malheureuses, des plus tenaces et des plus grandes dans sa petite taille. Avoir été le cœur et le cerveau de l’Europe. le centre de l’empire sous les Luxembourg, le centre de l’intelligence avec Jean Huss ; avoir, avant tous les autres, versé son sang pour une idée, secoué le joug de l’église féodale, proclamé la liberté de conscience ; puis, malgré la plus sanglante répression, après deux siècles d’un morne silence, donner de nouveau le signal de la résistance à la tyrannie religieuse ; subir ensuite la domination savante des jésuites, qui retournent ce vieux sol rebelle pour en extirper un fond vivace d’hérésie ; servir d’enjeu dans des batailles qui n’intéressent pas la destinée du pays, au point que pendant un siècle toute bonne guerre commence par un siège de Prague, et, en dépit de tant de vicissitudes, de massacres, de dépeuplemens, retrouver la conscience nationale au fond d’une vieille langue obstinée, élever ainsi l’idéal de la patrie en dehors et au-delà de l’histoire, l’envelopper dans ce mystère des origines sur lequel aucun titre postérieur ne saurait prévaloir, — c’est le signe d’une âme indomptable et bien digne de reprendre sa place dans le concert des peuples.
Pour achever cette peinture de l’Europe, il faudrait suivre et montrer partout les réveils ou les renaissances des nations : — les soubresauts de la Pologne, victime de ses propres fautes au moins autant que du conflit des ambitions, et qui aurait vécu si elle avait déployé autant de suite et de liaison dans ses desseins qu’elle a montré de persévérance dans ses souvenirs, mais acharnée à la politique du tout ou rien et regrettant peut-être aujourd’hui d’avoir dédaigné les demi-concessions de ses maîtres ; — à l’autre bout de l’Europe, des nations toutes neuves et presque sans passé : une Belgique obtenant sans coup férir cette liberté pour laquelle on s’égorge ailleurs, patrie improvisée par une alliance des anciennes libertés locales avec de solides intérêts contemporains ; — une Norvège renouant la chaîne des temps après une éclipse de cinq siècles, impatiente et comme à l’étroit parmi ces rochers grandioses et mélancoliques qui assombrissent son âme agitée, de même que les montagnes étendent leur ombre sur ses fiords, et, dans son amertume, disposée à rejeter sur ses voisins les torts de la nature ; — une Irlande non moins fameuse que la Pologne, impressionnable, éloquente, dramatique, pleine de finesse et de gaité, avec de brusques emportemens, mais des ressources, une fécondité qui lui ont permis d’attaquer pendant trois siècles la barrière la plus savante que jamais ingénieurs politiques aient dressée contre une race vaincue.
Il faudrait encore montrer les progrès du sentiment national