formes depuis 1830, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Italie el ailleurs, de l’examen attentif de chacun des organismes coopératifs qui se sont constitués dans les soixante dernières années. il ressort avec une souveraine clarté que cette ingénieuse combinaison, la coopération, qui a existé dès l’enfance du monde, ne peut nullement aboutir, ainsi que le rêvent les coopérateurs mystiques, « à éliminer graduellement le salariat lui-même, en donnant aux travailleurs la propriété de leurs instrumens de production », et à remplacer tous les intermédiaires, « y compris l’entrepreneur », non plus qu’à « supprimer le droit du capital sur les profits ou dividendes en le réduisant à la portion congrue, l’intérêt[1]. » Le salarial reste la base de la société coopérative : aucune association de ce genre n’a encore eu l’idée inapplicable de le supprimer pour ses membres et de lui enlever ou de modifier son caractère légal de rémunération fixe, à l’abri de tout aléa, et irrévocable.
Quant à la part ou à la prédominance du capital, lorsque la société coopérative devient un peu ancienne et prospère, elle est graduellement amenée à reconnaître au capital tous les droits dont il jouit dans les sociétés ordinaires.
Il n’en est pas moins vrai que, tout en étant une organisation de transition, prompte, à dégénérer, la coopération est utile et susceptible d’applications nombreuses et profitables. Elle étend à de nouvelles couches les combinaisons économiques reconnues les plus avantageuses ; elle rend plus aisé l’essor de l’élite de la classe ouvrière. Si chaque organisme coopératif tend, avec le temps et le succès, à perdre son caractère originel, on peut constituer successivement, après la transformation des premiers, un grand nombre de nouveaux organismes du même genre qui remplacent les disparus ou les transformés. Cette éclosion successive peut rendre des services précieux. Elle est la vraie fonction de la coopération. Elle suffit pour classer ce mode d’association parmi les combinaisons nombreuses et recommandables qui, sous un régime d’absolue liberté économique et en l’absence de toute faveur corruptrice, peuvent être appliquées et propagées par les hommes prévoyans et énergiques. Il y a là un utile instrument de progrès social, non pas un germe de palingénésie.
PAUL LEROY-BEAULIEU.
- ↑ Revue d’économie politique, janvier 1893, page 17.