un peu au-dessus du sol, des cubes dont il manque un côté, celui qui sert de porte, de fenêtre, de devanture de magasin; rien pour orner les murs que les marchandises et le marchand. Devant l’étalage, des vases de bois pleins de feuilles de henné ou de poudre faite avec ces feuilles, qui servent aux femmes à donner à leurs ongles et à la moitié de leurs doigts une couleur jaune tabac qui est jugée fort élégante; derrière ces vases, des fioles de parfums à la rose et au jasmin, célèbres dans tout l’Orient; au haut de la devanture, des rangées de longues bougies couleur crème et, au-dessous, le marchand, immobile, gracieux, au teint mat, paraissant en cire lui-même, à la barbe soignée, quasi-millionnaire quelquefois, qui vient ici par habitude, par tradition, surtout parce que c’est là la meilleure vie, une vie toute de repos, de tranquillité et de douceur. C’est au bazar qu’on cause et qu’on sait les nouvelles. A trois ou quatre, ils forment un petit cercle au seuil de la boutique, et sans remuer, ils échangent leurs idées dans la fumée bleue de leurs cigarettes, au milieu des suaves senteurs.
Sur la gauche, des Arabes recueillis montent les escaliers de la grande mosquée (mosquée de l’Olivier); aucun chrétien n’y est entré jamais depuis que le monument, ancienne basilique, dit-on, a été consacré au dieu du Prophète. Du milieu de l’ombre où l’infidèle s’arrête, il aperçoit par les portes ouvertes la cour pavée et étincelante de soleil d’un cloître pareil à ceux de France. Des galeries couvertes, à colonnes de pierre, courent le long des faces du rectangle, supportant des arcades cintrées. Vers les murs, sous les portiques, de vrais croyans, debout, à genoux, ou accroupis, changeant constamment de posture, murmurent leur prière, et, la chose finie, se lèvent graves et viennent à la porte remettre leurs babouches et sortir. Dressés, dit-on, contre la muraille, les vieux évêques de pierre de la basilique chrétienne regardent vaguement, de leurs yeux presque effacés, les hommes en gandourahs rouges agenouillés sur la place où avaient été leurs tombeaux. Mais, de temps immémorial, personne que les Maures n’a pu les voir. Il y a des mosquées dont l’intérieur ouvre directement sur la rue, et, le soir, on y aperçoit la foule pieuse et on entend ses prières : des chants monotones psalmodiés longuement et interrompus par intervalle. Des lampes de verre terni, de forme singulière, brillent faiblement dans l’obscurité des voûtes, qu’elles n’éclairent pas. Tandis que, dans tout l’Orient, les temples musulmans ont ouvert leurs portes aux chrétiens curieux, l’interdiction, en Tunisie, demeure absolue; personne n’a pénétré encore dans les mosquées de la ville verte, et la force des armes seule a pu nous donner accès aux colonnades saintes de Kairouan.
A la suite des marchands, les notaires, eux aussi accroupis, chacun