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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/215

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toute la lignée des écrivains de souche purement française. Sa verve remonte jusqu’à celle des vieux conteurs gaulois. Et Villon, qui parlait avec la même ardeur sensuelle du corps de la femme « qui tant est tendre et souef », tremblait avec la même épouvante devant les affres de la mort. Maupassant a tous les traits qui caractérisent la race ; il n’en a point d’autres. Dans son clair génie il n’y a nulle infiltration du génie étranger. Cela même, à la date d’aujourd’hui, pourrait lui faire une originalité. Les limites de son esprit sont aussi bien celles dont l’esprit français ne sort que rarement. Ni rêveur ni mystique, incapable de comprendre toute idée ou trop abstraite ou trop compliquée, médiocrement sensible au jeu des couleurs et à la musique des phrases, il est curieux des spectacles de la vie et s’applique à rendre dans ce qu’ils ont de plus particulier les cent actes divers de l’ample comédie. C’est avec ce fond de tempérament français et gaulois qu’il a traversé la société d’aujourd’hui. Venu dans une époque d’extrême civilisation et d’infinie lassitude, il a, par l’effet même de sa rude vigueur, traduit plus fortement que les autres ce dégoût de toutes les œuvres de l’esprit, et pareillement la désolation de la créature réduite à ne rien apercevoir au delà des transformations de la matière. Et, venu dans une époque où la littérature, moins soucieuse de la vie intérieure qu’elle ne l’était jadis, s’attache surtout à décrire les rapports des hommes entre eux et ceux qu’ils soutiennent avec les choses, il a donné de la vie une traduction et de l’art une expression qui, en dépit de différences profondes venues de la différence des temps, s’en vont rejoindre à travers les siècles le réalisme des maîtres classiques.


René Doumic.