Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gramme être rejeté en entier ou dans ses parties essentielles, le tenace chancelier déclare bien haut que ces demandes reparaîtront plus pressantes devant les assemblées parlementaires appelées à se succéder. Si finalement ces efforts sont sans résultat, il lui restera la conscience du devoir accompli et il se consolera en répétant la sentence antique : In magnis voluisse sat est. Toutefois, malgré la défaveur avec laquelle le Reichstag accueille toute proposition d’impôt nouveau, il ne manque pas d’hommes disposés à admettre le remplacement d’une partie des contributions directes par des taxes indirectes. Beaucoup de députés consentiraient à un impôt sur les affaires de bourse et à l’application de droits plus élevés sur la consommation de l’eau-de-vie. Dans tout l’Empire, la quantité d’alcool pur consommé atteint plus de 2 millions d’hectolitres annuellement. Une taxe d’un marc imposé par litre d’alcool ne serait pas de trop. Mais qui ne veut pas prélever cette taxe? C’est le chancelier, et cela sous le spécieux prétexte de ne pas renchérir la gorgée indispensable au « pauvre homme, » si souvent mis en cause dans les débats parlementaires de Berlin. Ecoutons le grand homme d’état établir à ce propos le curieux parallèle que voici entre la valeur respective de l’eau-de-vie et de la bière au point de vue social, pour motiver, dans une réplique au député libéral M. Lasker, une plus forte imposition de la bière : « Je ne sais, a-t-il dit, si le préopinant a été souvent dans le cas de se mouvoir énergiquement, avec de grands efforts corporels, pendant de longues heures, au grand air, quand des vents rudes balaient la plaine. S’il avait fait cette expérience, il m’accorderait que l’eau-de-vie est plus nécessaire que la bière à celui qui fait ce dur labeur. Jamais je n’ai trouvé que l’ouvrier, quand le travail devenait pénible, se réconforte avec de la bière de Bavière, d’abord parce qu’il n’en a pas — c’est la boisson de gens plus aisés, — et puis parce qu’elle ne répond pas réellement à ses besoins. Aussi, si le préopinant avait jamais essayé de faucher un coup sur un pré, rien que l’espace de dix pas, alors il ne dédaignerait pas une bonne gorgée d’eau-de-vie, comme en prend l’ouvrier quand il fait au centuple la même tâche. Dans ce cas, la bière de Bavière ne réconforte pas; elle alourdit au contraire au lieu d’exciter les nerfs. En outre, elle a ce défaut au point de vue économique, de servir à tuer le temps. Chez nous autres Allemands, rien ne contribue à tuer autant de temps que de boire de la bière. » Un mouvement d’insurmontable hilarité courut à travers l’assemblée à ces mots. Et le chancelier de poursuivre : « Celui qui s’assied en face de sa chope du matin ou du soir, qui avec cela fume une pipe et lit des journaux, se tient pour suffisamment occupé et rentre à la maison, content de lui-même, avec le sentiment d’avoir bien fait son devoir. »