
Amours en pité le regarde.
Veci le confort que je pris
De ma droite dame de pris
Avec joie et esbatemens
Et gracious contenemens.
À ma dame plot lors à dire,
Pour un peu garir mon martire,
Qu’elle me retenoit pour sien.
Onques li quens li Porsyen
Ne le visconte de Nerbonne
N’oïrent parolle si bonne,
Ne si belle com je fis lors ;
Car de coer, d’esperit, de corps
Fui tres grandement resjoïs
Quant j’ai si très douls mos oïs.
Quant celle qui me soloit pestre
De durté ne me voelt mès estre
Forsque graciouse et courtoise.
Mon coer s’eslargi une toise
Quant je li fis ceste requeste :
« Dame, en nom d’amour, soyés ceste
» Qu’un petit voeilliés alegier
» Les mauls qui ne me sont legier,
» Et me retenés vo servant
» Loyal, secré à vous servant. »
Et ma dame respondi lors

De legier coer et de gai corps :
« Volés-vous dont qu’il soit ensi ? »
« Oil ! » — « Et je le voeil aussi. »
Je pris ceste parolle à joie ;
C’est moult bien raison c’on m’en croie ;
Mès la joie trop longement
Ne me dura : veci comment.
En ce voiage dont vous touche
Estoit avec nous Male-bouche
Qui tout no bon temps descouvri ;
Ce trop grandement m’apovri
Dou bien ! dou temps et dou confort
Que je cuidoie avoir moult fort ;
Car celle qui oncques ne tarde,
Male-bouche, que mal fu arde,
Parla à mon contraire tant,
Et en séant et en estant,
Que ma dame simple et doucette
Et d’éage forment jonette
En fut trop griefment aparlée :
« Ha ! dist-on, estes vous alée
» En un voiage avec cesti
» Qui vous a maint anoi basti ;
» Par foi ! ce fu uns grans oultrages
» Et uns abandonnés ouvrages ;
» Il fault que vous le fourjugiés. »
Là fui-je mortelment jugiés
De celles qui point ne m’amoient,
Ains leur ennemi me clamoiont,
Et leur jurœ ma dame chière,

Paourouse et à simple chière,
Que plus à moi ne parroit elle.
Ensi le me compta la belle,
Et me dist par parolle douce :
« Il convient, car le besoing touche,
» Qu’un peu d’arrest ait nostre vie
» Car on y a trop grande envie,
» Et j’en sui trop griefment menée
» Et par parolles fourmenée.
» Abstenir vous fault toutes voies
» De devant nous passer les voies
» Tant que la chose soit estainte. »
— « Dame, di-je, de la destrainte
» Sui-je en coer grandement irés ;
» Je ferai ce que vous dirés,
» Car ensi le vous ai prommis. »
Et celle me dist : « Grant mercis ! »
Depuis me tins une saison
Au mieulx que poc parmi raison
De passer par devant l’ostel
De ma dame, et aussi ou tel
Qui estoit ordenés pour nous ;
Dont j’estoie tous anoious.
Et s’il avenoit que passoie,
En terre mon regart bassoie ;
Vers li n’osoie regarder
Et tout seul, pour sa paix garder.
Mès sus un vespre, en un requoi,
Me tennoie illuecques tout quoi
Assés près de l’ostel ma dame.

Or avint à ce dont, par m’ame !
Qu’elle vint illuec d’aventure.
Je qui pour lui maint mal endure
Di en passant, n’en falli mie :
« Lès moi venés ci, douce amie. »
Et elle, si com par courous
Dist : « Point d’amie ci pour vous. »
D’aultre part s’en ala séoir ;
Et quant je poc tout ce véoir,
Je me tinc en mon lieu tout quoi.
Que fist elle ? Vous saurés quoi
Par devant moi rapassa-elle ;
Mès en passant me prist la belle
Par mon toupet, si très destrois
Que des cheviaus ot plus de trois
El ne fist ne del ne parla ;
Ensi à l’ostel s’en rala,
Et je remès forment pensieus,
Contre terre clinant mes yeus,
Et disoie : « Veci grant dur !
» Je prise petit mon éur,
» Car j’aimme et point ne suis amés,
» Ne amans ne servans clamés.
» À painnes que ne me repens,
» Car en folour mon tems despens.
» Le despens-je dont en folour ?
» Oil, onques ne vi grignour. »
Lors me repris de ma folie
Et di : « Se je merancolie
» Ensi se veulent amourettes

