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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/757

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et lorsqu’il y eut possibilité de se rendre à Paris, — car tous les services de voiture avaient été interrompus, — je quittai mes hôtes en la compagnie du général Jouarez. Quand nous arrivâmes, la lutte avait cessé depuis quatre jours, mais Paris était encore dans le chaos de la guerre civile. Nous ne pûmes point passer par la barrière de Charenton; il nous fallut aller rejoindre le faubourg Saint-Antoine, dont la voie était plus large et plus dégagée. Nous vîmes des monceaux de pavés qui avaient servi à la formation des barricades, et plusieurs fois, sur notre chemin, nous rencontrâmes des troupes d’hommes mal vêtus et armés de toutes les manières. » Et dire que de ce vulgaire procès-verbal devait sortir la Curée! N’importe, comme simple inventaire des lieux et nonobstant son style d’huissier priseur, la relation a son intérêt ; poursuivons-la : « Une de ces troupes était commandée par un individu en chemise et bras nus qui, d’une main, tenait un sabre et, de l’autre, un quartier de viande toute saignante. Ce singulier commandant arracha quelques paroles d’indignation à mon compagnon de voyage, qui, en sa qualité d’ancien officier de l’empire, n’était pas partisan des insurrections. Arrivés à la place Baudoyer, un jeune homme en moustaches et en habit bourgeois s’élance au cou du général et s’écrie en le serrant dans ses bras : « Ah! mon général, que je suis content de vous revoir! — Et moi aussi, mon ami, ajouta mon compagnon, surtout après un pareil événement! — Ah! mon général, nous avons fait de bien belles choses! — Comment! de belles choses ! Vous vous êtes fait battre par la canaille! — Mon général! mon général ! le peuple a été sublime. » Et, en disant cela, le jeune homme avait un air d’enthousiasme qui m’impressionna vivement. C’était un jeune officier qui avait servi quelque temps d’aide de camp au général Jouarez. Je pris congé de ces deux messieurs et je les laissai seul à seul s’expliquer sur les événemens. Je descendis jusqu’au commencement de la rue Saint-Antoine et j’arrivai par l’arcade Saint-Jean à la place de l’Hôtel-de-Ville. Tous les murs de la façade étaient criblés de coups de feu ; des canons dont le bronze luisait au soleil s’allongeaient au bas du perron, gardés par une foule d’hommes en blouse et armés de sabres, de fusils et de pistolets. Aux fenêtres flottaient des drapeaux tricolores. Les maisons qui faisaient face à l’Hôtel se trouvaient aussi entamées par les balles. Bon nombre de pavés non encore replacés s’élevaient au débouché des rues. Puis une quantité de gens entraient dans l’Hôtel et en sortaient comme des abeilles d’une ruche en rumeur. Cette vue du lieu où le combat avait été des plus acharnés et qui en portait les glorieux stigmates me fit penser à l’exclamation du jeune officier. Je restai quelque temps à contempler ce tableau si beau