militaire. En un mot, la France vaincue, démembrée, rançonnée, restait du moins son propre garant ; elle gardait son indépendance financière comme elle gardait son indépendance politique avec la dignité du malheur.
Au fond, dans cet acte qu’il pouvait certes appeler « une des plus cruelles douleurs de sa vie, » la plus cruelle et la plus imméritée, M. Thiers agissait en politique prompt aux résolutions nécessaires. Il avait du courage pour tous : il avait la hardiesse de mettre son nom à une paix que le pays désirait, mais que nul autre n’aurait osé signer, dont on craignait de s’avouer les conditions. Il avait pris pour lui la première responsabilité, et lorsqu’après en avoir fini à Versailles, il se retrouvait deux jours plus tard à Bordeaux devant l’assemblée, avec son œuvre douloureuse autant qu’inévitable, il avait le droit de s’écrier : « Nous avons engagé notre responsabilité, il faut maintenant que chacun engage la sienne ici… » Qu’on fît après cela des discours patriotiques pour démontrer tout ce qu’il y avait d’impitoyable dans cette paix, c’était bien inutile ; on n’avait pas besoin de le lui dire, il le savait mieux que tout autre, et, bien qu’il attachât du prix aux quelques atténuations qu’il croyait avoir conquises, il ne se méprenait pas. Qu’on parlât encore, dans un intérêt de fausse popularité, par un patriotisme mal entendu, de reprendre les armes, de se rejeter dans la guerre à outrance, il arrêtait les déclamations par ce mot désespéré : « Les moyens ! les moyens ! » Les moyens, ils n’existaient pas, et c’était là justement ce qui avait déterminé le négociateur de la France. M. Thiers portait dans ces tragiques délibérations une double pensée. Il croyait, il savait qu’il n’y avait plus « une seule chance de soutenir la lutte, de la soutenir heureusement, » non parce que la France aurait manqué d’élémens de résistance et de combat, mais parce que son organisation militaire était brisée, parce qu’elle ne pouvait plus refaire sérieusement des armées devant l’invasion débordant de toutes parts. Il avait de plus cette conviction que prolonger désormais la guerre, c’était courir à une ruine peut-être irréparable, et que s’arrêter virilement avant que tout fut perdu, c’était du moins réserver l’avenir. « Oui, s’écriait-il d’un accent ému et émouvant, ma conviction profonde est qu’en faisant la paix aujourd’hui et en nous soumettant à une grande douleur, c’est l’avenir du pays que nous sauvons, c’est sa future grandeur que nous assurons. Il n’y a que cette espérance qui ait pu me décider… » Bien différent de ceux qui, dans l’exaltation d’une dictature sans frein, pour une lutte sans espoir, n’auraient pas craint d’épuiser la source de la vie nationale, il acceptait, lui. le sacrifice du moment, l’impopularité de la paix, pour empêcher la source de tarir, pour