» Ramprouver une heure durettes,
» L’autre moles et debonnaires.
» Plus nuist parlers souvent que taires.
» Je n’avoie pas grant raison
» De li dire, en celle maison
» Qu’elle venist lès moi séoir.
» À sa manière poc véoir
» Qu’elle n’en fu mie trop lie ;
» Et pour ce, tantos conseillie,
» Me respondi tout au revers.
» Nom-pour-quant, quant le fait revers
» De ce que la belle en taisant
» Tout en riant et en baissant
» Elle par le toupet me prist,
» Mon coer dist, qui tous s’en esprit,
» Que liement à son retour
» Fist elle cel amourous tour ;
» Et jà ne se fust esbatue
» À moi, qui là ert embatue
» S’elle ne m’amast ; je l’entens
» Ensi et m’en tienc pour contens
» De quan qu’elle a fait et à faire. »
Lors m’esjoï en cel afaire,
Et fis une balade adont
Sus la fourme que mes maulz ont
D’aliegement tant qu’au penser,
Si com vous orés recenser.

Balade.

Quel mal, quel grief ne quel painne

Que me faciés recevoir,
Ma dame très souverainne,
S’ai-je corps, coer et voioir
Selonc mon petit povoir
Devous loyalment servir.
En si povés asservir
Et moi tout ce qu’il vous plest,
Car quanque j’ai, vostres est.
Et afin que plus certainne
Soyés que je die voir,
Il n’a heure en la sepmaine
Nuit, ne jour, ne main, ne soir,
Que je puisse bien avoir,
Se ne l’ai, d’un souvenir
Qui de vous me poet venir.
De noient pas ne me n’est,
Car quanque j’ai vostres est.
En ce doulc penser m’amainne
Amours, et me donne espoir
Qu’encor me serés humainne ;
Sans ce ne puis rien valoir.
Et s’il vous plest à sçavoir
Quels biens me poet resjoïr,
C’est qu’à vostre doulc plaisir
Commandés, ve-me-ci prest ;
Car quanque j’ai, vostres est.


Ne vous poroie pas retraire
Tout le bien et tout le contraire
Que j’ai par amours recéu.

Pas ne m’en tienc pour decéu
Mes pour ewireus et vaillant.
On ne s’en voist emervillant
Car Amours, et ma dame aussi,
M’ont pluisours fois conforté si
Que j’en ai et sui en l’escoeil
De tout le bien que je recoeil ;
Ne jà n’euisse riens valu
Se n’euisse éu ce salu ;
C’est un moult grand avancement
À jone homme et commencement
Beaus et bons, et moult proufitables.
Il s’en troeve courtois et ables
Et en met visces en vertus.
Oncques le temps n’i fut perdus
Ains en sont avancié maint homme
Dont je ne sçai compte ne somme.
Pour vous, ma dame souverainne,
Ai recéu tamainte painne,
Et sui encor dou recevoir
Bien tailliés, je di de ce voir ;
Car com plus vis et plus m’enflamme
De vous li amourouse flame.
En mon coer s’art et estincelle
Sa vive et ardans estincelle
Qui ne prendera jà sejour
Heure ne de nuit, ne de jour ;
Et Venus bien le me promist
Quant l’aventure me transmist
De vous premierement véoir.

Je ne pooie mïeuls chéoir ;
Ne se toutes celles du mont
Estoïent mises en un mont
En grant estat, en grant arroi,
Et fuissent pour mieuls plaire à roi,
Si ne m’en poroit nulle esprendre.
En ce point où me povès prendre
Conquis m’avés, sans nul esmai.
Oncques plus nulle n’en amai,
Ne n’amerai, quoiqu’il aviegne.
N’est heure qu’il ne m’en souviegne.
Vous avés esté premerainne,
Aussi serés la daarrainne.
Et pour ce qu’en bon estat soie,
Dame, se dire je l’osoie,
J’ai fait enfin de mon trettier
Un lay, ou quel je voeil trettier
Une grant part de tous mes fès.
Or doinst Diex qu’il soit si bien fès
Et par si très bonne maniere
Qu’il vous plaise, ma dame chiere !

Lay.

