qui a créé le Verbe. » Et ces paroles se gravent dans son cœur. Réveillé, il a peur, il s’enfuit dans la montagne, puis revient dans la grotte auprès de Kadidjah qui l’encourage. Pour ne plus voir et ne plus entendre, il s’enveloppe de son manteau. Alors la voix lui adresse ces paroles sublimes : « toi qui es enveloppé de ton manteau ! sois debout en prière toute la nuit. Répète le nom de ton seigneur et dévoue-toi à lui d’un dévouement entier ; à Dieu maître du Levant et du Couchant. Il n’y a point d’autre dieu que lui ; prends-le donc pour ton patron »[1]. À partir de ce moment, il croit, agit et ne s’arrête plus. Sa foi est absolue, son courage indomptable, quoique en contradiction avec sa nature tendre et son caractère hésitant, nullement belliqueux. Il convertit ses parens, supporte les railleries et les persécutions, se crée un parti, une armée, prend la Mecque, brûle les idoles de la Kasba, y établit le culte d’Allah et meurt pauvre après avoir fondé une religion qui devait conquérir une grande partie de l’Asie et de l’Afrique. — On a beau faire la part des causes secondaires et adjuvantes, si l’on veut remonter à la cause première de ces événemens considérables dans l’histoire de l’humanité, on la trouve dans la force foudroyante de ces premières impressions mystiques, qui échappent aux lois connues de l’enchaînement historique.
Par leur essence, toutes les religions ne sont que les branches diverses d’un même tronc. Car elles sortent toutes du même besoin fondamental de l’individu et de la société. Historiquement chacune d’elles est un organe de l’humanité, un mode par lequel son âme collective communique avec la vérité éternelle. Une fois créée, elle devient un sceau posé sur les générations, une force qui modifie et transforme les races, un moule dans lequel des millions d’âmes viennent se former pendant des siècles. À cet égard l’Islam est encore aujourd’hui une puissance que l’Europe aurait tort de mépriser. Les pèlerinages de la Mecque réunissent annuellement cent mille pèlerins qui représentent soixante-dix millions de mahométans. Après les fatigues incroyables du voyage à travers les déserts de l’Asie et de l’Afrique, les caravanes du monde musulman tiennent leurs grandes assises sur le mont Arafat, échangent des mots d’ordre et se retrempent dans le sentiment de leur unité. Nul ne niera que ce ne soit là une force qui pourrait devenir redoutable à un moment donné. Pour l’avenir de l’Égypte notamment, l’Islam est un facteur capital qu’il ne faudrait jamais oublier. En effet, si la Mecque est la Jérusalem de
- ↑ Koran, chap. LXXIII. Traduction de Kasimirsky. — Voir aussi sur Mahomet et les origines de l’islamisme le beau livre de Caussin de Perceval : Essai sur l’histoire des Arabes.