« Que l’on se figure par la pensée ces trois vaisseaux se battant contre le seul cuirassé ; on verra qu’indépendamment de leur supériorité numérique, ils possèdent encore bien d’autres avantages. Leur surface apparente étant plus faible, ils sont plus difficiles à atteindre. Leur vitesse étant plus considérable, ils peuvent choisir leurs positions pour attaquer ou se retirer à leur gré. Comme ils virent de bord plus rapidement, il leur sera plus facile de fondre à l’éperon sur l’ennemi ou d’éviter celui de l’adversaire. Enfin, leur vitesse plus grande, leur légèreté même, les rendent éminemment propres à utiliser des torpilles et des projectiles sous-marins. Même si l’on admet que le cuirassé possède le plus considérable de tous les avantages, celui d’être impénétrable aux projectiles de son adversaire, il succombera dans une lutte de trois contre un, à moins que, grâce à son artillerie bien couverte et en sûreté, il ne puisse tenir ses assaillans en respect et ne réussisse à les détruire par son feu l’un après l’autre s’ils persistent à l’attaquer. Telle pourrait être l’issue du combat si les vaisseaux alliés n’avaient que des canons à opposer aux canons ; mais, en pareille circonstance, ils attaqueraient avec l’éperon et les torpilles. »
Est-il vrai que la cuirasse soit inutile ? Est-il vrai, comme on l’admet communément, que la suppression de la cuirasse ait pour conséquence la suppression de la grosse artillerie ? Tous ceux qui poussent à la première solution n’admettent pas la seconde, et sir William Amstrong prévoit pour les navires non détendus un armement égal à celui des cuirassés. La moindre réflexion suffit, en effet, à indiquer que l’accroissement des calibres n’est pas lié à l’accroissement des blindages. Quand les nations s’accorderaient à ne pas protéger leurs bâtimens, elles ne s’interdiront pas de défendre à terre certaines positions. À moins que la marine ne renonce aux attaques contre le littoral, elle aura besoin de pièces d’autant plus fortes qu’elle agira contre des masses couvrantes d’une plus grande épaisseur. Même elle ne saurait entrer en lutte contre des ouvrages fortifiés si elle n’a, faute d’une égalité dans la protection, une écrasante supériorité dans la force offensive. Loin donc que la grosse artillerie et les cuirasses doivent finir ensemble, la suppression de la cuirasse rendrait plus nécessaire l’accroissement des calibres. Pour condamner le blindage comme inutile, l’école de sir W. Armstrong attribue dans les batailles navales une importance prépondérante à l’éperon et à la torpille. Contre l’un et l’autre, en effet, la cuirasse est impuissante ; mais si l’arme principale des combats est l’artillerie, les détracteurs du blindage protestent par leur aveu même contre leurs conclusions.
S’abriter du feu est aujourd’hui une partie importante de l’art