il vint flairer l’étranger. Celui-ci put apercevoir à ce moment un léger sourire sur le visage du souverain et de ses officiers ; on s’amusait d’avance de la grimace et du soubresaut que l’on attendait. M. de Sarzec n’avait pas coutume de voir un lion faire l’office d’introducteur des ambassadeurs ; il n’en garda pas moins bonne contenance et ne sourcilla point ; l’honneur était engagé. Sur un signe du négus, un serviteur s’approcha, prit par le collier l’énorme bête et la ramena en arrière ; non sans quelque résistance, elle retourna s’étendre aux pieds de son royal maître.
M. de Sarzec faillit faire plus ample connaissance avec ce beau lion. Johannès avait été très flatté du message que lui avait porté M. de Sarzec ; il désirait envoyer au négus des Français, comme il disait, un cadeau qui lui donnât une haute idée de la magnificence de son ami et cousin d’Abyssinie ; il offrit donc au consul, pour le maréchal Mac-Mahon, Agos, son lion favori. Ce ne fut pas sans peine que M. de Sarzec trouva moyen d’éluder la proposition. S’il refusa, ce n’était pas qu’il eût gardé rancune à l’animal ; il lui devait une réputation d’intrépidité qui l’avait très bien servi dans ses rapports avec les Abyssins ; mais cet enfant du désert, ce courtisan à quatre pattes d’un prince africain, paraissait avoir des préjugés contre les Européens et contre la civilisation occidentale. On pouvait donc, sans être d’humeur craintive, se demander s’il ferait un compagnon de voyage très agréable. « Il s’habituera très vite à vous, disait le négus ; vous lui jetterez les os de votre table ; il couchera dans votre tente et il vous gardera comme le chien le plus fidèle. » Cette perspective ne souriait qu’à demi à M. de Sarzec ; il ne se sentait pas assez sûr de gagner les bonnes grâces du commensal qu’on lui vantait si fort. Peut-être aussi fut-il pris de quelque compassion en pensant au sort qui attendait en France le malheureux exilé s’il ne mourait pas de tristesse et d’ennui pendant la traversée. Admettons qu’à force de soins on l’eût fait arriver sain et sauf jusqu’à Paris ; nous doutons fort que, malgré son caractère d’ambassadeur et de porte-parole du négus, il eût été admis dans l’intimité du maréchal. Celui-ci, quoiqu’il préparât alors le 16 mai, n’aurait pas introduit le lion dans le conseil des ministres ; il ne l’aurait pas non plus fait assister aux fêtes de l’Elysée ; après l’avoir admiré à distance, il l’aurait envoyé au Jardin des Plantes. Pour le familier d’un empereur, pour celui qui, craint et respecté presque à l’égal du maître, jouait majestueusement son rôle dans les pompes de la cour, quel destin et quelle déchéance, quel morne supplice c’eût été de vivre enfermé jusqu’à sa mort dans une cage étroite, derrière des barreaux de fer, sous les yeux et sous les quolibets des badauds parisiens !
En Abyssinie, dans toutes les occasions solennelles, le lion paraît