bienveillante, d’autant plus que les événemens la mettraient en situation d’exécuter ses grands projets en Orient. M. de Bismarck, dans son entretien avec le docteur Blum, accusait M. de Radowitz d’avoir outrepassé ses instructions : « Ce belliqueux diplomate, disait-il, avait le fâcheux défaut de n’être plus maître de sa langue dès qu’il avait bu trois verres de vin. » L’affaire dont M. de Radowitz était chargé demandait de grandes préparations ; peut-être, le vin aidant, fut-il trop expansif et rompit-il trop brusquement la glace. Le prince Gortchakof, de qui M. Geffcken parait tenir ce récit, répondit d’un ton sec qu’il ne pouvait croire aux intentions agressives de la France, et qu’à l’égard de la Russie, elle n’avait pas de grands projets en Orient, qu’elle ne désirait que le maintien du statu quo.
Malgré ce premier insuccès, M. de Bismarck ne renonça point à son plan, et à l’occasion de l’anniversaire du jour de naissance de l’empereur Guillaume, les ambassadeurs furent mandés à Berlin pour y recevoir des instructions. En même temps commençait dans tous les journaux officieux une violente campagne contre la France. Celui de ces articles qui fit le plus de bruit et qui émut toutes les chancelleries avait été rédigé par le docteur Constantin Rössler, que M. de Bismarck qualifiait récemment « de simple condottiere de la plume », et qui était alors le chef du bureau de la presse. Les diplomates tenaient le même langage que les journalistes. M. de Radowitz déclara à notre ambassadeur que la guerre semblait inévitable et que c’était nous qui l’avions voulue. Le chancelier lui-même engagea le ministre de Belgique à conseiller à son gouvernement de prévoir le cas d’une invasion française, et comme le baron Nothomb, fort étonné, s’écriait : « Vous croyez donc la France capable d’un coup de tête ? » il lui répondit : « Pourquoi pas ? » Dans les premiers jours de mai, l’orage semblait près d’éclater. Ainsi que le disait un peu plus tard lord Derby : « Des personnes de la plus haute autorité avaient déclaré que, si la Francis désirait éviter la guerre, elle devait discontinuer ses arméniens, et qu’il était à craindre qu’elle ne reçût avant peu une sommation de l’Allemagne. »
Qui conjura la tempête ? Nous avons toujours pensé qu’en 1870 nous avions eu de grandes obligations à la Russie. M. Geffcken affirme qu’il n’en est rien ; que ce fut l’empereur Guillaume qui, tardivement instruit de ce qui se tramait autour de lui, arrêta le complot de sa seule autorité et déclara, que, n’ayant pas à se plaindre de la France, il était résolu à maintenir la paix. Ce n’est pourtant pas ainsi qu’il procédait d’ordinaire ; il n’a jamais pris sur lui de résoudre une grave question de politique européenne sans s’être mis d’accord avec son chancelier, et toujours, après de longues résistances, il a fini par se laisser persuader. Heureusement, dans ce cas particulier, M. de Bismarck, convaincu désormais que la Russie ne le laisserait pas faire, s’était subitement ravisé,