Pour ce qu’on scet mieuls de li
Paler que d’autrui à faire,
Ai-je voloir de retraire
Comment il m’est, Dieu merci !
J’ai jà un lonc temps servi
Amours, en espoir de plaire ;

Mès d’un trop petit solaire
M’a mon guerredon merci.
Nom-pour-quant s’ai je obéy
À ce qu’il a volu faire.
Or n’i a que dou parfaire.
Dou tout à lui je m’otri,
Et à ma dame suppli
Qu’elle me soit debonnaire
En ce qui m’est nécessaire,
Et prende en gré ce lay ci

Que j’ai de bon sentement
Presentement
Ordonne certainnement
À mon pooir
Selonc ce que mon coer sent
Non aultrement.
Et s’aucun amendement
Y poet avoir,
À vostre commandement,
Dame, usés ent ;
Car mon coer dou tout se rent
En vo voloir ;
Mès je sçai trop mieuls comment
Il m’est souvent
Que nuls ne fait ; ce m’aprent,
Adire voir

Car quant je pense ne sçai,
Se Diex me gart !
Conment osai

Onques emprendre le quart
De la painne où mon coert art.
Mès g’i entrai
Lie et gaillart,
Se m’i tenrai
Comment que j’en sentirai
Seul et à part
Maint grant esmai.
Mès se ma dame y regart
Et de sa douçour me part
Confort aurai
En quelque part
Que me trairai.
Mès trop fort esprouvé ai
De son regart
Comment li rai
Sont trencant que fers de dart
Et pas ne sont trop espart ;
Mès d’un attrai
Simple et couart
Plaisant et gai.
Quant premier les avisai
Moult me fu tart
Qu’en cel assai
Fuisse entrés par aucun art.
Or en ai si bien ma part
Que j’en assai
Quanqu’en départ
Amours, pour vrai.

Et sui encor tous certains
Que li tains
Dont mon coer fu très et tains
En un regart prist l’entame
Dont jamès ne sera sains,
Car proçains
Est si li cops premerains
Que de nul aultre, par m’ame !
Ne poet changier, n’estre estains ;
Car attains
Fu lors d’un douls yeuls humains.
Plus beaus ne poet porter fame.
En ce penser tousjours mains
N’en voeil mains ;
Car sus toute je vous ains,
Ma tres souverainne dame.

Et s’empris ai plus gand labour
Que dou porter n’ai la vigour,
Si en pardonne-je la flour
Mon coer, quel fin ne quel retour
Qu’en doie prendre ;
Car pourquoi vo fresce coulour,
Vo gent maintien, vo simple atour,
Vo bel parler plain de douçour
Me font à très parfaite honnour
Penser et tendre.
Si bien cuesi pour le millour,
Quand je vous sers, aim et aour,
Ma droite dame de valour

À mon pooir, sans nul fauls tour.
Tels me voeil rendre.
Or aiés en recort le jour
Que pour alegier ma douleur
Tous diseteus, plains de paour,
Je vous priai de vostre amour
Sans riens mesprendre.

Et vous, ma dame jolie
Come noient avoïe
De moi faire à ceste fie
Une si grant courtoisie ;
Respondistes tos :
Que pas n’estié conseillie
Ne tres bien appareillie
Que lors me fust octroye
L’amour de quoi je vous prie.
He mi ! com durs mors,
Bien voi, vous ne sentes mie
Comment Desirs me mestrie
Pour vostre amour, et me lie,
Si que heure ne demie
Je n’ai nul repos
Ou jour ne en la nuitie.
Ains souspir plour et larmie,
Et fui toute compagnie.
D’otel et plus que ne die
M’est chargiés li cols.

Et s’adont fui entrepris
Et souspris

Quant je pris,
De vous, ma dame de pris,
One response si dure,
Je n’en dois estre repris
Ne despris ;
Car j’espris
Mon coer, lors que je compris
La beauté de vo figure.
Puis m’en suis tenus tout dis
Mains hardis
D’avoir mis
Pour paour d’estre escondis
Ma proyere en aventure ;
Car s’avoie mal sur pis,
Il m’est vis
Li perils
Seroit si grand, j’en sui fis
Que de moi n’auroie eure.

