se trouvant chez eux, il n’y a aucune raison pour qu’on s’en aille. L’Européen le fait pourtant, et son hôte qui le voit partir demeure inquiet et croit qu’il l’a blessé.
Quelques Arabes se hasardent au théâtre, mais ils sont peu nombreux; les spectacles des rues, en revanche, les amusent fort. Des Marocains ambulans, musiciens, charmeurs de serpens ou acrobates en font les frais la plupart du temps. A Tunis, ils rassemblent autour d’eux seulement la foule misérable des faubourgs, mais dans l’intérieur du pays, c’est la ville entière qui vient les voir; et pour nous ils sont particulièrement curieux à étudier, parce que nos pères, au moyen âge, aimaient à s’ébahir devant des merveilles toutes semblables, et que ce rôle des nomades, amuseurs et porteurs de nouvelles à la fois, était le même parmi nous que chez les Arabes d’aujourd’hui.
Un jour, en province, nous trouvons devant le café maure un grand rassemblement. Les burnous et les turbans font cercle autour d’un faiseur de tours athlétiques; sur la terrasse du café, les têtes se penchent et les capuchons pointus, en grosse toile, se dressent en forme d’éteignoir contre le ciel pâli de la soirée. Nous nous glissons parmi les Arabes ; la foule s’écarte d’elle-même, et chacun nous fait place poliment, puis le sillon se referme et nous nous trouvons enchâssés dans le groupe épais des spectateurs, entre les grands Arabes encapuchonnés et les gamins roses, bleus et verts, assis par terre au premier rang. Assis aussi, deux musiciens, l’un avec un court flageolet de cuivre, l’autre avec un tambour, qu’il frappe des doigts et du poignet alternativement, s’apprêtent à donner la cadence aux mouvemens de l’athlète. Celui-ci, fort brun, bien musclé, souple, a une tunique blanche, courte, sans manches, serrée à la taille par une ceinture ; bras, jambes et pieds restent nus; sous sa tunique, une culotte blanche descendant au genou; sur sa tête, un petit bonnet rond, de tricot blanc. Sa barbe est entière et pointue, ses yeux brillent. Il commence par s’agenouiller et par faire dévotement une prière ; ensuite, pendant longtemps, il parle à la foule du tour qu’il va exécuter et de la récompense qu’il mérite. « Combien me donnerez-vous? Me promettez-vous une piastre ? Alors donnez-la tout de suite. » Il recueille quelques caroubes à force d’éloquence; nous y ajoutons la piastre qu’il réclame, mais cela ne fait que l’encourager à parler davantage; un si gros bénéfice ne lui échoit pas tous les jours, et il veut tirer le plus grand parti possible de la faveur qu’il rencontre. « Saute donc, nous te donnerons ensuite, » crient les Arabes; mais il aime mieux avoir tout de suite, et les supplications recommencent et l’éloge de ce qu’il va faire. Enfin, il faut bien s’exécuter; la foule s’écarte pour qu’il prenne son élan. Deux grands Arabes, à l’autre bout de l’arène improvisée,