se mettre à l’œuvre pour produire directement et pour leur propre compte tout ce qui est nécessaire à leurs besoins, en créant boulangeries, meuneries, manufactures de draps et de vêtemens confectionnés, fabriques de chaussures, de chapeaux, de vannes, de biscuits, de papier ; voilà la seconde étape. Enfin, dans un avenir plus ou moins éloigné, acquérir des domaines et des fermes, et produire directement sur leurs terres le blé, le vin, l’huile, la viande, le fait, le beurre, la volaille, les œufs, les légumes, les fruits, les fleurs, le bois, qui constituent la base de toute consommation ; voilà la troisième étape. On peut tout résumer en trois mots : dans une première étape victorieuse faire la conquête de l’industrie commerciale ; dans une seconde, celle de l’industrie manufacturière, dans une troisième, enfin, celle de l’industrie agricole, tel doit être le programme de la coopération en tout pays. Il est d’une simplicité héroïque[1]. »
Cette simplicité héroïque est ce que, en termes plus clairs, on nomme du mysticisme. L’expérience qui date déjà d’un demi-siècle pour la coopération et, de beaucoup plus loin, pour toute large pratique commerciale et industrielle, n’est nullement en faveur de ce « plan de campagne », l’histoire démontre d’une façon irréfragable, aussi bien pour les entreprises privées que pour les entreprises publiques, qu’il est des limites à l’étendue et à la complication de tout organisme ; qu’au-delà de ces limites il y a impuissance, dépérissement et détraquement ; que, quand il a atteint certaines dimensions et quand il a multiplié à un certain point ses fonctions, un organisme fait mieux de se dédoubler, et de se diviser en un plus grand nombre encore d’organismes distincts et indépendans que de se gonfler de plus en plus. Les maisons commerciales, notamment, qui ont eu la prétention de fabriquer tout ce qu’elles vendent, ont toutes échoué. Sans doute les sociétés coopératives anglaises de consommation peuvent joindre au simple débit quelques industries assez simples : la boulangerie, la mercerie, la cordonnerie, Mais dès qu’elles veulent pousser plus loin les applications manufacturières, elles en viennent au bout de peu de temps soit à échouer, soit à répudier le caractère coopératif, ce qui est advenu aux Équitables Pionniers de Rochdale pour leur filature et leur tissage de coton ; cette perversion de l’œuvre manufacturière des Équitables Pionniers est toujours tenue dans l’ombre par les apôtres de la coopération ; c’est cependant un des faits historiques les plus constans, les plus importuns et les plus décisifs, d’autant qu’il a été accompagné, comme on le verra plus loin, d’un très grand nombre d’autres du même genre et qu’il forme en
- ↑ Gide, De la coopération et des transformations, etc., pp. 10 et 11.