qu’il y avait à réunir les flottes du golfe d’Egine à celles du golfe de Corinthe. Mais, chose remarquable, ce fut d’abord en faisant passer les navires à force de bras par-dessus l’isthme. « Non seulement, dit Beulé, ce transfert d’une mer à l’autre était fréquent, mais un système permanent de machines avait été établi pour cet usage, et l’on appelait Diolcos le chemin par lequel on tirait les vaisseaux, source de grands revenus pour la ville en temps de paix, grand avantage en temps de guerre pour faire manœuvrer les flottes selon le besoin, notamment dans la guerre du Péloponèse. » Pas plus que les canaux, on le voit, le ship-railway, le chemin de fer pour navires, qui compte en Amérique et en Angleterre des partisans convaincus, ne manque d’ancêtres.
Le Diolcos, cependant, ne pouvait, — on s’en doute, — transborder d’une mer à l’autre que de très petits bâtimens. Chaque fois que l’on prévoyait l’accroissement de leurs dimensions, l’idée du canal se représentait à l’esprit. L’histoire grecque relate plusieurs projets de percement ; mais aucune suite n’y est donnée : tantôt, on craint d’irriter Neptune par le sacrilège mélange d’eaux jusque-là séparées ; tantôt, — erreur moins concevable ici qu’en Égypte, — on croit le niveau des eaux du côté de Corinthe beaucoup plus élevé que de l’autre : ouvrir une communication, ce serait submerger Egine et les Cyclades. La Grèce conquise, les empereurs romains songèrent à ouvrir l’isthme au commerce maritime. Néron ne s’en tint pas à l’intention, il fit faire des études, creuser des puits pour explorer la nature des terrains à excaver. L’empereur lui-même voulut inaugurer les travaux ; il le fit avec cette pompe et cet apparat mélodramatiques qui lui étaient chers : invocations à Neptune et à Amphitrite, sacrifices propitiatoires, chants où on célébrait et la grandeur de l’œuvre et la gloire de son promoteur. Même ses mains impériales, maniant un hoyau d’or, donnèrent le premier coup de pioche à ce canal que, dix-huit siècles plus tard, les ciseaux d’or de la reine de Grèce devaient, gracieux symbole, ouvrir enfin à la navigation. Deux ans après, Néron se donnait la mort. Son œuvre inachevée n’eut pas de continuateurs.
C’est peu d’années après l’inauguration du canal de Suez que le général Türr reprit la tentative avortée de Néron. Une semblable entreprise convenait à cette nature ardente, en laquelle la générosité des sentimens s’alliait à l’amour des grandes aventures. Tour à tour compagnon de Kossuth et de Garibaldi, l’un des Mille qui firent l’étonnante conquête de la Sicile, devenu l’ami et l’aide de camp du Re galantuomo, le général Türr, l’Italie une fois faite, ne pouvait s’endormir paisiblement sous ses lauriers. Après la gloire des armes, il chercha celle des œuvres de la paix : après l’affranchissement des peuples, il voulut des