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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/750

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raison que l’auteur des Iambes se plaint de l’abandon où l’Angleterre laisse son poète national :


Les vers du fier Breton ne trouvent plus d’oreilles,
Ses temples sont deserti et vides de clameurs.


Cela se pouvait dire, en effet, aux environs de 1830, alors que régnaient encore les traditions des Stuarts continuées sous la reine Anne, traditions françaises et classiques en vertu disquettes on mutilait Shakspeare dans son pays presque autant que chez nous. Garrick jouait un Shakspeare amendé, corrigé, ad usum Delphini, et ce sont les arrangemens de Gibber qui, pour la plupart, ont valu leur gloire théâtrale aux Kemble, à Mrs Siddons. Kean lui-même, le génie primesautier par excellence, s’en référait à la leçon du Prompter’s Book. Seulement avec Macready commencera le mouvement auquel nous assistons depuis vingt ans et qui, grâce aux efforts redoublés de M. Irving, semble aujourd’hui battre son plein. L’idée de joindre au respect du texte littéraire la fidélité archéologique dans la mise en scène vint de Charles Kean, le fils du grand Edmund. Nous avons vu représenter ainsi un Macbeth absolument préhistorique et dépassant même cette vérité relative qu’on admire à Vienne dans l’interprétation de la tragédie des Nibelungen. Quant à la reconstitution des drames-chroniques, on n’imagine rien de plus complet ; c’était le vivant spectacle de l’histoire. Depuis, le mouvement n’a fait que croître ; tout le monde s’y est mis, les princes et les princesses de la famille royale, les artistes, les critiques et les hommes d’état, M. Gladstone en tête. Quiconque aimerait à se rendre compte de cette popularité dont aujourd’hui Shakspeare jouit en Angleterre n’aurait qu’à suivre au Lyceum les représentations d’Irving. De celui-là, par exemple, on peut affirmer qu’il traduit Shakspeare sans le trahir ; on discutera sa conception de tel ou tel rôle, sa manière de dire certains passages, mais ce qu’il faut reconnaître, c’est la sincérité, la profondeur de ses recherches, son ardent vouloir de tout pénétrer. Je l’ai vu plusieurs fois dans Hamlet et mon impression en demeure ineffaçable, non que je sois bien d’accord avec lui sur le type, son personnage n’est peut-être pas celui que je me figure, mais il est d’ensemble et ne se dément plus. Irving joue vrai, même quand il se trompe, en quoi il me rappelle beaucoup notre Frédérick-Lemaître.


IV.

Le volume dont cette vigoureuse étude d’après le Jules César compose plus de la moitié, renferme aussi un libretto d’opéra,