prêté à l’autre du blé pour ses semailles ; à la récolte, celui-ci a rendu un grain de qualité inférieure ; le plaignant en apporte un spécimen dans un papier que le cadi examine. Il reconnaît que le blé est en effet, de mauvaise qualité et qu’il y a lieu d’indemniser le prêteur. Un grand Arabe, à la tête emmaillotée dans ses lourdes draperies blanches, vient réclamer sa femme, qui est en prison; c’est un cas tout pareil à celui dont M. B... me parlait il y a quelques jours. Le plaignant a fait mettre lui-même sa femme en prison après qu’il l’avait surprise en adultère; maintenant il voudrait la ravoir; il donne deux pièces d’or pour cela (50 piastres), et le cadi commande qu’elle lui soit rendue. En peu d’instans, une foule de plaideurs défilent ainsi et une quantité de causes sont jugées.
Le tribunal civil et criminel est celui du férik, ou gouverneur de la ville, qui siège aussi dans le quartier du Dar-el-Bey. On traverse les corridors et les escaliers d’une grande maison pleine de soldats ou de gendarmes tunisiens; toutes les portes sont ouvertes, et même la salle de justice n’en a pas; elle donne sur une cour intérieure pavée qui est à la hauteur du premier étage. Le férik, son lieutenant près de lui, est assis sur un divan qui court le long des trois côtés d’une large embrasure vitrée avançant sur la rue; c’est un petit vieillard sec à l’air énergique ; il porte la chechia, et, avec cela, un paletot à l’européenne, calé au fait clair, en laine moutonnée; il juge, la main gauche dans ce pardessus et en gesticulant de la main droite. Il reprend son audience interrompue par notre arrivée et il se remet à décider, connue le bey lui-même, de omni re scibili, avec renvoi au chara de ce qui est trop compliqué et important. Les cas les plus usuels sont ceux de vols, de coups et autres infractions commises par la ville; les coupables sont aussitôt saisis, amenés, jugés et bâtonnés. Les soldats qui les ont pris se présentent en même temps qu’eux au tribunal et exposent les faits; la sentence, à peine rendue, est exécutée. Les choses se passent comme au Bardo, les parties exposant elles-mêmes, debout à l’extrémité de la salle, l’objet de leur requête; et les gens, après avoir quelquefois beaucoup gesticulé et fait grand tapage pendant leur temps de parole, s’en vont sans mot dire et sans émotion apparente aussitôt le jugement rendu. C’est ce que font un homme et une femme qui portent plainte au nom de leur enfant. L’enfant jouait dans la rue quand une femme passa et lui vola sa boucle d’or; l’enfant qui est là reconnaît aussitôt l’accusée, mais on la fait sortir et on lui en présente une autre qu’il reconnaît également. Les plaignans sont, en conséquence, renvoyés des fins de leur demande.
À cette justice pittoresque nous serons forcément amenés à substituer en partie la nôtre. Cela est indispensable pour que nous puissions raisonnablement supprimer l’intolérable système des capitulations,