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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/820

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d’août, une circulaire du syndicat du Pas-de-Calais est adressée aux ouvriers pour les engager à modérer leur travail pour que les houillères françaises ne puissent suppléer aux charbons anglais dont les arrivages vont diminuer à cause de la grève qui sévit en Angleterre. On croirait que nous inclinons à la calomnie, si nous ne citions cette pièce curieuse qui est signée par MM. Basly, Lamendin, Evrard et Norman. « Les mineurs d’Angleterre, dit-elle, se sont unis pour une grève formidable. On voulait leur imposer une diminution de salaire de 25 pour 100. Leur cause est la nôtre. Ils sont 500000. Leur caisse de résistance possède 25 millions. Ils ont la possibilité et la certitude de vaincre. Mais pour cela il faut le concours de leurs frères du continent. Déjà les Belges réclament une augmentation de 10 pour 100. Les concessionnaires du Nord ont emmagasiné des stocks importuns. Cette provision sera vite épuisée ; on vous dira qu’il faut profiter de la situation. Ne vous laissez pas leurrer. Appliquez-vous à conserver la stabilité de la production. Peu vous importe que l’industriel soit à court de chauffage et le paie plus cher. N’extrayez pas une benne de plus. La baisse des salaires en Angleterre, ce serait la baisse des salaires en France. » Il faut reconnaître que, serré d’un côté par le parti socialiste auquel les deux députés du Pas-de-Calais ont cru devoir se rattacher pour en obtenir l’appui et le concours, et d’un autre côté par les aspirations éveillées parmi les mineurs durant la période électorale, les chefs du syndical n’avaient guère le choix des moyens pour satisfaire les uns et les autres. Etaient-ils de bonne foi en signant cette regrettable circulaire, ou se laissaient-ils aveugler par un mirage trompeur ? Nous n’avons pas mission de sonder les cœurs et les reins ; nous ne pouvons donc pas trancher la question ; nous pensons seulement qu’une fois engagés ils penchaient plutôt à favoriser l’erreur qu’à la combattre.

On sentait déjà souffler un petit vent de grève dans les corons du centre et de l’ouest. Les délégués allaient semant « la bonne parole » et recommandant aux affiliés de s’y préparer. Le syndicat avait rédigé l’énoncé minimum des « revendications », et multipliait les réunions de son bureau. On savait dans toutes les mines que les discussions rouleraient, sur deux points principaux : la moyenne des salaires sur les bases de l’arbitrage de 1891, et le double du carnet de paye remis au syndicat pour la vérification de cette moyenne. Dans une réunion tenue à Lens, M. Evrard, secrétaire général adjoint, s’était chargé d’expliquer en quoi le double du carnet de paye était indispensable. « Un ouvrier gagnant de faibles salaires, dit-il, ne voudra pas communiquer sa fiche, dans la crainte d’être taxé de paresse ; un autre ne la donnera