heure dans une sorte de faubourg. C’est une longue rue bordée de cippes, d’anciennes pierres tombales et d’habitations humaines. Le soleil est près de se coucher, et l’enchantement de la lumière atteint son comble. La vive blancheur des cases s’attendrit d’une teinte rose ; les ombres portées sur le sable bleuissent. De distance en distance, un chameau boit dans une fontaine, un enfant dort sur les genoux de sa mère au bord d’un puits ombragé d’un acacia-mimosa, ou bien un haut palmier se balance dans les airs avec un frémissement nerveux. C’est tout le charme de la vie éternelle et primitive, enveloppée de la lumière d’Orient. Merveilleuse lumière, profonde, savoureuse, substantielle, et pourtant si déliée ! Éther subtil et parfum nourrissant, qui emplit les poumons et donne des ailes ; qui rend les âmes et les choses plus légères en les pénétrant, qui dore les contours et embaume les tristesses ; essence de joie, élixir d’oubli. On croit pouvoir recommencer la vie, alors que d’habitude on ne songe qu’à la finir ; on se sent prêt à partir avec le Bédouin, à dos de cheval ou de chameau, à s’envoler avec l’oiseau migrateur vers les oasis du Fayoum ou le lac Nyanza, vers la Mecque ou le Sinaï.
Abou-Saïd, dont j’ai fait la connaissance depuis ma promenade aux tombeaux des khalifes, est un jeune Arabe de Syrie. Il a passé quelques années à Paris en qualité de secrétaire d’un grand personnage turc : la ruine de celui-ci l’a laissé sans ressources. Il vit maintenant d’un petit emploi au gouvernement du Caire. Il n’a nulle ambition, et, sauf une passion peu coûteuse : l’histoire, l’art et la poésie arabes, tout le reste lui est indifférent. Aussi passet-il des heures à la bibliothèque de Derb-el-Gamamiz, dans la rue des Sycomores, à lire de vieux ouvrages, à copier d’anciens manuscrits. Sa mère, paraît-il, est une chrétienne maronite. C’est d’elle sans doute qu’il tient cette langueur rêveuse de ses grands yeux noirs et tristes qui animent sa mince et pâle figure, qu’il tient légèrement penchée sur sa redingote grise. Il neu est pas moins musulman passionné, quoique sans fanatisme. Il adore le Coran et a le culte des grandeurs évanouies de sa race, chose rare chez les Arabes d’aujourd’hui, avec le sentiment confus de sa déchéance et de son incapacité à lutter contre la civilisation européenne. Cela donne à son être cette mélancolie particulière des âmes nobles dans les races déchues, lorsqu’elles restent fidèles à un passé à jamais perdu. Il n’avoue pas cette tristesse, qu’il dissimule sous un inaltérable sourire. Peut-être ne s’en rend-il compte qu’à demi, mais elle lui donne un grand charme et inspire la sympathie. Quoi de plus fermé pour nous qu’un peuple dont nous ignorons la langue ? Les conversations avec Abou-Saïd me font l’effet d’une lucarne qui me permet de jeter quelques