instituteurs prêts à se mettre à la tête du mouvement : le jour de l’application, ceux-là quitteraient la partie.
Quant aux écoliers, par ce qui s’est passé il y a treize ans sur un autre point de notre système d’instruction, j’ai idée qu’ils paieraient les frais de la guerre. Pris dans le défilé des examens et des concours (on sait à quel point la vie de tous les jeunes Français en est affligée), ils rencontreraient à chaque étape des passages difficiles à franchir. Il leur faudrait chaque fois s’informer de la religion de leurs juges en cette matière. Mais ce n’est pas tout : une fois munis de leur brevet, beaucoup d’entre eux auront à se mettre en quête d’une position. Expliqueront-ils « au patron, » — contrôleur plus sévère et plus pressé que les autres, — ce qui paraîtra à ce dernier pure barbarie ? Pour le plaisir de quelques amateurs, n’exposons pas une génération d’enfans à d’aussi inutiles tribulations !
Après les écoliers, il y a les étrangers, en faveur de qui on veut rendre notre langue plus aisée. C’est, en effet, une chose merveilleuse, que les principaux adhérens de la réforme portent des noms suédois, norvégiens, allemands, hollandais, anglais. De Français, très peu. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir la liste que publie tous les mois le journal de la Nouvèle Ortografe. Mais pour satisfaire ces amis de la langue française, ce ne sera pas assez de modifier le costume des mots. Une fois cette première simplification opérée, il faudra peut-être aussi débarrasser la grammaire de ses anomalies et de ses contradictions. On ne se doute pas de la peine qu’elle coûte à un étranger. Pourquoi, par exemple, l’adjectif ne se met-il pas toujours à la même place, comme en anglais et en allemand ? Pourquoi disons-nous un habit neuf et un vieil habit ? un pur hasard, des mains pures ? Que vient faire la négation dans cette phrase : J’ai peur qu’il n’ait pris froid ? Pourquoi prend-on et laisse-t-on tour à tour l’article, comme dans faire plaisir, faire de la peine ! Tout cela aurait besoin d’être régularisé. Quelques esprits hardis ont déjà proposé de laisser tomber certaines règles d’accord, comme pouvant incommoder des étudians habitués à une syntaxe moins compliquée.
Au temps où la France reposait les yeux avec satisfaction sur elle-même, elle ne songeait pas à faire des conquêtes par ces moyens. On pensait « qu’il fallait plus considérer ceux de son pays que les étrangers », et que les autres nations, si elles voulaient savoir notre langue, devaient l’apprendre telle que nous l’avions nous-mêmes apprise. Ces esprits obstinés du dix-septième siècle ne voulaient même pas accepter de leçons des Grecs ni des Romains ; ils étaient d’avis « que chaque lettre (entendez chaque littérature) était maîtresse chez soi ; — surtout, dit l’un d’eux, dans un