Mès en lamentant
J’ai bouté avant
Le temps qui noiant
.....
M’a tenu de joie,
Fors seul tant
Que quant esbatant
Juant et parlant
Vous véoie errant
Ensi qu’en emblant
Les vous me mettoie ;
Regardant

Vostre doulc samblant,
Cler, simple et riant ;
Lors imaginant
Et en coer pensant
À par moi disoie :
« Hé mi ! quant
» Verai mon vivant
» Un peu plus joiant
» Ne l’ai maintenant.
» Mestier en ai grant. »
Et lors me partoie
Tous tramblant

Et cerchoie aucun refui
Où de nullui
Je ne fuisse apercéus
Ne cognéus ;
Là ploroïe mon anui.
Jusqu’au jour d’ui
Ai bien esté pourvéus
D’otant et plus.
Ensi, ma dame, attains fui
Et encors sui
Par vos doulz regars agus,
Dont la vertus
De confort et de refui
Non en autrui
Gist en vous. Or metés jus
Vos griefs refus,

Car tant me font à souffrir
Que je ne m’ose enhardir
Ne de monstrer n’ai loisir
Par quel maniere
Tout ce m’estoet soustenir ;
Dont souvent me fault fremir.
Mès quant vo gent corps remir
Tout m’ac arriere
Se oussi, esmai, dur oïr ;
Je n’en voeil souvenir ;
Car tant me fait de plaisir
Vo lie chiere
Qu’espoir, penser et desir
Me font souvent resjoïr
Et penser à quoi je tir,
Ma dame chiere.

Tout ensi me tient Plaisance
En balance.
Dont maniere et contenance
Change en moi
Sans ordenance :
Car sus heure elle me lance,
Puis s’estance,
Après reprent sa puissance.
Mès trop poi
Ai d’aligance,
Se ce n’estoit esperance
Qui m’avance
À son plaisir souffissance,

Petit voi
De recouvrance.
Mès j’ai tant de cognissance
Qu’elle sance
En partie ma souffrance.
Se mi doi
Traire en fiance.

À qui dont hemi ! hemi !
Fors à la tres volentaire,
Qui en parler et en taire
Poet bien aidier son ami,
Et ma droite dame aussi
À qui tout mon coer s’apaire
Poet bien planer ce contraire.
Aultrement mors je me di,
Et riens ne me garandi,
Fors son simple et doulc viaire,
Et ce qu’elle est blonde et vaire
De maintien gai et joli.
Nature pas ne failli
À li sagement pourtraire,
Car un regart a pour traire
Un coer et percier parmi.


De tant m’est plaisance crissue
Que je voeil faire, ains ma rissue,
Memore comment on pora
Trouver, qui bien querre y vora,
Le nom de ma dame et de mi.

Nom-pour-quant le sanc me frémi,
Quant la plaisance m’en sourvint
De ce qu’enchéir me convint
À nommer le nom de la belle.
Je m’en tinc un garant temps rebelle.
Mès quant j’oc bien examiné
Mon avis, et déterminé,
Je m’escusai par une voie ;
C’est drois que m’escusance on voie.
Quant Plaisance et Desir s’assamblent
Le fu, par exemple, il ressamblent
Qui bruist tout ce qu’il attaint.
Plaisance ensi le coer destraint ;
Et Desirs le fait desirer
Qui ne s’en voelt pas consirer
Jusqu’à tant que la fin il sace
Envers quoi Plaisance le sace.
Et adont si fort le mestrie
Que de trestous pourpos le trie,
Fors de celi à quoi il tent.
Et pour ce que Desirs estent
Sa vertu en tout coers humains,
Je le remonstre ensi au mains,
Qu’on m’en tiengne pour escusé ;
Car Plaisance ma acusé
À dire tout ce que je di ;
Aultrement ne m’en escondi.
Mès telement nous pense mettre
Sans nommer nom, sournom ne lettre,
Que qui assener y saura

Assés bon sentement aura.
Nom-pour-quant les lettres sont dittes
En quatre lignes moult petites.
Entre nous fumes et le temps ;
Se venir y volés à temps
Là trouvères, n’en doubte mie,
Pour cognoistre amant et amie.
Or, doinst Diex que vos pourpos faille
Et que ma proyere me vaille !
Car nuls plus povres de merci
Que je suis ne demeure ci.
Et quant il plaira à ma dame
Que j’aie ossi grant qu’une dragme
De confort, adont resjoïs
Serai de ce dont ne joïs ;
Ains languis en vie éureuse
Dedens l’Espinette amoureuse.


EXPLICIT LE DITTIÉ DE L’ESPINETTE AMOUROUSE.